[CRITIQUE] : At Eternity's Gate
Réalisateur : Julian Schnabel
Acteurs : Willem Defoe, Rupert Friend, Oscar Isaac, Matthieu Amalric, Mads Mikkelsen,..
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h50min.
Synopsis :
Un voyage dans l’esprit et l’univers d’un homme qui, malgré le scepticisme, le ridicule et la maladie, a créé l’une des œuvres les plus incroyables et admirées au monde. Sans être une biographie officielle, le film s'inspire des lettres de Vincent van Gogh, d'événements de sa vie, de rumeurs et de moments réels ou purement imaginaires.
Critique :
Portée par la performance habitée de Willem Dafoe, #AtEternitysGate est plus qu’un simple biopic, c’est un voyage sensoriel dans les tourments d’un peintre dont J.Schnabel parvient a rendre l'oeuvre palpable, presque vivante (@Thiboune) pic.twitter.com/cNacIBFg6b— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 15 février 2019
De Vincent Van Gogh au cinéma, on retiendra avant tout et surtout le bien nommé Van Gogh de Maurice Pialat avec un Jacques Dutronc totalement habité dans la peau du célèbre peintre, biopic tumultueux et enivrant s'attachant bien plus aux derniers fragments de l'existence torturée par les remords d'un homme épuisé et brisé, qu'à la furie nerveuse et créatrice de l'auteur de " La Nuit étoilée ", " Les Tournesols " ou du " Champ de blé aux corbeaux ".
Aujourd'hui, nous retiendront également la vision du cinéaste Julian Schnabel (Le Scaphandre et le Papillon) et de la prestation tout en justesse du vénéré Willem Defoe, dans ce qui est autant un biopic ciblé racé qu'un portrait intime d'un artiste, captant l'essence du geste artistique avec une justesse rare.
Par la force d'un récit éclaté mais rondement bien mené, At Eternity's Gate se démarque sans trop forcer des autres oeuvres portant sur le peintre, en proposant une vision ludique et profondément sensorielle de la vie du bonhomme.
Loin du biopic dramatique traditionnel et jouant intelligemment des ellipses, le cinéaste narre le destin tragique d'un artiste à qui il ne reste qu'une poignée d'années (ce qu'il ignore, mais nous non), croque son âme tourmentée comme personne avant lui en plaçant sa caméra à proximité de son être, de son regard, de sa folie créatrice, nous faisant le témoin intime d'un quotidien tout en solitude et en détresse, tel qu'il nous l'avait offert dans son merveilleux Le Scaphandre et le Papillon, ou son usage de la caméra subjective était déjà à son meilleur.
Chaque regard de l'autre est perçu comme une intrusion, une agression (excepté celui du frère de Van Gogh, Théo, dont la relation tendre est un plus évident de l'histoire, tout comme la relation intense qui lit le peintre à Gauguin), la société y est dépeinte comme tortueuse et menaçante, seule la nature est réconfortante, solaire et propice à autant soulager sa douleur insondable, que nourrir son esprit à l'affut de toute la beauté l'entourant (plus que de le voir peindre, on sent l'inspiration se muer dans sa psyché par la puissance de nombreux regards).
Tout le film semble comme connecté à l'esprit de Van Gogh, dirigé par sa complexité, sublimé par son trouble, sans pour autant fermer la porte à toute interprétation pour son spectateur tant il dit tout sans tout réellement dire de son personnage titre.
Portrait tout en pudeur et en humanité d'une figure psychologiquement fragile, At Eternity's Gate ne serait évidemment rien sans la partition incroyable de Willem Defoe (légitimement primé lors de la dernière Mostra), crédible de bout en bout dans la peau d'un homme dont la vie fut totalement dévouée à son art.
Le nouveau film de Julian Schnabel se perçoit donc comme une proposition à part, troublante - dans le bon sens - au moins autant qu'elle est enivrante et pertinente, et dont il serait bien criminel de se priver à une heure où elle se présente au grand public, par la petite porte (appelée à devenir grande) du septième art moderne qu'est Netflix.
Jonathan Chevrier
Un genre bien délicat que celui du biopic. Souvent trop académique, sans réelle ambition artistique ou visant a rendre consensuel une figure transgressive (oui Bohemian Rhapsody je crie ton nom), le genre est régulièrement réduit à n’être qu’un prétexte afin de glaner quelques Oscars. Mais, au milieu de tout cela, il existe des dissonances, des œuvres s’emparant d’une figure publique pour en explorer les failles, les tourments, les blessures. At Eternity’s Gate fait partie de ces films.
Réalisé par Julian Schnabel, qui c’était déjà attaqué au genre du biopic avec Basquiat, le film s’intéresse aux dernières années de la vie d’un Vincent Van Gogh. Le peintre mal-aimé de son vivant, adulé à sa mort, une destinée forcément cinématographique que le réalisateur tente de nous faire découvrir sous un nouvel angle.
Car le plus grand défi du long-métrage est de passé après un paquet d’œuvres sur le peintre, dont celle de Kirk Douglas et Jacques Dutronc. Pour se dégager de ce poids, Julian Schnabel opte pour un récit éclaté visant avant tout a nous mettre à la place de Van Gogh. Sa caméra devient les yeux du peintre et nous fait ainsi vivre en immersion totale, nous permettant d'accéder aux douleurs ruisselant la vie de Vincent.
Film d’art, de création, de la passion pour la peinture et de la souffrance qu’elle engendre, At Eternity’s Gate est un poème visuel. Baignée de couleur, de grands espaces, le périple de Van Gogh nous permet de voir la beauté des lieux qui l’entoure et pourquoi il a tant aimé les peindre. Une chose peu évidente, tant la création artistique est dure à faire passer en langage cinématographique, ici le réalisateur parvient a montré en quoi le coup de pinceau de Van Gogh est différent. Il capte l’épaisseur de sa peinture, son immédiateté, certaines œuvres sont quasiment exécutées a l’instant T afin de montrer la rapidité avec laquelle il assimile les couleurs, leurs reflets, leurs nuances.
Portée par la performance habitée de Willem Dafoe, At Eternity’s Gate est plus qu’un simple biopic, c’est une proposition de cinéma. Un voyage sensoriel dans les tourments d’un peintre, dans le génie de sa peinture, une bien belle approche de la force émotionnelle d’une oeuvre.
Thibaut Ciavarella