[CRITIQUE] : Ce n'est qu'un au revoir


Réalisateur : Guillaume Brac
Acteurs : -
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français.
Durée : 1h41min

Synopsis :

Ce n'est qu'un au revoir (1h03) :

Les amitiés de lycée peuvent-elles durer toute la vie  ? Une chose est sûre, dans peu de temps Aurore, Nours, Jeanne, Diane et les autres diront adieu à leur chambre d’internat, aux baignades dans la Drôme, aux fêtes dans la montagne. Louison coupera ses dreads et la petite famille éclatera. Pour certaines d’entre elles, ce n’est pas la première fois et ça fait encore plus mal…

Suivi de Un pincement au cœur (38 min) :

Le cœur pince à Hénin-Beaumont en ce début d’été. Linda, 15 ans, va déménager, et Irina, sa meilleure amie, a bien du mal à l’accepter.



Il y a toujours un plaisir certain à savoir qu'un nouveau film de Guillaume Brac est sur le point d'être diffusé, que ce soit en salles ou à la télévision. C'est le sourire qui s'inscrit, en plus de la gaieté traversant quasiment tout le travail du cinéaste (à l'exception de Tonnerre, définitivement son film à part). D'autant que son processus de création et de production est toujours en dehors des canevas habituels. Le cinéaste a tourné avec des étudiants en cinéma et théâtre (la série de court-métrages Contes de Juillet), a réalisé un documentaire comme s'il flânait (L'île au trésor), et a d'abord été diffusé à la télévision avant d'arriver en salles (A l'abordage). Tel un artisan qui bricole et bidouille son matériel pour produire exactement ce dont il a envie (le britannique Mark Jenkin fabrique sa propre pellicule dans son garage-atelier).

Le coeur de ce nouveau film est à nouveau des jeunes personnes / personnages. Ici, ce sont des lycéens. Ou plutôt, ce sont des lycéens en passe de ne plus l'être. Comme à son habitude, Guillaume Brac capte un rite de passage, un basculement dans la vie intime, un sentiment de changement des habitudes. C'était déjà le cas dans l'un de ses premiers films, Un monde sans femmes (2011), où une femme et sa fille adolescente passent des vacances ensemble dans une commune balnéaire du nord de la France. Ces vacances sont à la fois un éveil et un tournant pour elles, que pour l'homme qu'elles y rencontrent. Ces basculements sont avant tout constitués de "moments". Des instants du quotidien des personnages, évitant ainsi tout "film à sujet" et toute écriture superflue. Ce sont dans les banalités du quotidien que ces personnages se révèlent le plus.

Dans Ce n'est qu'un au revoir, il s'agit de la fin des années lycée, du prochain passage aux études supérieures. Ce qui signifie la fin d'une période et le début à venir d'une autre, le passage de l'adolescence à la vie d'adulte (avec de nouvelles responsabilités, parfois évoquées par les jeunes eux-mêmes), et surtout la séparation du groupe d'ami-e-s qui s'était constitué au fil des années. Ce qui intéresse Guillaume Brac dans ce lycée, est la vigueur du lien unissant tous ces jeunes vivant en internat. Parce qu'ils/elles se côtoient tous les jours, se faufilent dans les chambres des un-e-s et des autres en permanence, partagent leurs affaires et leurs sensibilités, s'aident mutuellement, etc. C'est alors un au revoir de personnes à personnes, mais également un au revoir à ce lieu qui a accueilli la création et l'entretien de ces relations.

Copyright Bathysphere productions

Sauf que la beauté de ces liens ne tient pas qu'à ce huis-clos. Sa beauté tient aussi à la capacité de Guillaume Brac à trouver et saisir leurs ouvertures vers l'extérieur. Indubitablement attiré par la nature et la ruralité, que l'on retrouve dans chacun de ses films, le cinéaste accorde à chaque fois une place importante aux éléments naturels. L'eau et la verdure sont des motifs récurrents, où finissent toujours par se retrouver un ou plusieurs personnages. Ce sont à ces endroits précis que l'apaisement est possible, que la liberté tend à se dessiner (bien que temporaire), qu'il y a le plus fort degré de lâcher prise nécessaire. Les lycéen-ne-s ici se promènent dans une forêt et s'amusent dans une rivière. De quoi relâcher la pression du lycée et décompresser des tourments qui les habitent.

Parce que ces élèves sentent de plus en plus un changement s'opérer. Ils/elles sentent que la réalité dans laquelle ils/elles se sont épanouis va se transformer. Dans l'observation discrète mais sensible opérée par le cinéaste, se trouvent de nombreuses séquences où ces jeunes échangent sur la notion du temps, se questionnent sur celle de présent, s'interrogent sur leur avenir (personnel et collectif), essaient d'imaginer de quoi le futur sera fait. Le film contient même un paradoxe. Face à la gaieté ambiante, la proximité et la fougue qui se déploient, il y a la radicalité de plans fixes. Comme si derrière toute cette agitation physique et mentale, se trouvent la contrariété, l'angoisse et le chagrin en train d'hanter chaque moment.

Mais ces plans fixes sont également un témoignage de ce qui est essentiel. C'est le besoin de "sauvegarder" ces moments de vies, prompts à définir aussi bien les individus que l'essence du collectif qui s'est constitué. Avant de devenir des souvenirs, ces moments sont des photographies de discussions légères, d'échanges existentiels, de propos politiques (jusqu'à se rendre pour certain-e-s d'entre eux/elles à la mégabassine de Sainte-Soline), d'inquiétudes sur l'avenir (jusqu'à mentionner la difficulté qu'est Parcoursup), de jeux (très belle scène de dominos avec les matelas dans un couloir, en essayant de ne pas se faire surprendre par les surveillant-e-s), des contacts avec la nature.

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Ces plans fixes renferment aussi un sentiment dévastateur, lorsqu'il faut démonter le décor en retirant les photos et les cartes des murs des chambres, ou en préparant ses cartons et affaires pour le grand départ. Démonter progressivement le décor est l'empreinte du temps qui passe, et sur lequel il est impossible d'avoir le moindre contrôle. Tout doit se mouvoir. Alors que durant tout le film, ces jeunes tentent de trouver leur place dans le monde, dans la société, dans le groupe, au milieu de tous ces sentiments qui les traversent. Comme s'ils/elles commençaient seulement à se mouvoir individuellement (émotionnellement), mais qu'il faut tout recommencer. Il faut donc essayer d'imaginer des ponts pour continuer à rester en contact. Telle cette belle scène de la passerelle interdite, qu'empruntent des filles pour essayer de rejoindre les chambres des garçons la nuit. Jusqu'à se faire surprendre et devoir faire demi-tour.

Si Ce n'est qu'un au revoir fonctionne si bien, c'est parce que Guillaume Brac ne cherche jamais de dramaturgie. Dans le sens où il n'y a aucune écriture additionnelle superflue. Le cinéaste préfère laisser libre cours au hasard, en s'autorisant même des digressions. Même si la voix-off est assez perturbante, apparaissant parfois un peu trop didactique sur les interrogations existentielles, ou sur la nécessité d'accroître la mélancolie avec des souvenirs. Idée contrebalancée par le chapitrage, sympathique moyen d'amorcer pour quelques minutes des focus sur des individualités (et ainsi d'extraire des nuances dans la vie de groupe). Comme s'il ne fallait pas oublier chaque prénom, ni ce que chacun-e de ces élèves a pu apporter individuellement. Car ces images appartiennent quelque part davantage à une mémoire collective qu'à une réalité du présent. Si bien que cet internat est une sorte de sanctuaire éternel pour les sentiments développés, les esprits et consciences qui se sont développés, et les moments qui ont construits des âmes.


Teddy Devisme



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