[CRITIQUE] : Doubles Vies
Réalisateur : Olivier Assayas
Acteurs : Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Nora Hamzawi, Christa Théret,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Comédie, Romance.
Nationalité : Français.
Durée : 1h45min
Synopsis :
Alain, la quarantaine, dirige une célèbre maison d’édition, où son ami Léonard, écrivain bohème publie ses romans. La femme d’Alain, Séléna, est la star d’une série télé populaire et Valérie, compagne de Leonard, assiste vaillamment un homme politique. Bien qu’ils soient amis de longue date, Alain s’apprête à refuser le nouveau manuscrit de Léonard… Les relations entre les deux couples, plus entrelacées qu’il n’y paraît, vont se compliquer.
Critique :
Faussement léger et véritablement intellectuel mais pas moins prenant, #DoublesVies est une comédie cynique et touchante autant qu'elle est pertinante dans sa manière de croquer plusieurs âmes perdues trouvant difficilement leur place dans une société en pleine mutation. pic.twitter.com/v4arr8YzYw— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 16 janvier 2019
On avait laissé le talentueux et insaisissable Olivier Assayas en 2016 avec Personnal Shopper, objet cinéphilique incarnant autant un film de fantômes urbain qu'un drame douloureux sur le deuil et la solitude, une oeuvre à part surprenant autant par sa singularité assumée que par la volonté (louable) de son metteur en scène à vouloir embrasser sans le moindre complexe, ce sous-genre du cinéma de genre.
Plus ou moins entre James Wan et Kiyoshi Kurosawa, entre une horreur à l'ancienne et pourtant très moderne à la fois, au sein d'un cadre parisien joliment réaliste (on retrouve bien le Paris du papa de Paris S'éveille), Assayas enveloppait lentement mais surement une Kristen Stewart lumineuse et impliquée, dans le voile froid et mystérieux des pérégrinations troubles d'une âme à la dérive et hantée - dans tous les sens du terme. On est très fan.
Trois ans plus tard, il revient vers un cinéma plus classique et s'interroge (quitte à ne plus trop danser sur le même pied de ses prises de parole sur le sujet) sur l'impact terrible de la révolution numérique sur les métiers artistiques, et plus directement dans le milieu de l'édition via le prisme de deux couples d'amis (très) proches, dont la relation va se déliter face à l'exigence artistique et la constante obligation de faire avec son temps pour survivre, mais aussi par la mise en lumière de nombreuses fissures pourtant présente depuis longtemps. On est très fan aussi.
En s'attachant à l'évolution culturelle sous toutes ses formes, même paradoxales (notre rapport au texte, plus virtuel et moins physique, ce qui atteint grandement le monde de l'édition et de la littérature, sans pour autant que notre consommation soit amoindrie, bien au contraire) avant de bifurquer sur une réflexion plus commune sur la vie de couple aux joutes verbales savoureuses, Assayas fait de Doubles Vies un double constat fascinant sur l'art à l'époque 2.0, deux versants d'une même pièce dans lesquels ils semblent pleinement se retrouver : que ce soit avec le personnage d'Alain (Guillaume Canet, excellent), responsable d’une maison d’édition réputée ouvert à l'évolution, ou Léonard (Vincent Macaigne, parfait), écrivain gentiment idéaliste qui ne cherche pas - pendant un temps au moins - à se renouveler et milite pour continuer à voguer dans sa zone de confort.
Comédie cynique et bavarde mais sensiblement classique et lisse à la fois, qui égratigne un peu tout ce qui lui tombe sous la main (les milieux artistiques et bobos parisiens, la politique pro-langue de bois,...) autant qu'elle est pertinante et touchante dans sa manière de croquer plusieurs âmes perdues trouvant difficilement leur place dans une société en pleine mutation, Doubles Vies est un petit bout de cinéma aux thématiques et interrogations très " Assayasienne ", jouant judicieusement du mensonge, de la vérité et des craintes inhérentes à l'être humain, pour mieux pointer du doigt - mais pas trop -, aussi bien les bons points que les affres de la modernité et notre capacité à faire avec.
Faussement léger et véritablement intellectuel donc, mais pas moins prenant et même étonnamment empathique.
Jonathan Chevrier