[PAILLETTES, PANIQUE & CINÉ] #3 : Comment en finir avec la page blanche en 5 films d’horreur ?
Paillettes, Panique et Ciné #3 : Comment en finir avec la page blanche en 5 films d’horreur ?
Dans cette section qui suit, vous l’aurez deviné, « Guinness, Cork et Ciné » je suis de retour en France et reviens sur des moments de films m’ayant marquée au fer rouge brillant. Regard critique, analyses de film de genre et digression métaphysique, cette nouvelle section se veut éclectique. Bonne lecture !
[AVERTISSEMENT / spoilers pour tous les films cités : Misery (1990), Sinister (2012), Images (1972), l’oiseau au plumage de cristal (1970), et The Nesting [Retour vers le Cauchemar en français] (1981)]
Ça fait maintenant presque trois ans que je dois écrire cet article sur la page blanche. Les idées étaient là, maintes fois remises à plus tard, et les mois passaient sans qu’on ne voit l’ombre d’un mot tapé sur un Google Doc. On est donc sur un article meta.
Ce syndrome, autrement nommé leucosélophobie, bien connu des créatifs de tous bords, se déclare trop souvent. Quelle artiste, écrivain ou même critique cinéma n’a pas souffert du syndrome de la page blanche ?
Cette angoisse sourde, cette envie de procrastination, cette mini crise existentielle qui nous prend soudainement, une fois confronté à la page (ou toile, ou logiciel de montage) est évidemment un ressort beaucoup utilisé par les films, et en particulier les films d’horreur. Le protagoniste créatif sera confronté à ses démons créatifs comme à des démons bien réels. La question de "jusqu'où un artiste peut aller pour l’art ?” est centrale ; cependant pour cet article je vais me concentrer sur une question plus triviale : “Comment résoudre son angoisse de la page blanche ?”. Quelles solutions ces 5 films peuvent nous apporter, à nous les créatifs désœuvrés, pour sortir de ce marasme de page blanche ?
Attention, je n’ai pas dit que ça se finirait bien ! Ces méthodes sont à tester à vos risques et périls.
Misery - Copyright Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. |
Il serait dommage de passer à côté, du maître du genre, celui qui a usé ce motif de la page blanche jusqu’à la moelle : Stephen King. De nombreux personnages de ses plus grands succès sont écrivains : dans The Shining évidemment, mais aussi Salem, Duma Key et Misery. C’est à cette dernière œuvre que l’on va s’intéresser aujourd’hui : l’angoisse de la page blanche y est peut-être plus sourde, mais tout aussi terrifiante pour notre protagoniste Paul Sheldon.
Dans l’adaptation filmée de Rob Reiner en 1990 reconnue surtout pour la prestation machiavélique de Kathy Bates, nous suivons l’histoire de Paul Sheldon, écrivain célèbre. Il a connu un succès immense via sa saga de livres Misery, catégorisées comme des romances, et cherche pour son nouveau livre à s’émanciper. Il s’est isolé quelque temps pour écrire dans les montagnes, à l’abri des influences extérieures. Seulement voilà, un accident de la route plus tard, Paul est confiné et soigné par une infirmière, Annie, qui se trouve être également sa plus grande fan. Elle adore le personnage de Misery, et serait littéralement prête à tuer pour que sa série de romans préférée puisse continuer à l’infini. Au cours du film, Annie va lire le nouveau roman, plus sombre et mature, de Paul, ne pas l’aimer et le forcer à le brûler, puis obliger son “protégé” à écrire la suite de Misery. En un sens, Annie est donc la personnification d’un syndrome de l’imposteur : Paul ne se sent pas capable de sortir de sa zone de confort de succès commercial et sabote son nouveau roman. Elle est aussi l’image de l’avis étouffant des autres, de la pression constante des fans, et de comment les attentes peuvent tuer la créativité. Paul est enfermé dans le carcan de ses œuvres précédentes qui l’écrasent en tant qu’esprit artistique. Bon certes, Annie est très littérale dans ses actions, et Paul n’y est pour rien. Mais c'est bien en ayant vécu cette expérience formatrice qu’il en sortira un nouveau livre inspiré et passionnant. Vous avez votre première méthode : supprimez votre syndrome de la page blanche en vous débarrassant de votre syndrome de l’imposteur et des attentes extérieures des autres ! Et puis faites également attention à vos fans, on ne sait jamais.
Images - Photograph: Lions Gate/Hemdale/Kobal/Rex/Shutterstock |
Le film Images de 1972 réalisé par Robert Altman, moins connu, propose une solution assez similaire : pour retrouver votre créativité, il faut supprimer ses démons intérieurs. Là, il n’est plus question de fans envahissants mais d’exs lubriques qui “ne veulent que” comme disent les jeunes. Cathryn, écrivaine de livres fantastiques pour enfants, commence à recevoir d’étranges coups de fils. Prise de peur, elle se dit que partir avec son mari dans leur maison familiale de campagne en Irlande ne pourra que lui faire du bien. Evidemment, elle a tort, puisque rapidement des hallucinations avec un certain nombre d’hommes différents, voulant tous la choper, l’assaillent. Les paysages sublimes de l’Irlande finissent par devenir angoissants, les souvenirs et le présent se mêlant dans l’esprit de notre protagoniste. Les phases d’écriture se déroulent en voix off, Cathryn avance lentement dans l’histoire, lors d’un rare moment de paix. Cela se termine en bain sanglant lorsqu’elle commence à tuer ces créatures de l’esprit -mais en sont-ce réellement ? Le film ne donnera que quelques éléments de réponse à la fin. Mais une certitude persiste : elle l’a bien fini, son livre pour enfant! Preuve s’il en est que de se débarrasser d’encombrants parasites mentaux est bon pour la créativité.
Sinister - Copyright Wild Bunch Distribution |
Passons à une autre méthode présente dans deux films très différents : emménager dans une demeure mystérieuse pour retrouver l’inspiration. Dans The Nesting (1981) de Armand Weston , c’est un manoir que Lauren, une écrivaine, a l’impression d’avoir vu en rêve. Dans Sinister (2012) de Scott Derrickson, c’est une maison moderne mais ayant été le théâtre de meurtres sordides, sur lesquels Ellison, auteur de romans policiers, va rapidement enquêter. Les deux films mettent en scène des écrivains en mal de sensations fortes, qui ont fortement besoin de sortir du train train quotidien pour se retrouver créativement. L'héroïne de The Nesting, souffre carrément d’une agoraphobie l’empêchant de sortir de chez elle, manifestation de son trouble à créer. Le père de famille de Sinister peine à retrouver le succès de son premier livre. Dans les deux cas, nos personnages souffrent d’une curiosité malsaine qui va pousser un peu (beaucoup?) trop loin leurs investigations dans les sombres passés des maisons et des crimes qu’elles contiennent. Ces investigations finissent par les éloigner pour de bon de leur but premier, qui était l’écriture. Serait-ce une méthode d’évitement de la tâche ? Un prétexte pour toujours aller plus loin dans les recherches et pas assez dans la véritable création ? La question se pose puisque l’intrigue des deux films repose largement sur cette enquête, et qu’au final aucun des deux personnages ne parvient à écrire. Bon, The Nesting n’a rien de l’angoissante fascination provoquée par Sinister, je vous l’accorde, et je crois que la fin de ce dernier film est largement la pire pour tout le monde. Peut-être s’agit-il de la méthode la moins safe de cette liste!
L'Oiseau au plumage de cristal - Copyright Droits Réservés |
Même fascination pour le crime dans le dernier film de ce petit corpus : L’oiseau au plumage de cristal (1970), un des premiers films du grand Dario Argento. Sam, un écrivain américain, tellement en panne d’inspiration qu’il écrit des catalogues scientifiques d’oiseaux (oui oui), assiste à une tentative de meurtre, ce qui va le bloquer à Rome. Cela va aussi déclencher en lui une motivation à enquêter sur cet événement qui va bien au-delà de l’engouement très minime qu’il avait pour son job précédent. Peut-être que lui aussi, comme dans les deux films précédents, évite sa propre création, et son propre avancement dans la vie : en effet, il a la possibilité de partir de Rome pour rentrer chez lui, mais s’engage toujours plus dangereusement et personnellement dans une enquête qui ne le concerne que peu. Il retrouve aussi un peu de frisson et de suspense dans sa vie bien rangée, le goût de l’aventure en somme. N’est-ce pas indispensable à tout bon créatif (la Léa de 12 ans qui écrivait des romans dystopiques vous dirait non) ? Bon certes, sa copine Julia n’est pas de son avis et va, elle aussi, se retrouver bien trop mêlée à l’enquête, point commun à plusieurs films de ce corpus : les personnages principaux y vont de leur petite quête d’inspiration, et les conséquences graves seront pour leurs proches. Poursuivis sans relâche par le meurtrier, Sam et Julia remplacent la police pour suivre la piste d’indices rocambolesques. Toujours est-il qu’une fois dépêtré de ces tentatives de meurtres à répétition, Sam trouvera le moyen de quitter son job peu stimulant pour s’envoler vers de nouvelles créations. A tenter donc si vous avez le goût du risque!
J’espère que ces méthodes vous ont plu - ou encore mieux, qu’elles vous auront inspiré. Toutes comportent leurs lots de problèmes si on les prend littéralement, mais je vous fais confiance pour être raisonnable. Allez, bonne création !