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[CRITIQUE] : La panthère des neiges

Réalisateur/Réalisatrice : Marie Amiguet et Vincent Munier
Acteur : -
Distributeur : Haut et Court
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français.
Durée : 1h32min

Synopsis :
Au coeur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier entraîne l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. En parcourant les sommets habités par des présences invisibles, les deux hommes tissent un dialogue sur notre place parmi les êtres vivants et célèbrent la beauté du monde.



Critique :


Dans les montagnes et les plateaux du Tibet, le dispositif est on ne peut plus simple et clair. Dans ce documentaire, le point de départ (et l'objectif) est d'aller trouver la fameuse panthère des neiges, pour en capturer des images. Photographe animalier, Vincent Munier part dans cette aventure folle dans les espaces sauvages tibétains. Mais il n'est pas tout seul. En dehors de l'équipe du film (évidemment réduite, pour ne pas perturber la vie animale), il entraîne l'écrivain Sylvain Tesson avec lui. Ensemble, ils mettront en application l'art de l'affût. Celui qui consiste à s'armer de patience pour rencontrer un animal, puis en capturer au moins une image. Cette patience se constitue de lecture de traces sur le sol, de repérages d'indices dans des grottes, de se positionner en cachette derrière des roches, de lutter contre le froid et le manque de ressources. Mais cette quête de la panthère des neiges n'est pas qu'un prolongement cinématographique du travail de Vincent Munier. Le documentaire se veut aussi être une réflexion sur la présence des humains et des animaux sur Terre, de notre place parmi tout le reste des êtres vivants, sur notre rapport à la nature. L'objectif étant de célébrer la beauté insoupçonnée du monde, en allant à la rencontre des êtres sauvages qui le peuple.

Copyright Haut et Court

Les dialogues entre Vincent Munier et Sylvain Tesson sont plein de bonne foi, plein de bonnes intentions, plein d'échanges et de réflexions sur le monde. Il y a les mots qui sont liés à la technique de leur aventure, d'autres liés à la fonction de toute être vivant, puis encore d'autres liés à une certaine poésie face à la nature qui s'offre devant eux. Toutefois, La panthère des neiges n'a rien de surprenant dans sa construction. La narration est totalement fermée sur elle-même, alors que les paysages s'ouvrent un à un aux corps des deux protagonistes et à tout regard. Il y a bien ce sentiment que la quête tient à cœur à Vincent Munier, qu'elle a ce quelque chose d'unique et de spontané. Mais l'enchaînement de tout ce parcours ne fait que créer un suspense inutile, retarder l'échéance, si bien que chaque geste, chaque paysage se répètent inlassablement. A force de voir Vincent Munier et Sylvain Tesson s'imposer dans le cadre, même en voix-off, le documentaire devient surtout un exposé de leur aventure. A tel point que tout être sauvage rencontré avant la panthère des neiges, ne sont pas tellement des phénomènes, mais plutôt des heureux accidents. Comme si ces êtres de passage (dans la narration) ne servent qu'à produire de belles images, à défaut de perturber la narration (ce qui aurait été vraiment poétique, pour le coup).

Copyright Haut et Court

Telle cette phrase lancée par Sylvain Tesson : « tout n'est pas destiné à être vu ». Alors, pourquoi les deux protagonistes s'enfoncent autant dans les paysages ? Mais surtout, pourquoi la caméra ressent ce besoin constant de tout capturer, de tout projeter à l'écran ? Comme s'il fallait trouver un sens pictural à chaque beauté qui s'offre devant soi, comme s'il fallait chercher la composition totale. En voulant tout capturer et ne rien laisser au hors-champ, et donc à l'imaginaire (le leur comme celui des spectateurs), le film ne pense qu'à son propos et laisse les images être le substitut. Si bien qu'il faille absolument brandir ce graal final à l'écran (la panthère des neiges), au lieu de laisser la perspective et les rêves agir. Le cadre crée beaucoup trop de proximité avec cette obsession, comme si les deux hommes détenaient l'oeil absolu de la beauté. Il est même étonnant de les voir parler des nomades et de leur mode de vie (jusqu'à les côtoyer dans la narration), sans jamais chercher à adopter une attitude qui pourrait y ressembler. Ils ne font pas corps avec le paysage, ils s'y engouffrent comme deux enfants qui veulent tous les jouets disponibles (à comprendre toutes les images possibles à réaliser).

Copyright Haut et Court

L'économie d'images et de moyens fait aussi partie de la poésie, au cinéma. Surtout lorsque qu'un film comme celui-ci adopte un montage très linéaire. À forces de multiplier les ellipses et les étapes de parcours, La panthère des neiges ne marque pas assez le temps pour en faire réellement un élément essentiel. Au lieu de laisser les paysages s'exprimer à leur place, le montage devient une sorte d'album photo avec les plus belles photographies d'êtres sauvages. Cette volonté absolue de vouloir se positionner à chaque fois entre les paysages (les images) et le regard de spectateur est bruyante, lourde et encombrante. Il est fort dommage que la part philosophique prenne autant d'espace, tant le documentaire tombe dans le piège de la contradiction entre l'illustration et la révélation, entre l'immortalisation et le rêve. Mais on ne pourra pas lui retirer un aspect qui le rend tout de même envoûtant à regarder. Comme la parole « dès qu'un être vous obsède, le monde prend forme », c'est la présence ou l'absence de quelque chose qui crée l'imaginaire. C'est alors que le film arrive à déployer la majesté de cet espace sauvage tibétain, presque vierge. Un paysage qui se dessine et s'agrandit dans le cadre, en se prolongeant en dehors du cadre. Ce saut dans un territoire inconnu est peut-être souvent maladroit et encombré, mais il arrive à capter toute la poésie d'un rêve qui échappe à l'être humain.


Teddy Devisme