[CRITIQUE] : Valeur Sentimentale

Réalisateur : Joachim Trier
Acteurs : Stellan Skarsgård, Renate Reinsve, Inga Ibsdotter Lilleas, Elle Fanning,...
Distributeur : Memento
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique, Comédie, Drame.
Nationalité : Français, Norvégien, Allemand, Suédois, Danois.
Durée : 2h12min

Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2025.

Agnès et Nora voient leur père débarquer après de longues années d’absence. Réalisateur de renom, il propose à Nora, comédienne de théâtre, de jouer dans son prochain film, mais celle-ci refuse avec défiance. Il propose alors le rôle à une jeune star hollywoodienne, ravivant des souvenirs de famille douloureux.

On avait laissé le talentueux cinéaste danois Joachim Trier il y a quatre ans, pas réellement jour pour jour (affres de la pandémie du Covid-19 oblige)mais déjà sur la Croisette avec Julie (En 12 Chapitres), une comédie romantico-satirique " Emma Bovary-esque " offrant un regard pointu et joliment poignant sur comment ce que l'on surnomme " les meilleures années " (comprendre la vingtaine), passant à une vitesse si folle que l'on ne réalise leur importance qu'une fois vécue.

Un film à l'image de son insaisissable et anticonformiste héroïne : en pleine crise existentielle, qui doute, essaye avec autant d'assurance que de maladresse, expérimente quitte à devoir en assumer les conséquences, trébuche face aux incertidutes et aux inquiétudes mais reste constamment digne et follement empathique.

Une pépite, rien de moins.

Moins romantique mais sensiblement plus mélancolique, on le retrouve toujours accompagnée de la magnifique Renate Reinsve avec Valeur Sentimentale, comédie dramatique férocement sous influences qui s'inscrit totalement dans l'ombre de Bergman, Ibsen et Allen, vissé qu'il est sur les aternoiements de deux sœurs soudée dont l'aînée, Nora, est une actrice de théâtre renommée, confrontées tout autant à la disparition de leur mère qu'au retour incongru de leur père metteur en scène, bien décidé à transformer la maison familiale désormais vide, comme un décor de cinéma pour son prochain long-métrage, lui qui n'a plus tourné depuis plus de quinze ans.

Un fantôme pour sa progéniture, qui cherche à user d'un lieu qui abrite tous les fantômes de leur propre histoire familiale, dont les voix à peine audibles se cachent encore dans chaque espaces des murs fissurés.
Bien décidé à ce que sa fille comédienne endosse le premier rôle, même si elle s'y refuse catégoriquement, il proposera in fine le rôle à une jeune star hollywoodienne, ravivant dès lors de douloureux souvenirs de famille...

Tout la sensibilité comme l’intelligence du film sont nichées là, dans cette désunion des contraires contrariés au sein d'une maison qui se fait le socle usé de toute une famille brisée, dans ce formidable et tumultueux jeu de miroirs entre un père absent qui fait du cinéma pour se rapprocher de lui-même et des autres - voire encore plus des siens -, et sa fille qui est justement devenu comédienne pour prendre ses distances avec elle-même, avec le poids des attentes qui pèse sur son âme (qui a, malgré elle, franchit les barrières de la dépression) au point d'écraser ses propres besoins.

Tout est là, dans cette volonté qu'à Trier à travers cette douloureuse relation (un père pas vraiment capable d'aimer, une fille pas forcément prompt à pardonner, jusqu'à ce que chacun sorte de son propre cadre), de non pas théoriser sur comment l'art imite et/où sauve une vie, mais bien les chemins complexes voire irréconciliables qui lient le processus de création artistique (qui peut tout autant être protecteur comme aliénant) et l'existence elle-même.

Récit tout en malentendus et en abandons, tout en frustrations et en contradictions, qui se met merveilleusement dans la peau de chacun de ses personnages là où la mise en scène elle, fait ressortir le meilleur des interprètes (Stellan Skarsgård, formidable même lorsqu'il offre La Pianiste de Haneke en DVD à son petit-fils de huit ans, et il trouve en Renate Reinsve, une nouvelle fois renversante, un co-pilote parfait, tandis que le duo Elle Fanning/Inga Ibsdotter Lilleas, même un poil en retrait, vole la vedette à chacune de leurs apparations); Valeur Sentimentale est un bijou de dramédie sobre, finement ciselée et d'une justesse rare où les larmes silencieuses sont d'or.

La Palme du cœur, mais aussi et surtout un vrai et beau Grand Prix.

Jonathan Chevrier