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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Trilogie « Teenage Apocalypse »


Ressortie en versions restaurées 2K et 4K, de la trilogie Teenage Apocalypse de Gregg Araki, composée : Totally F***ed Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997).

Distribution : Capricci Films





Gregg Araki, s'est un peu le nuage d'extasy dans le bol de céréales sans grumeaux du teen movie américain, la touche pop toute aussi vivante que vibrante d'un genre qui a longtemps été calibré pour correspondre à la formule " John Hughes approved " (de ses propres films qui survivent un peu mal à l'épreuve du temps, aux productions - sensiblement - policées du Brat Pack qui, malheureusement, n'ont pas toujours eu le roi Coppola pour les diriger), soit à celle encore moins défendable des nombreuses potacheries régressives et Porky-esques à la qualité variable (mais souvent fun, restons un minimum honnêtes).
Un cinéaste audacieux - surtout compte tenu des attentes du public -, qui choisissait d'arpenter un terrain plus sinueux et de coller un brin plus à la réalité en pointant du bout de sa caméra, sa bienveillance comme son inquiétude face à une jeunesse bouillonnante mais perdue, totalement laissée à l'abandon.

A l'image d'un Tim Hunter et de son excellent River's Edge, dont il est un pendant à l'identité queer totalement affirmée (et ils sont rares, très rares, les cinéastes à soutenir comme prendre parti de ses victimes d'une haine qui, outre-Atlantique, reprend sensiblement du poil de la bête sous la gouvernance de Trump), ses chroniques désenchantées se sont toujours faites l'autopsie adolescente de l'Amérique white trash de David Lynch, une pluie de portraits rageurs et pessimistes d'âmes pas encore adultes mais déjà désensibilisés par une société littéralement à la dérive, où la violence comme la sexualité, est a la fois partout et furieusement décomplexée.
Du pur cinéma ironique et transgressif (voire même un chouïa nihiliste, comme le cinéma d'un Harmony Korine qui contrairement à lui, s'est totalement fait bouffer par l'industrie Hollywoodienne) à la sincérité brute, dont la caméra esthétiquement en alerte trouve continuellement sa plénitude dans une marge qu'elle fait sienne, à la fois punk, gonzo, surréaliste et gorgée d'hormones.

Cadeau de Noël avant l'heure - où pas loin -, la firme Capricci Films, qui nous avait déjà gentiment gâté l'an dernier avec sa monstrueuse rétrospective Chantal Akerman (mais aussi la ressortie du chef-d'œuvre Val Abraham de Manoel de Oliveira), récidive en dégainant dans des copies restaurées et toutes pimpantes - 2K et 4K -, sa cultissime trilogie Teenage Apocalypse : Totally F***ed Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997), où trois bonnes raisons de squatter les salles obscures en cette rentrée ciné, il est vrai, particulièrement riche en jolies curiosités.


© Capricci films


Flanqué dans une L.A underground et desséchée par le soleil et la monotonie, Totally F***ed Up donne sensiblement le ton à toute la trilogie, chronique épisodique et éclatée sensibkement fans l'ombre du Masculin Féminin de Godard, vissé sur les aternoiements d'un petit groupe de jeunes membres de la communauté LGBTQ+ qui, après avoir chacun été rejetés par les siens - mais aussi, plus largement, la société -, se sont constitués leur propre famille de fortune à une heure où l'image de l'homophobie - le début des 90s -, est encore pleinement renforcée par un océan de stéréotypes et une répression publique que le Sida n'a fait que consolider.
Une immédiateté douloureuse qui donne encore plus de cœur et d'authenticité à cette oeuvre presque confessionnelle sur une jeunesse perdue et exclue, qui tente d'affirmer son identité queer dans une Amérique au moraliste oppressant, Araki capturant toutes les nuances - même contradictoires - de leur quotidien et de leurs aspirations, entre désir et défiance, affranchissement des normes (avant tout et surtout de l'hétéronormativité) et une vision désabusée de la vie.

Des figures attachantes et maladroites, punk à leur manière mais surtout cruellement réalistes, personnifiées à la perfection par un James Duval qui sert de véritable fil rouge saisissant à travers les trois films de la trilogie.
Plus nihiliste et sauvage se fait The Doom Generation qui, quelques mois après Tueurs Nés d'Oliver Stone (avec qui il partage plusieurs points de concordance), offre sa relecture d'un Bonnie and Clyde moderne façon road trip infernal imbibé d'amour passionné, de méthamphétamine et de junk food, collé au plus près des aléas pervers et violent - mais, encore une fois, pas dénué d'ironie mordante - d'un jeune couple entraîné par un mystérieux vagabond, dans une odyssée criminelle en périphérie de la Cité des Anges.
Une épopée choc et irréelle (embaumé dans un 35mm tout en filtres de couleurs criards, à l'image d'une B.O shoegaze qui gueule " No Future " dans les écoutilles de son auditoire) où la violence est tellement omniprésente à L.A, que le moindre crime commis est insensiblement craché dans la case faits divers et commenté avec gourmandise par la presse sensationnaliste.

Mais si la vision satirique de Stone - et Tarantino - s'attachait à des personnages à l'immoralité exacerbée par un monde apocalyptique sans foi ni valeurs, celle d'Akari se fait cela dit moins brutale, via des figures certes aliénées, sexuellement et émotionnellement co-dépendantes, mais avant tout et surtout confuses et désespérées, presque touchantes dans leur vulnérabilité dans le cauchemar sanglant qu'ils imposent.
Toutes aussi compulsives sont les âmes qui habitent et gravitent autour de Nowhere, chronique John Waters-esque sur une jeunesse brûlant la vie par les deux bouts (sexe, drogues et rock n'... grunge) pour masquer le chagrin, la solitude et la mélancolie qui les abîment, trouvant dans leurs connexions en marge, un refuge face à une société qui brille par sa haine et son manque cruel de tolérance.
Orgie chaotique et anarchique aussi caustique qu'elle est d'une honnêteté dépouillée, même dans ses envolées science-fictionnelles déglinguées, le film détourne avec gourmandise les stéréotypes adolescents vantées par les représentations du petit écran, au sein d'un simili-soap opéra feuilletonesque où Araki fait cohabiter transformation extraterrestre, télévangélistes sinistres et violents, sadomasochistes et quête de l'amour pur et véritable.

Le point final parfait d'une trilogie qui trouve merveilleusement sa perfection, dans les imperfections de celles et ceux à qui elle donne amoureusement et sans réserve, son attention.


Jonathan Chevrier