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[CRITIQUE] : Muganga - Celui qui soigne


Réalisatrice : Marie-Hélène Roux
Acteurs : Isaach de Bankolé, Vincent Macaigne, Manon Bresch, Déborah Lukumuena,...
Distributeur : L'Atelier Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h45min.

Synopsis :
Certains combats peuvent changer le cours de l'histoire.
Denis Mukwege, médecin congolais et futur Prix Nobel de la paix, soigne — au péril de sa vie — des milliers de femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. Sa rencontre avec Guy Cadière, chirurgien belge, va redonner un souffle à son engagement.




Il y a des carrières qui ne sont, parfois, pas forcément à la hauteur des talents qui les portent, pas tant dans les directions comme les choix (où le manque de choix aussi, selon les parcours) qui ont pu les façonner, mais plus dans le retentissement de celle-ci et, de facto, la reconnaissance plus où moins affirmée qui en découle.

Celle du talentueux comédien ivoirien Isaach de Bankolé, que l'on a tous sensiblement découvert au cœur de comédies bien de chez nous qui ont méchamment du mal à passer l'épreuve du temps (on pense, instinctivement, à Black Mic-Mac de Thomas Gilou où encore Les Keufs de Josiane Balasko), est décemment de celles-ci, quand bien même la dernière décennie semble le replacer un poil plus sur le devant de la scène - tant mieux.

Copyright Petites Poupées Production

Visage familier des cinémas de Claire Denis (pour qui il vient tout juste de tourner l'attendu Le Cri des gardes) et Jim Jarmusch, qui a su modestement creuser son trou outre-Atlantique, aussi bien dans des blockbusters que du côté du circuit indépendant, sans oublier quelques passages remarqués sur le petit écran (Les Soprano, 24 heures chrono ou encore The Good Wife, ça flatte gentiment un C.V.), c'est ni plus ni moins qu'en rôle-titre du second long-métrage de la wannabe cinéaste Marie-Hélène Roux (co-écrit avec Jean-René Lemoine), Muganga - Celui qui soigne (littéralement la définition, en swahili, du terme Muganga), qu'on le retrouve en ces premières heures d'un automne ciné particulièrement dense en propositions.

Drame inspiré tout autant du roman Panzi de Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière, que de l'histoire vraie du premier, gynécologue, militant des droits de l'homme kino-congolais et Prix Nobel de la Paix en 2018 qui, au péril de sa vie depuis la fin des années 80, a soigné des milliers de femmes victimes de violences sexuelles dans l'Est de la République démocratique du Congo.
Atrocités quotidiennes (plus de 1000 femmes seraient encore violées chaque jour, dans cette zone du monde) qui n'ont pas suffisamment d'importance pour être un tant soit peu abordées, aux yeux de médias hexagonaux à la décence absente (où à l'empathie à géométrie variable), là où le septième art arrive à se faire un lanceur d'alerte à l'écho plus où moins porteur (citons le très beau documentaire City of Joy de Madeleine Gavin, disponible sur Netflix).

Loin du simple exercice de glorification même si frappé d'un certain didactisme (très) marqué (voire de quelques raccourcis tout aussi faciles), la narration s'attache à retranscrire son histoire importante non pas de manière hagiographique, mais bien au détour de sa rencontre avec le chirurgien belge Guy-Bernard Cadière (qui a une part toute aussi importante à l'écran), avec qui il partagera la quête magnifique et juste de réparer les corps meurtris de femmes brisées par la violence sourde et abjecte de l'homme (dont elle a le bon ton, quitte à profondément déstabiliser son auditoire, de ne jamais masquer la cruauté), comme de leur permettre de retrouver un semblant de dignité.

Copyright Petites Poupées Production

Tragédie d'une beauté inquiétante où la cinéaste n'hésite pas à mettre férocement dans le bain le spectateur, et ce dès une ouverture proprement glaçante (qui pointe comment les violences sexuelles sont une arme de terreur massive), Muganga - Celui qui soigne se fait une séance dure et bouleversante même si pas exempt de quelques panouilles un poil dommageables, comme son choix regrettable de ne jamais véritablement donner la parole aux victimes (au second plan), voire de s'appuyer sur une mise en scène trop scolaire pour son bien, qui ne tire pas toujours pleinement toute l'essence de la justesse de sa distribution (mention à un Isaach de Bankolé tout en nuances et d'une sobriété rare), ni de la belle photographie de Renaud Chassaing (déjà derrière celle, magnifique, du récent - et oubliable - La Réparation de Régis Wargnier).

Formellement imparfait donc mais, politiquement, hautement important et nécessaire.


Jonathan Chevrier