Breaking News

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Marcel Pagnol - Partie 2


Rétrospective Marcel Pagnol - Partie 2 en six films du cinéaste, distribués en versions restaurées 2K et 4K : Cigalon (1935), Merlusse (1935), Naïs (1945), Manon des Sources (1952), Ugolin (1952) et Les Lettres de mon moulin (1954).

Distributeur : Carlotta Films.




Toi, oui toi, plus où moins vulgairement affalé dans ton fauteuil où alors mal assis dans des transports en communs définitivement trop communs, tu es en passe d'apprendre une sacrée nouvelle dont tu n'avais même pas conscience : cet été, ce n'est pas l'été de Superman, des Quatre Fantastiques, de Pixar où même de ScarJo et ses dinos, c'est bien l'été de Marcel Pagnol... comme l'an dernier certes, mais ne chipote pas.

Pas avare en gourmandise, Carlotta Films ont mis les petits plats dans les grands dès que les beaux jours sont arrivés, avec rien de moins que la seconde moitié de son imposante rétro Pagnol donc (seize séances au compteur), une autre de dix films composant les débuts de carrière du prolifique Alfred Hitchcock (la rétrospective « Hitchcock, aux origines du maître du suspense »  composée de dix films dont Le Masque de CuirChantage, À l’est de Shanghai où encore Numéro 17), mais aussi quelques séances inédites pas piquées des hannetons au milieu : Confusion chez Confucius et Mahjong d'Edward Yang (toujours en salles, foncez), Les Chevaux de feu de Sergueï Paradjanov où encore La Forteresse Noire du roi Michael Mann, dégainés dans une versions restaurées 2K/4K toute pimpante.

Et parce que les ressorties, c'est notre dada, on est évidemment revenu, modestement, sur chacun et il était évident qu'on ne laisserait pas comme Bebe, la légende marseillaise dans un petit et pittoresque coin provençal...

Merlusse - Henri Poupon - Copyright CARLOTTA FILMS

Six films sinon rien (Cigalon, Merlusse, Naïs, Manon des Sources, Ugolin et Lettre ), qui débute avec le résolument cocasse et sans grande prétention Cigalon, modeste petit bout de comédie vissé sur un restaurateur du même nom (génial Arnaudy), cuisto renfrogné d'un petit village de Provence qui a toujours catégoriquement refusé de servir ses clients - alors qu'il est le seul restaurateur du village.
Tout change cela dit lorsque l'ancienne blanchisseuse de l'hôtel où il officiait, Virginie Toffi, vient lui annoncer qu'elle va ouvrir un restaurant concurrent dans son village.
Vexé, le narcissique lascar décide de changer de fusil d'épaule et de défier une concurrente qui, s'il elle s'en refusa un temps, deviendra finalement sa future épouse.
De la comédie provençale sans trop de nuances mais à la mauvaise foi anthologique, bardée de dialogues succulents et de vociférations excessives, qui vaut néanmoins le coup d'œil malgré la dure loi du temps.

Si son ancrage temporel durant les fêtes de fin d’année ne peut que créer une discordance avec la météo estivale du moment, il se dégage une chaleur humaine que l’on souhaite célébrer au cœur de Merlusse dont le point de départ, assez simple, a servi d’influence à de nombreux titres et cela se ressent : le personnage désagréable qui se doit de garder un groupe d’enfants pendant une période censée célébrer l’union et le rapprochement.
Alexander Payne ne s’est pas caché d’avoir totalement repris la formule et il n’est guère le seul mais cela n’empêche pas le long-métrage d’avoir ses arguments.
Déjà, sa durée réduite (72 minutes) impose un resserrement qui fonctionne assez bien, surtout au vu de ses contours narratifs. La référence au conte n’est clairement pas anodine car il s’inscrit dans les valeurs humanistes de Noël avec beaucoup de cœur.

La mise en scène profite également de ce côté carré, notamment lors d’un travelling arrière durant un repas qui recadre le groupe.
Surtout, la véracité du style est indéniable. Certes, on pourra dire qu’il y a des points qui ont inévitablement vieilli, logique pour un titre qui va souffler ses 90 bougies. Mais l’ancrage dans le sud et les relations entre enfants sont criants de vérité, renvoyant pour le coup à un rapport régional bien trop souvent délaissé dans les productions récentes et une amorce empathique touchante de véracité.
Le rapport à l’abandon lie alors ces protagonistes avec une douceur quasi naïve mais dont la sensibilité n’a de cesse d’émouvoir, notamment lors du discours final d’un personnage se sachant en dehors de ce monde mais n’ayant de cesse de conserver la magie de l’enfance dans ses pensées.

Cigalon - Alexandre Arnaudy - Copyright CARLOTTA FILMS

Adaptation plus où moins fidèle (sa fin diffère grandement de son matériau d'origine) d'une nouvelle méconnue d'Émile Zola, Naïs Micoulin, mis en boîte par Raymond Leboursier dans une France occupée, Naïs, qui marque le retour aux affaires de Pagnol cinq ans après La Fille du Puisatier (La Prière des étoiles tourné en 1941, est resté inachevé après que le bonhomme est, volontairement, détruit la grande majorité des séquences qu'il a tournées, pour ne pas que le film ne soit récupéré par la société Continental Films de l'occupant allemand), se fait lui une œuvre sensiblement plus sombre (moins dans la réalité, puisque le film va lui permettre de rencontrer sa nouvelle muse, la jeune comédienne Jacqueline Bouvier) et peut-être même l'une des moins subtiles de cette rétrospective, quand bien même elle est marquée par la maestria des dialogues du bonhomme (les quelques tirades pétri d'humanité de Fernandel, sont juste formidables) mais aussi par les mêmes thématiques - et le même type de personnages - qui irriguent son cinéma.

L'histoire suit les aternoiements de Toine (un magnifique Fernandel, clairement dans l'un de ses plus beaux rôles, incarnation parfaite et embaumé d'amertume de l'humilité paysanne face au cynisme et au mépris citadin) ouvrier et valet de ferme bossu, qui aime secrètement la belle Naïs, fille unique du père Micoulin, le métayer odieux (l'image même du père possessif que l'on retrouve souvent au sein de l'œuvre de Pagnol) de la famille Rostaing, pour qui il travaille.
Mais Naïs elle, tombe amoureuse de Frédéric Rostaing, fils des propriétaires de la ferme, ce que voit d'un mauvais œil son paternel qui médite d'assassiner Frédéric (la faute à une notion de l'honneur particulièrement extrême), dans un stratagème qui se retournera in fine contre lui, grâce à l'intervention de Toine.

Mélodrame pas forcément aidé par un rythme un poil décousu, ni des personnages ne dépassant jamais réellement leurs stéréotypes, le film n'en reste pas moins une joli itération d'une sempiternelle lutte des classes tout autant qu'une exploration d'une emprise patriarcale oppressive et violente.
Plus juste se fait le diptyque fleuve (près de quatre heures de bobines, en réalité un seul et même film scindé en deux pour une question d'exploitation en salles) Manon des Sources et Ugolin (plus verbeux mais définitivement plus plaisant à suivre), le chef-d'œuvre âpre et théâtral tout en cigales, en secrets (pas très bien) cachés et en querelles tenaces et intergénérationnelles du Marcel.

Naïs - Raymond Pellegrin, Jacqueline Pagnol (Bouvier), Fernandel - Copyright CARLOTTA FILMS

Une tragédie emballée par un lyrisme et une légèreté salutaire (cet humour si authentique cher au cinéaste) et qui frappe par la fluidité de son découpage, toujours au plus près, dans un arrière pays provençal rarement aussi vivant et palpable à l'écran, de la vengeance de l'éspiègle et sauvageonne bergère Manon, Antigone moderne que l'on juge sorcière (Jacqueline Bouvier devenue Pagnol et blonde comme les blés, au jeu pas toujours crédible), envers Papet et Ugolin, responsables de la mort de son père (le « bossu des sources », qui s'est littéralement tué à la tâche), qu'elle opérera en détournant la source qui alimente le village en eau potable - le point le plus vulnérable des lieux.
Véritable œuvre somme (qu'il enrichira par l'écrit dix ans plus tard, avec L’Eau des collines) aux personnages hauts en couleur (dont il se penche sur les défauts plus ou moins grossiers, avec un amusement jamais feint), porté par la magnifique photographie de Willy Faktorovitch, qui capture chaleureusement la beauté de La Traille et Aubagne, Pagnol sonde admirablement les dilemmes moraux comme les cœurs asséchés d'hommes confrontés à leurs actes - où à leur complicité - comme à une sorte de justice divine qui garde en mémoire les zones d'ombre du passé.

Cette rétrospective se clôt sur Les Lettres de mon moulin, film à sketchs façon adaptation fidèle de quatre nouvelles comme autant de parties, d'Alphonse Daudet (L’Élixir du Père Gaucher, Le Secret de Maître Cornille, Les Trois messes basses et Le Curé de Cucugnan, rajouté ultérieurement de son montage cinéma, pour une diffusion à la télévision), mais surtout ultime long-métrage du pendant cinéaste de Pagnol, chroniques spiritualo-comiques et sensiblement désuètes dont on retiendra les deux premières parties (notamment celle où le Père Gaucher, pour sauver son abbaye, se lance dans la fabrication d’un élixir qui n'en est pas réellement un), moins frappées par un rythme décousue et une certaine redondance (comme la dernière et son sermont d'une bonne demie heure).

Le point final un poil en demi-teinte d'un imposant et essentiel édifice qui vaut, assurément, son gourmand pesant de pop-corn, encore plus au cœur d'un été résolument riche en ressorties.


Cet article a été écrit à quatre mains, par Jonathan Chevrier et Liam Debruel