[CRITIQUE] : In Water
Réalisateur : Hong Sang-soo
Avec : . Shin Seokho, Ha Seongguk, Kim Seungyun, Kim Minhee,…
Distributeur : Arizona Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Sud-coréen
Durée : 1h01min
Synopsis :
Sur l’île rocheuse de Jeju, un jeune acteur réalise un film. Alors que l’inspiration lui manque, il aperçoit une silhouette au pied d’une falaise. Grâce à cette rencontre et à une chanson d’amour écrite des années plus tôt, il a enfin une histoire à raconter.
Critique :
Malgré son court format, on a l’impression que Hong Sang-soo dévoile ses failles dans le magnifique et apaisé #InWater, vissé, avec son image partiellement floue, sur les pérégrinations d'un jeune homme lancé dans la réalisation de son premier court-métrage. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/k0SuhnDYVq
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 25, 2024
Ce qui demeure dans l'œuvre de Hong Sang-soo, c’est une image. Celle qui confond parfois la réalité et la fiction, celle qui rassemble les êtres autour d’une table, ivres, s’épanchant longuement sur le sens de la vie, de l’art, de l’amour. Nous sommes maintenant si habitués à le voir en salles au minimum deux fois par an qu’il est devenu le rendez-vous incontestable d’une année cinéphilique. Après le très beau Walk Up, le cinéaste coréen nous invite à la plage, sur l’île de Jeju avec In Water. L’image, partiellement floue, constitue cette fois l’âme de ce petit film d’une heure où l’on suit un jeune homme qui réalise son premier court métrage.
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Rien ne semble comme d’habitude. L’image, en couleur (chose assez rare de nos jours chez le réalisateur), se floute dès que les personnages mettent le pied à l'extérieur. Une des premières scènes du film, une scène de repas autour d’une table, ne ressemble à aucune autre. Les protagonistes mangent une pizza et, comble de l’horreur, boivent du soda ! Ses détracteurs pourraient dire, en rigolant, qu’il se met enfin à changer de disque. Hong Sang-soo fait-il toujours le même film ? Non, mais comme nombre de ses pairs, il a ses sujets de prédilections. La création artistique en fait partie. Ses personnages sont souvent dans le flou, un flou existentiel. Cette fois, il met le public dans le flou et trouble nos perceptions. On peut y voir sûrement la métaphore du trouble que subit Seongmo alors qu’il cherche désespérément un sujet pour son film. Il erre dans l’île presque comme un poète torturé en proie au spleen, entraînant dans son sillage son actrice et son cadreur qui se demandent tous deux ce qu’ils foutent là. Qu’est-ce qui lui prend à Seongmo, à vouloir réaliser à tout prix alors qu’il n’a ni scénario, ni idée, ni image en tête, juste une envie de créer ?
Seongmo sait une chose, il veut réaliser un film qui ne ressemble à aucun autre. La tentation de tendre un miroir à Hong Sang-soo lui-même est trop forte pour ne pas le faire, lui qui aime tant flouter les lignes entre l’intime et la fiction, lui qui aime tant s’éloigner d’un cinéma divertissant que l’on consommerait comme du pop-corn. C’est en voyant une femme ramasser des déchets sur la plage – laissés par des touristes – sur son temps libre que le réalisateur en herbe tient son film. On peut y voir une critique, peu déguisée, face au consumérisme et au tourisme de masse. On peut aussi avoir une lecture métatextuelle de ce choix de recréer, au mot près, cette rencontre fortuite pour qu’elle soit la plus réaliste possible. Encore une fois, les frontières se troublent. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est fabriqué ? On se rappelle de ces plans dans La romancière, le film et le heureux hasard, où l’héroïne se servait d’une promenade avec son actrice pour réaliser son premier film. Les images en question n'étaient autre que des plans intimes où le cinéaste avait filmé sa compagne, Kim Minhee, lors d’une promenade, cette dernière interprétant l’actrice dans le film.
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Mais peut-on y voir une forme de pudeur dans ce choix de flou prononcé ? Malgré son court format, on a l’impression que Hong Sang-soo dévoile ses failles dans In Water. Alors que La Romancière se finissait sur le visage de l’être aimé qui murmurait “je t’aime”, le film qui nous intéresse se termine par un long plan où Seongmo s’éloigne vers la mer, dans le flou. Comme un au-revoir un peu brutal amorti par l’état gazeux du flou, qui nous laisse un sentiment aéré, avec pour unique musique une chanson écrite par Hong Sangsoo où il est question d’un amour appartenant au passé. S’il y aurait un état définitif à voir un personnage s’éloigner vers la mer, c’est-à-dire vers l’inconnu, vers la solitude, c’est une toute autre sensation que l’on a dans le flou, un sentiment diffus de plénitude et de beauté que l’on ne peut identifier. Comme si, une fois que Seongmo avait goûté à la joie (et à la douleur) de la création, il se délestait d’un poids et qu’il se trouvait un nouvel horizon.
Laura Enjolvy