[CRITIQUE] : Animale
Réalisatrice : Emma Benestan
Avec : Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivian Rodriguez, Claude Chaballier,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Belge, Français.
Durée : 1h40min.
Synopsis :
Ce film est présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024 et en est le film de clôture.
Nejma s’entraine dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde…
Critique :
Il y a de ces films qui vous rappellent tout ce que vous aimez dans le cinéma. Cela peut venir de différentes raisons et expériences mais ça reste un bonheur que de se retrouver confronté à un long-métrage qui éveille des sensations telles qu’on en sort tremblant. Animale fait partie de ces titres. On aurait dû se sentir préparé pourtant au vu du premier long-métrage d’Emma Benestan, Fragile. Ce renversement de comédie romantique parvenait à briller de manière solaire tout en jetant un œil vif et amoureux sur les rapports et attentes de genre, avec un cœur qui battait tout au long de ce film vibrant. Animale, en un sens, se trouve être un contrepoint total. Et pourtant, on en sort le souffle coupé par sa proposition.
Pour son deuxième long-métrage, Emma Benestan capte une autre forme de chaleur, plus moite et effrayante. Ici, ce n’est pas tant le soleil qui irradie la peau que la nuit qui renforce son pouvoir d’inconnu. La metteuse en scène inscrit en ce sens Animale dans des courants connus et pourrait sembler à priori classique dans son déroulé narratif. Pourtant, alors que beaucoup de personnes reprochent (erronément) un manque d’ambition dans le cinéma français, cette inscription dans les genres se fait avec une envie sincère de ressenti, sans jamais tomber dans la moquerie et en assumant pleinement ses inscriptions. Son côté régional ne vire ainsi jamais dans la caricature mais dans une forme de quotidienneté où la normalité imposée se voit bousculée par la violence qu’elle a engendrée.
Dans un rôle nécessitant une implication physique totale, Oulaya Amamra crève l’écran à chaque instant, jeune femme qui se voit souvent ramenée à son genre en s’opposant à des protagonistes à la virilité assumée. Ce rapport de force et des genres électrise le récit, rend l’atmosphère moins respirable encore et accentue cette fièvre au sein du récit, emballé par une mise en scène à la physicalité assumée. Le reflet qui se dégage de Fragile accentue sa noirceur, son malaise et cette sensation de vertige qui nous prend peu à peu dans la perte de contrôle du corps et de l’identité, jusqu’à une dernière image d’une perfection thématique assourdissante.
Dans sa façon d’inscrire ses réflexions dans une multiplicité qui étouffe d’autant plus son héroïne, Animale se révèle d’une animosité frappante, Emma Benestan jouant de ses codes pour mieux narrer des terreurs réelles dans la désappropriation des corps et des identités. La question du rapport de genre s’en fait plus enflammée, douloureuse, avec le mal-être de ces séquences nocturnes aussi belles plastiquement qu’angoissantes dans ce qu’elles révèlent. Il en ressort un long-métrage, à l’image de son actrice principale, Oulaya Amamra, d’une intensité haletante, à la mise en scène qui mériterait bien des louanges plus précises encore. N’ayons pas peur des mots : c’est incontestablement un des meilleurs films de l’année.
Liam Debruel
Second long-métrage de la réalisatrice franco-algérienne Emma Benestan, Animale est le moyen pour elle de montrer son amour pour la Camargue et ses taureaux. Avant ce projet très personnel, elle s’est fait connaître en tant que réalisatrice avec la comédie romantique Fragile (2021) qui marque aussi le début de sa collaboration avec Oulaya Amamra, également actrice principale d’Animale. On y sent une véritable maîtrise du langage cinématographique et pour cause Emma Benestan bien que jeune a déjà travaillé sur différents postes pour les long-métrage suivants : scénariste pour Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand - 2023), monteuse pour Mektoub, my love (Abdellatif Kechiche - 2018) et cheffe opératrice pour Demain C loin (Jean-Baptiste Saurel - 2012).
Depuis quelques années, la jeune fille se fait animal : tigresse dans Tiger Stripes (Amanda Nell Eu - 2023), oiseaux dans Bird (Andrea Arnold - 2024) et Mi Bestia (Camila Beltrán - 2024) et ici, taureau. Une poignée de films, héritiers de La Féline (Jacques Tourneur - 1942) qui laissent leur personnage embrasser leur caractère hors norme et se libérer du cadre et des carcans d’une société. Animale rentre parfaitement dans ce modèle : Nejma est une jeune femme qui n’a pas particulièrement envie de se plier aux attentes d’une société, personnifiées par le personnage d’une mère desemparée par les choix de sa fille et qui tente à coup de patisseries mielleuses de la remettre dans le droit chemin.
Le taureau n’est pas un symbole anodin. Dans de nombreuses sociétés, il représente la virilité, la force brute. Le choisir comme alter ego de Nejma est un moyen malin à la fois de jouer sur les contrastes et d’appuyer sur l’environnement très masculin de la jeune femme. Même si elle semble bien intégrée, elle doit toujours en faire plus pour se montrer à la hauteur et être considérée comme l’égale de ses comparses. But inatteignable car elle se révélera être comme les taureaux aux yeux de ses amis et collègues: un simple jouet pour sales gosses mal élevés et une créature dont on peut disposer du corps. La métaphore, crue mais poétique, est joliment retranscrite par une photographie qui joue habilement avec le clair obscur et un camaïeu ocre. La fin s’embourbe par contre dans un enchaînement de révélations plutôt abruptes, même si attendues, et un peu confuses.
L’un des problèmes majeurs du film est de ne finalement traiter le taureau que comme symbole et non comme être vivant fait de chair et de sang. Il n’est que l’alter ego de Nejma et lui sert de miroir mais sa situation en tant qu’animal et la responsabilité de l’homme sur celle-ci ne seront pas vraiment mise en question, ou pas de manière assez claire et radicale. Ce qui en plus semble en total contradiction avec tout le superbe travail de maquillage fait sur Oulaya Amamra qui donne corps à cette chimère. La douleur de cette dernière est palpable. Pourquoi ne pas s’arrêter plus sur celles des taureaux qu’on voit pourtant à de multiples reprises être blessés voir tués ? Et surtout pourquoi ne pas plus remettre en question la responsabilité de l’homme et de ce type de loisir très particulier qu’est la course camarguaise ?
Animale se révèle être une œuvre ambiguë, portée par la performance intense d'Oulaya Amamra, qui incarne avec brio une Nejma tiraillée entre son désir de liberté et les contraintes imposées par une société machiste. Emma Benestan signe un film où le symbolisme animal, notamment à travers l’image du taureau, s’entrelace avec les luttes intérieures du personnage principal, offrant un regard subtil sur les rapports de pouvoir, la violence et la quête d'émancipation. Toutefois, si le film réussit à capturer la puissance et la beauté du mythe, il peine à interroger de manière plus approfondie les enjeux éthiques liés à la course camarguaise et à l’exploitation animale, laissant quelques pistes non explorées. En définitive, Animale est un beau portrait de femme, mais qui, malgré sa poésie visuelle, aurait gagné à pousser plus loin sa réflexion sur la souffrance des taureaux et la responsabilité humaine.
Éléonore Tain
Avec : Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivian Rodriguez, Claude Chaballier,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Belge, Français.
Durée : 1h40min.
Synopsis :
Ce film est présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024 et en est le film de clôture.
Nejma s’entraine dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde…
Critique :
Dans sa façon d’inscrire ses réflexions dans une multiplicité qui étouffe son héroïne,#Animale se révèle d’une animosité frappante, Emma Benestan jouant de ses codes pour mieux narrer des terreurs réelles dans la désappropriation des corps et des identités. (@LiamDebruel) pic.twitter.com/zxWFMeSusD
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 22, 2024
Il y a de ces films qui vous rappellent tout ce que vous aimez dans le cinéma. Cela peut venir de différentes raisons et expériences mais ça reste un bonheur que de se retrouver confronté à un long-métrage qui éveille des sensations telles qu’on en sort tremblant. Animale fait partie de ces titres. On aurait dû se sentir préparé pourtant au vu du premier long-métrage d’Emma Benestan, Fragile. Ce renversement de comédie romantique parvenait à briller de manière solaire tout en jetant un œil vif et amoureux sur les rapports et attentes de genre, avec un cœur qui battait tout au long de ce film vibrant. Animale, en un sens, se trouve être un contrepoint total. Et pourtant, on en sort le souffle coupé par sa proposition.
Copyright 2024 JUNE FILMS - FRAKAS PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINÉMA - WILD BUNCH - RTBF |
Pour son deuxième long-métrage, Emma Benestan capte une autre forme de chaleur, plus moite et effrayante. Ici, ce n’est pas tant le soleil qui irradie la peau que la nuit qui renforce son pouvoir d’inconnu. La metteuse en scène inscrit en ce sens Animale dans des courants connus et pourrait sembler à priori classique dans son déroulé narratif. Pourtant, alors que beaucoup de personnes reprochent (erronément) un manque d’ambition dans le cinéma français, cette inscription dans les genres se fait avec une envie sincère de ressenti, sans jamais tomber dans la moquerie et en assumant pleinement ses inscriptions. Son côté régional ne vire ainsi jamais dans la caricature mais dans une forme de quotidienneté où la normalité imposée se voit bousculée par la violence qu’elle a engendrée.
Dans un rôle nécessitant une implication physique totale, Oulaya Amamra crève l’écran à chaque instant, jeune femme qui se voit souvent ramenée à son genre en s’opposant à des protagonistes à la virilité assumée. Ce rapport de force et des genres électrise le récit, rend l’atmosphère moins respirable encore et accentue cette fièvre au sein du récit, emballé par une mise en scène à la physicalité assumée. Le reflet qui se dégage de Fragile accentue sa noirceur, son malaise et cette sensation de vertige qui nous prend peu à peu dans la perte de contrôle du corps et de l’identité, jusqu’à une dernière image d’une perfection thématique assourdissante.
Copyright 2024 JUNE FILMS - FRAKAS PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINÉMA - WILD BUNCH - RTBF |
Dans sa façon d’inscrire ses réflexions dans une multiplicité qui étouffe d’autant plus son héroïne, Animale se révèle d’une animosité frappante, Emma Benestan jouant de ses codes pour mieux narrer des terreurs réelles dans la désappropriation des corps et des identités. La question du rapport de genre s’en fait plus enflammée, douloureuse, avec le mal-être de ces séquences nocturnes aussi belles plastiquement qu’angoissantes dans ce qu’elles révèlent. Il en ressort un long-métrage, à l’image de son actrice principale, Oulaya Amamra, d’une intensité haletante, à la mise en scène qui mériterait bien des louanges plus précises encore. N’ayons pas peur des mots : c’est incontestablement un des meilleurs films de l’année.
Liam Debruel
Second long-métrage de la réalisatrice franco-algérienne Emma Benestan, Animale est le moyen pour elle de montrer son amour pour la Camargue et ses taureaux. Avant ce projet très personnel, elle s’est fait connaître en tant que réalisatrice avec la comédie romantique Fragile (2021) qui marque aussi le début de sa collaboration avec Oulaya Amamra, également actrice principale d’Animale. On y sent une véritable maîtrise du langage cinématographique et pour cause Emma Benestan bien que jeune a déjà travaillé sur différents postes pour les long-métrage suivants : scénariste pour Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand - 2023), monteuse pour Mektoub, my love (Abdellatif Kechiche - 2018) et cheffe opératrice pour Demain C loin (Jean-Baptiste Saurel - 2012).
Copyright JUNE FILMS |
Depuis quelques années, la jeune fille se fait animal : tigresse dans Tiger Stripes (Amanda Nell Eu - 2023), oiseaux dans Bird (Andrea Arnold - 2024) et Mi Bestia (Camila Beltrán - 2024) et ici, taureau. Une poignée de films, héritiers de La Féline (Jacques Tourneur - 1942) qui laissent leur personnage embrasser leur caractère hors norme et se libérer du cadre et des carcans d’une société. Animale rentre parfaitement dans ce modèle : Nejma est une jeune femme qui n’a pas particulièrement envie de se plier aux attentes d’une société, personnifiées par le personnage d’une mère desemparée par les choix de sa fille et qui tente à coup de patisseries mielleuses de la remettre dans le droit chemin.
Le taureau n’est pas un symbole anodin. Dans de nombreuses sociétés, il représente la virilité, la force brute. Le choisir comme alter ego de Nejma est un moyen malin à la fois de jouer sur les contrastes et d’appuyer sur l’environnement très masculin de la jeune femme. Même si elle semble bien intégrée, elle doit toujours en faire plus pour se montrer à la hauteur et être considérée comme l’égale de ses comparses. But inatteignable car elle se révélera être comme les taureaux aux yeux de ses amis et collègues: un simple jouet pour sales gosses mal élevés et une créature dont on peut disposer du corps. La métaphore, crue mais poétique, est joliment retranscrite par une photographie qui joue habilement avec le clair obscur et un camaïeu ocre. La fin s’embourbe par contre dans un enchaînement de révélations plutôt abruptes, même si attendues, et un peu confuses.
L’un des problèmes majeurs du film est de ne finalement traiter le taureau que comme symbole et non comme être vivant fait de chair et de sang. Il n’est que l’alter ego de Nejma et lui sert de miroir mais sa situation en tant qu’animal et la responsabilité de l’homme sur celle-ci ne seront pas vraiment mise en question, ou pas de manière assez claire et radicale. Ce qui en plus semble en total contradiction avec tout le superbe travail de maquillage fait sur Oulaya Amamra qui donne corps à cette chimère. La douleur de cette dernière est palpable. Pourquoi ne pas s’arrêter plus sur celles des taureaux qu’on voit pourtant à de multiples reprises être blessés voir tués ? Et surtout pourquoi ne pas plus remettre en question la responsabilité de l’homme et de ce type de loisir très particulier qu’est la course camarguaise ?
Copyright JUNE FILMS |
Animale se révèle être une œuvre ambiguë, portée par la performance intense d'Oulaya Amamra, qui incarne avec brio une Nejma tiraillée entre son désir de liberté et les contraintes imposées par une société machiste. Emma Benestan signe un film où le symbolisme animal, notamment à travers l’image du taureau, s’entrelace avec les luttes intérieures du personnage principal, offrant un regard subtil sur les rapports de pouvoir, la violence et la quête d'émancipation. Toutefois, si le film réussit à capturer la puissance et la beauté du mythe, il peine à interroger de manière plus approfondie les enjeux éthiques liés à la course camarguaise et à l’exploitation animale, laissant quelques pistes non explorées. En définitive, Animale est un beau portrait de femme, mais qui, malgré sa poésie visuelle, aurait gagné à pousser plus loin sa réflexion sur la souffrance des taureaux et la responsabilité humaine.
Éléonore Tain