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[CRITIQUE] : Jusqu'au bout du monde



Réalisateur : Viggo Mortensen
Avec : Vicky Krieps, Viggo Mortensen, Solly McLeod, Garret Dillahunt,…
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame, Romance, Western.
Nationalité : Mexicain, Canadien, Danois.
Durée : 2h09min

Synopsis :
L’Ouest américain, dans les années 1860. Après avoir fait la rencontre de Holger Olsen, immigré d’origine danoise, Vivienne Le Coudy, jeune femme résolument indépendante, accepte de le suivre dans le Nevada, pour vivre avec lui. Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen décide de s’engager et Vivienne se retrouve seule. Elle doit désormais affronter Rudolph Schiller, le maire corrompu de la ville, et Alfred Jeffries, important propriétaire terrien. Il lui faut surtout résister aux avances plus qu’insistantes de Weston, le fils brutal et imprévisible d’Alfred. Quand Olsen rentre du front, Vivienne et lui ne sont plus les mêmes. Ils doivent réapprendre à se connaître pour s’accepter tels qu’ils sont devenus…



Critique :



Il y a toujours quelque chose de profondément intéressant à l'idée de voir un grand comédien se décider à passer derrière la caméra, à l'idée de voir s'il laissera s'exprimer une vraie vision de cinéma, de voir s'il laissera parler les influences des cinéastes avec lesquels il a tourné... ou non.

Alors quand le génial Viggo Mortensen s'était décidé à sauter le pas, il était impossible de ne pas y apporter un oeil plus que certain, d'autant plus que le bonhomme était déjà un artiste accompli (acteur, peintre, photographe, musicien, éditeur via sa propre maison d'édition indépendante,...), mais aussi et surtout un comédien qui n'a jamais eu peur de quitter sa zone de confort, ni même de franchir les barrières de la langue.

Copyright Metropolitan FilmExport

Fascinant, porté par une patience et une mélancolie incroyablement poétique, rappelant furieusement les efforts les plus posés du grand Clint Eastwood (notamment sur la dernière décennie), tout en s'appuyant sur sa propre éducation pour mieux aborder avec minutie les thèmes universels de la famille et de l'accompagnement vers la mort, Mortensen réinventait son histoire au travers du filtre protecteur de la fiction, et faisait de Falling une merveille de drame intime, à la vulnérabilité émotionnelle déchirante.

Fixant dès le départ son ton tragique mais aussi sa propension à continuellement jouer avec la linéarité de la temporalité de son récit, dans une sorte de brouhaha d'allers-retours à la fois enchanteur et un poil déroutant, son second effort, Jusqu'au bout du monde, s'inscrit une nouvelle fois dans l'ombre délicate du grand Clint même si le jeu des comparaisons se fait ici clairement en défaveur du Viggo, qui tente tout comme le papa de Impitoyable d'épouser les codes du western à l'ancienne sans forcément avoir la force de se les approprier, et encore plus de les réinventer de la manière féministe qu'il semble vanter.

Copyright Metropolitan FilmExport

Mortensen y incarne donc le charpentier Holger Olsen, un immigrant danois solitaire dont la vie se résume à errer dedans et aux alentours de son ranch du Nevada, au cœur des années 1860.
Un loup solitaire dont le quotidien assez rudimentaire va se fissurer lorsqu'il rencontre Vivienne Le Coudy (une magnifique Vicky Krieps), une marchande de fleurs de San Francisco, également immigrante canadienne-française, mais pleinement installée dans l'aristocratie locale.
Sauf qu'elle est totalement le genre de femme indépendante à ne pas voir sa liberté être entravée par sa condition, et encore moins par un homme : elle décide donc de quitter la Californie pour suivre le cow-boy Olsen et vivre avec lui dans son ranch, dans ce qui peut un temps se voir comme une existence idyllique ou elle prendra un emploi de serveuse dans la taverne locale - parce qu'on ne peut pas uniquement vivre d'amour et d'eau fraîche. 

Tout bascule lorsque Holger se sent un peu trop obligé de rejoindre l'armée de l'Union, alors que la guerre civile explose.
Si son combat contre l'esclavage est légitime, aussi solitaire soit-il, sa décision va laisser sa bien-aimée sans personne pour l'aider ni la protéger, dans une cité bien plus corrompue, tordue et brutale qu'elle ne l'aurait imaginé...

Copyright Metropolitan FilmExport

Comme dit plus haut, quand bien même le film est sensiblement vendu comme un western féministe, porté qu'il est, il est vrai, par une figure féminine forte engoncée dans un monde d'hommes infâmes et pourris (ou son indépendance et sa puissance de conviction sont censés représenter à eux seuls, une vraie menace pour les relans machistes du Far West), Jusqu'au bout du monde ne va justement jamais au bout de son concept de réappropriation/réinvention, à tel point que sa plus grande force - Vivienne - devient la plus grande fragilité d'un édifice ou elle n'est pas tant le pivot qu'un artifice.
Même si la performance stellaire de Vicky Krieps fait joliment illusion, le personnage n'est in fine ici définit non pas définit par ses mérites (aussi indépendante soit-elle), mais par l'absence de son époux - et l'attente de son retour - ou la présence violente et néfaste des autres hommes autour d'elle.

Pire, la conclusion de son propre arc narratif, qui n'est même pas sienne (et pour laquelle il est convenu qu'elle ne trouvera jamais justice), ne fait que pointer le fait qu'elle n'est qu'un personnage de l'histoire d'Olsen, et non l'héroïne de sa propre histoire.

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Un détail qui est loin d'être anodin donc (n'est pas Nicholas Ray - coucou Johnny Guitare - qui veut) et qui fait du film un western résolument conventionnel mais point désagréable pour autant, que ce soit par la propension qu'à Mortensen de trouver son étonnant groove entre un lyrisme langoureux et un réalisme cru (il est de ses rares films qui s'adaptent à la musique, également signée Viggo, et non l'inverse, plus traditionnel), mais aussi à exprimer la tendresse et l'honnêteté rares qui unit ses deux amants de l'ouest, dans un romantisme un poil naïf mais jamais bateau ni sirupeux.

Fort d'un vrai savoir-faire esthétique et artistique, il ne manque plus qu'au jeune cinéaste une plume solide donc, pour pleinement jouer dans la cour des grands.


Jonathan Chevrier