Breaking News

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Le Voyeur


Réalisateur : Michael Powell
Avec : Karlheinz Böhm, Moira ShearerAnna MasseyMaxine Audley,…
Distributeur : Les Acacias
Budget : 135 000 £
Genre : Drame, Épouvante-horreur, Thriller.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h41min

Date de sortie : 21 septembre 1960
Date de ressortie : 13 mars 2024

Synopsis :
Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d'image jusqu'à l'obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d'un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d'appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s'emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…



Critique :



La sagesse du temps nous fait parfois - souvent - halluciner quand on se penche un minimum sur la réception houleuse voire abracadabrantesque qu'ont pu recevoir bon nombres de films désormais considérés comme des chefs-d'œuvre indiscutables, la faute pas tant à une mécompréhension totale (publique comme critique), qu'à un contenu trop en avance sur son temps ou, plus simplement, trop singulier face au tout-venant d'une production cinématographique de plus en plus conséquente.

© 1960 Michael Powell (Theatre) LTD - Tous Droits Réservés

Considéré comme le film ayant littéralement saboté la carrière de son auteur, le réalisateur britannique Michael Powell, Peeping Tom aka Le Voyeur, n'est pas seulement une œuvre fantastique ayant marquée toute une génération de cinéastes (sorti la même année que... Psychose), mais une œuvre à l'histoire fantastique, conspuée - pour être poli - par la critique, bazardée par les distributeurs britanniques (qui refusaient tout simplement de le sortir) avant d'être reconsidéré, dans la douleur de séances undergrounds mais avec le soutien indéfectible d'une pluie de passionnés (dont Brian De Palma et Martin Scorsese en tête), comme la merveille qu'il est et a toujours été, même s'il n'est pas fait pour tous les palais.

Car oui, comme son titre français l'indique avec une précision assez folle (ne boudons pas une époque où les re-titrages français avaient du sens), le film parle de voyeurisme avec un sadisme gentiment pervers, vissé sur les atermoiements sadiques et obsessionnels d'un opérateur-caméra ayant un pied dans l'industrie cinématographique et l'autre bien enfoncé dans sa noirceur - il traque la peur de la mort sur le visage des jeunes femmes qu'il filme, pour mieux atteindre la jouissance ultime.
Jusqu'ici tout va mal donc, d'autant que Powell se sert du regard malade de son sujet, pour mieux renvoyer au spectateur son propre voyeurisme de la manière la plus choquante qui soit - une identification au personnage principal.
Toute la maestria du film est logée dans cette logique implacable, cette manière habile de jouer avec les conventions cinématographiques pour mieux instaurer un cadre psychanalytique profondément dérangé et dérangeant, quand bien même rien ne se rapporte au réel, puisque tout n'est que fiction.

© 1960 Michael Powell (Theatre) LTD - Tous Droits Réservés

L'expression la plus pure d'un cinéaste ayant toujours su brouiller les frontières et les certitudes (jusque dans son usage du fantastique pour mieux tromper le réalisme britannique traditionnel), dans un tout incroyablement cohérent (Les Chaussons rouges, Narcisse noir, Les Contes d'Hoffmann et encore plein d'autres merveilles chapeautés aux côtés de Emeric Pressburger), même si ici profondément plus amer qu'à l'accoutumée (son regard cru sur la complaisance totale d'une industrie britannique face à son déclin créatif et économique, qui ne fera au fond, que renforcer sa marginalisation).

D'un fantastique aussi glacial que quotidien (le voyeurisme est partout, et encore plus en nous), embrassant le regard pétrifié de la mort par sa caméra sauvage et acérée, presque phallique, Le Voyeur, véritable précurseur de tout un pan du cinéma horrifique (le slasher lui doit tout ou presque), est une implacable et déviante mise en image de la pulsion scopique, un chef-d'œuvre d'une intelligence diablement efficace.
Plus qu'un plaisir, le revoir est d'une nécessité rare.


Jonathan Chevrier