[CRITIQUE] : Pauvres Créatures
Réalisateur : Yorgos Lanthimos
Acteurs : Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Jarrod Carmichael, Margaret Qualley, Christopher About, Suzy Bemba,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique, Science-fiction, Romance.
Nationalité : Irlandais, Britannique, Américain.
Durée : 2h21min.
Synopsis :
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s'enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.
Critique :
Il y a une inversion presque curieuse, fascinante, qui irrigue le cinéma de Yorgos Lanthimos (sans doute le plus Kubrickien des cinéastes actuels), et encore plus à la vision de son dernier long-métrage en date, Pauvres Créatures, sans doute sa première Vraie comédie fantastique et déglinguée, où la désinvolture trompe la dureté de ce qui peut parfois y être montré.
Si la majorité des faiseurs de rêves peaufinent leurs styles, affinent leurs thématiques comme pour mieux les décliner au gré des efforts dans un tout à la cohérence plus ou moins relative selon les réalisateurs, le cinéaste grec déjoue volontairement les codes, trace sa propre voie en concoctant des délires de plus en plus baroques et généreux, là où ses histoires s'avèrent sensiblement moins glaciales et cliniques dans leurs examens de l'humanité.
Un pendant plus exagéré et, paradoxalement, moins cruel, moins impitoyable et féroce, quand bien même il plonge peut-être encore plus profondément ici dans la noirceur de l'âme humaine, entre égoïsme et avidité, désir et vengeance.
Une transition plus mainstream, diront les plus cyniques (sans forcément avoir tort).
Mais tout n'est au fond qu'une question de balance, et son nouveau poème macabre marque une rupture tant il laisse, plus encore que pour le magnifique The Lobster, la porte ouverte à la bienveillance, à la douceur et à l'empathie, par l'intermédiaire d'un personnage extraordinaire, une " créature " : Bella Baxter, une femme avec un cerveau d'enfant, une enfant avec un corps d'adulte.
Une jeune héroïne qui doit tout réapprendre (parler, boire, manger, marcher,...) et qui fait totalement fit des conventions que la société victorienne - ici très rétro-futuriste - lui impose, une âme sans honte ni limite, juste libre... où presque.
Sauvée de la mort par une sorte de cousin triste de Victor Frankenstein (pas la seule référence évidente au classique de la littérature de Mary Shelley), le Dr. Godwin " God " Baxter (lui-même un paria, un monstre par la faute d'un père lui aussi scientifique), elle est un temps condamnée à vivre sa vie subjuguée par tout ce qui existe dans un monde en noir et blanc - l'univers de son créateur -, avant de découvrir la (sa) sexualité (sans doute le véritable point faible de la narration du film, cette découverte - bateau - de la liberté de l'esprit et du corps par le sexe), porte ouverte à un désir de connaître tout ce que la vie peut lui offrir - un monde, symboliquement, tout en couleurs.
C'est par le désir, la reconnaissance et l'expérimentation des nombreux désirs qui traversent le corps, qu'elle cultivera le désir tout aussi dévorant de son esprit, son besoin de connaissance et de savoir qui la poussera à voyager, à arpenter le globe dans une odyssée chimérique ou, à mesure qu'elle acquiert de plus grandes connaissances et une meilleure compression du monde agressif et illogique dans lequel elle vit, elle décidera de prendre pleinement le contrôle de son existence et de s'extirper des diverses emprises masculines qui gravitent autour d'elle...
Basé sur le roman éponyme de Alasdair Gray, Pauvres Créatures se fait une formidable aventure comico-picaresque, une odyssée philosophique et initiatique au féminin sous fond de fable gothique tout en ironie et en extravagance, qui aborde avec justesse et pertinence les thèmes du libre arbitre et de l'émancipation à travers une créature pleine de vie que le masculin, sous tous ses visages - même le plus sensible -, veut éteindre, posséder ou même rigidifier.
Divisé en chapitres comme autant de strates dans l'évolution de Bella (physique, sexuelle, morale, psychologique, philosophique,...), tant son éducation de l'existence (et son passage de créature/objet à vrai sujet féminin) est la véritable épine dorsale de la narration, le film joue pleinement la carte de l'exagération et du baroque comme pour mieux appuyer la pertinence d'une histoire qui elle-même, exige une pure exubérance, une vraie créativité disproportionnée pour pleinement exister.
Avec son esthétique à la fois saturée et bordélique/surabondante, son humour à la fois burlesque et surréaliste, cette convocation totale et grotesque de l'imaginaire et de l'étrange dans ses décors et ses costumes, sa propension à citer ses pairs (Terry Gilliam en tête, jusque dans sa révérence assumée à l'expressionnisme allemand et au Cabinet du docteur Caligari) tout en affirmant encore un peu plus sa patte si familière (ses fameux objectifs grand angle...); rien n'est artificiel, tout est intelligemment pensé et conçu pour nourrir son propos incisif sur la société d'hier comme d'aujourd'hui (le venin du patriarcat et ses méthodes insidieuses pour s'infiltrer dans le quotidien, vu non seulement à travers une masculinité toxique, mais aussi dans le cœur d'hommes - en apparence - bien intentionnés), mais surtout le parcours/portrait imprévisible de l'une des héroïnes à la caractérisation la plus pertinente et complète, aperçu de récente mémoire en salles.
Écriture à laquelle se superpose la prestation démente d'une Emma Stone tout en audace et en dévotion, dans ce qui peut se voir comme sa plus belle et exigeante performance à ce jour, elle qui capture merveilleusement comment la compréhension/réalisation de soi et du monde, mais également la longue et sinueuse route vers l'émancipation et l'épanouissement (elle qui sera tout du long confrontée à des hommes intimidés, désorientés par la réalité et le fait que son personnage sache exactement ce qu'elle veut et qu'elle fera tout pour l'obtenir), peuvent-être des choses à la fois compliquées, chaotiques mais surtout furieusement exaltantes.
Coming of age movie vertigineux et tourmenté traitant de la condition des femmes sans être pédant ni moralisateur (ou comment être un puissant plaidoyer féministe tout en offrant un regard satirique et pertinent sur la masculinité et les interactions homme/femme), résolument plus linéaire - mais pas moins percutant - et moins hermétique qu'un Mise à mort du cerf sacré ou qu'un The Lobster, dans l'allégorie qu'il s'échine à mettre en images; Pauvres Créatures se fait une expérience glorieusement chaotique qui intime à son auditoire de totalement se perdre en elle, pour mieux en capturer la richesse et la beauté.
Oui, le Lanthimos nouveau est déjà l'une des séances les plus importantes d'une année ciné 2024 qui vient à peine de débuter...
Jonathan Chevrier
Acteurs : Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Jarrod Carmichael, Margaret Qualley, Christopher About, Suzy Bemba,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique, Science-fiction, Romance.
Nationalité : Irlandais, Britannique, Américain.
Durée : 2h21min.
Synopsis :
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s'enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.
Critique :
Conte initiatique vertigineux et tourmenté, à la fois puissant plaidoyer féministe et regard satirique sur les interactions homme/femme, #PauvresCréatures se fait une séance glorieusement chaotique, intimant à son auditoire de totalement s'y perdre pour mieux en mirer la densité. pic.twitter.com/G7R72zSM2C
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 2, 2024
Il y a une inversion presque curieuse, fascinante, qui irrigue le cinéma de Yorgos Lanthimos (sans doute le plus Kubrickien des cinéastes actuels), et encore plus à la vision de son dernier long-métrage en date, Pauvres Créatures, sans doute sa première Vraie comédie fantastique et déglinguée, où la désinvolture trompe la dureté de ce qui peut parfois y être montré.
Si la majorité des faiseurs de rêves peaufinent leurs styles, affinent leurs thématiques comme pour mieux les décliner au gré des efforts dans un tout à la cohérence plus ou moins relative selon les réalisateurs, le cinéaste grec déjoue volontairement les codes, trace sa propre voie en concoctant des délires de plus en plus baroques et généreux, là où ses histoires s'avèrent sensiblement moins glaciales et cliniques dans leurs examens de l'humanité.
Copyright 2023 Searchlight Pictures All Rights Reserved. |
Un pendant plus exagéré et, paradoxalement, moins cruel, moins impitoyable et féroce, quand bien même il plonge peut-être encore plus profondément ici dans la noirceur de l'âme humaine, entre égoïsme et avidité, désir et vengeance.
Une transition plus mainstream, diront les plus cyniques (sans forcément avoir tort).
Mais tout n'est au fond qu'une question de balance, et son nouveau poème macabre marque une rupture tant il laisse, plus encore que pour le magnifique The Lobster, la porte ouverte à la bienveillance, à la douceur et à l'empathie, par l'intermédiaire d'un personnage extraordinaire, une " créature " : Bella Baxter, une femme avec un cerveau d'enfant, une enfant avec un corps d'adulte.
Une jeune héroïne qui doit tout réapprendre (parler, boire, manger, marcher,...) et qui fait totalement fit des conventions que la société victorienne - ici très rétro-futuriste - lui impose, une âme sans honte ni limite, juste libre... où presque.
Sauvée de la mort par une sorte de cousin triste de Victor Frankenstein (pas la seule référence évidente au classique de la littérature de Mary Shelley), le Dr. Godwin " God " Baxter (lui-même un paria, un monstre par la faute d'un père lui aussi scientifique), elle est un temps condamnée à vivre sa vie subjuguée par tout ce qui existe dans un monde en noir et blanc - l'univers de son créateur -, avant de découvrir la (sa) sexualité (sans doute le véritable point faible de la narration du film, cette découverte - bateau - de la liberté de l'esprit et du corps par le sexe), porte ouverte à un désir de connaître tout ce que la vie peut lui offrir - un monde, symboliquement, tout en couleurs.
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C'est par le désir, la reconnaissance et l'expérimentation des nombreux désirs qui traversent le corps, qu'elle cultivera le désir tout aussi dévorant de son esprit, son besoin de connaissance et de savoir qui la poussera à voyager, à arpenter le globe dans une odyssée chimérique ou, à mesure qu'elle acquiert de plus grandes connaissances et une meilleure compression du monde agressif et illogique dans lequel elle vit, elle décidera de prendre pleinement le contrôle de son existence et de s'extirper des diverses emprises masculines qui gravitent autour d'elle...
Basé sur le roman éponyme de Alasdair Gray, Pauvres Créatures se fait une formidable aventure comico-picaresque, une odyssée philosophique et initiatique au féminin sous fond de fable gothique tout en ironie et en extravagance, qui aborde avec justesse et pertinence les thèmes du libre arbitre et de l'émancipation à travers une créature pleine de vie que le masculin, sous tous ses visages - même le plus sensible -, veut éteindre, posséder ou même rigidifier.
Divisé en chapitres comme autant de strates dans l'évolution de Bella (physique, sexuelle, morale, psychologique, philosophique,...), tant son éducation de l'existence (et son passage de créature/objet à vrai sujet féminin) est la véritable épine dorsale de la narration, le film joue pleinement la carte de l'exagération et du baroque comme pour mieux appuyer la pertinence d'une histoire qui elle-même, exige une pure exubérance, une vraie créativité disproportionnée pour pleinement exister.
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Avec son esthétique à la fois saturée et bordélique/surabondante, son humour à la fois burlesque et surréaliste, cette convocation totale et grotesque de l'imaginaire et de l'étrange dans ses décors et ses costumes, sa propension à citer ses pairs (Terry Gilliam en tête, jusque dans sa révérence assumée à l'expressionnisme allemand et au Cabinet du docteur Caligari) tout en affirmant encore un peu plus sa patte si familière (ses fameux objectifs grand angle...); rien n'est artificiel, tout est intelligemment pensé et conçu pour nourrir son propos incisif sur la société d'hier comme d'aujourd'hui (le venin du patriarcat et ses méthodes insidieuses pour s'infiltrer dans le quotidien, vu non seulement à travers une masculinité toxique, mais aussi dans le cœur d'hommes - en apparence - bien intentionnés), mais surtout le parcours/portrait imprévisible de l'une des héroïnes à la caractérisation la plus pertinente et complète, aperçu de récente mémoire en salles.
Écriture à laquelle se superpose la prestation démente d'une Emma Stone tout en audace et en dévotion, dans ce qui peut se voir comme sa plus belle et exigeante performance à ce jour, elle qui capture merveilleusement comment la compréhension/réalisation de soi et du monde, mais également la longue et sinueuse route vers l'émancipation et l'épanouissement (elle qui sera tout du long confrontée à des hommes intimidés, désorientés par la réalité et le fait que son personnage sache exactement ce qu'elle veut et qu'elle fera tout pour l'obtenir), peuvent-être des choses à la fois compliquées, chaotiques mais surtout furieusement exaltantes.
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Coming of age movie vertigineux et tourmenté traitant de la condition des femmes sans être pédant ni moralisateur (ou comment être un puissant plaidoyer féministe tout en offrant un regard satirique et pertinent sur la masculinité et les interactions homme/femme), résolument plus linéaire - mais pas moins percutant - et moins hermétique qu'un Mise à mort du cerf sacré ou qu'un The Lobster, dans l'allégorie qu'il s'échine à mettre en images; Pauvres Créatures se fait une expérience glorieusement chaotique qui intime à son auditoire de totalement se perdre en elle, pour mieux en capturer la richesse et la beauté.
Oui, le Lanthimos nouveau est déjà l'une des séances les plus importantes d'une année ciné 2024 qui vient à peine de débuter...
Jonathan Chevrier