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[CRITIQUE] : Sur l'Adamant


Réalisateur : Nicolas Philibert
Avec : -
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français.
Durée : 1h49min

Synopsis :
L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.




Critique :


Résister avec la poésie

Dans les premières séquences du film, un patient dit à la caméra que toutes les personnes prises en charge dans cette structure flottante sont « des acteurs sans le comprendre ». Ce sont des adultes souffrant de troubles psychiques, venant passer du temps dans ce centre de jour situé au pied du pont Charles de Gaulle, sur la rive droite de la Seine. S'ils sont acteurs, c'est parce qu'ils trouvent dans cet espace une autre façon de vivre leur vie. L'Adamant est un bâtiment vers lequel sont adressés les patients de différentes structures du pôle Paris Centre ou de médecins privés. Ce qui leur permet de sortir, le temps d'une journée ou de quelques heures, de leur quotidien de souffrance entre les soins et la solitude (voire la marginalisation). Le but est de trouver un lieu où ils peuvent s'affranchir de leur statut de patient. Ce centre de vie pratique la psychiatrie institutionnelle, une approche focalisée sur la dynamique de groupe et la relations entre soignants – soignés. Ces derniers y vivent donc autrement leur vie, comme s'ils avaient la possibilité de l'étendre à autre chose. Une extension possible grâce à toutes les activités mises en places : de groupes de débats à un ciné-club, en passant par la musique, la littérature, la danse, la peinture et le dessin, etc. Et pourtant, cet ailleurs se situe au sein même de Paris.

Copyright Les Films du Losange

Nicolas Philibert propose alors de faire de la caméra un microscope, pour se concentrer sur cet espace hors du commun en plein Paris. Un patient évoque, lors d'un échange avec le cinéaste, comment il se sent dévisagé dans les transports – utilisant même la formule de « gueule cassée ». Dans une époque où il existe la peur de l'autre et le repli sur soi, le dialogue semble disparaître alors qu'il s'agit d'une ère de la communication. Dans ce lieu hors du commun, ces « gueules cassées » ou « acteurs sans le comprendre » se retrouvent entre eux. C'est en cela que l'aspect huis-clos est important. A seulement trois reprises le cinéaste filme ce qui se passe en dehors de l'Adamant, sur le quai ou sur la Seine. Parce que le vrai sujet n'est pas tant le fonctionnement du centre, mais ce qu'il apporte à la vie des patients. La vie extérieure est laissée hors-champ, tout en gardant inconsciemment son importance. Elle fait partie du contexte et du bagage des patients, mais jamais de l'atmosphère du centre. Comme si le réel du quotidien hors-champ se dissipait pour embrasser pleinement l'imaginaire que la structure flottante rend possible. C'est alors que le positionnement de l'Adamant sur l'eau prend un sens esthétique : cette extension de vie est un ensemble de flottements tout aussi poétiques les uns que les autres. Dans une temporalité abstraite et jamais structurée, où les activités et les échanges s'entrelacent sans aucun repère temporel, les patients se libèrent complètement grâce à leurs passions, curiosités, personnalités.

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Ce qui permet d'adopter une approche sans aucun désespoir, malgré les confessions très touchantes et parcimonieuses de certains patients. Les flottements poétiques sont surtout un témoignage inquiet, comme le dit le carton qui termine le film : « jusqu'à quand ? ». Combien de temps cet acte sensible d'offrir un espace rempli d'imagination aux patients va tenir ? L'abstraction du temps vient aussi avec celle du quotidien des patients. Il y a cette sensation permanente, grâce à l'idée de flottements au montage, que l'espace est aussi fragile que les patients qui en bénéficient. Tel le besoin de construire ce quotidien au fur et à mesure comme un renouvellement constant, l'Adamant peut se détacher du quai à tout moment. C'est l'image d'un huis-clos qui peut laisser des gens en dehors, où il est toujours nécessaire de franchir des portes pour créer l'imaginaire. Comme une façon d'imprimer une image furtive sur le long-terme, afin qu'elle ne reste pas piégée à son état éphémère. Les activités limitées dans le temps au sein du centre deviennent des morceaux d'un ensemble poétique plus grand. Il s'agit donc de réparer le regard sur ces personnes (ces patients), de reformer des figures et de capter les sensibilités dans les plis des « gueules cassées ». Il faut retrouver la beauté de chaque esprit, ce qui rend les rend profondément humains comme n'importe qui – et cela passe par le partage.

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Il est donc important pour Nicolas Philibert de ne pas s'attarder sur les contextes de ces vies abîmées, sur les passés des patients. Tout ce qui compte au montage est ce présent poétique où les fragilités rencontrent l'imaginaire et les passions des esprits / des cœurs. Au point de ne mentionner que rarement la prise de médicaments des patients, car ce n'est pas ce qui compte. Il s'agit de voir au-delà, de partir de vies cabossées ou faites de vides, pour remplir une image. Comme le dit une soignante à un moment, chaque patient présent au centre a le désir d'y être. C'est ce geste là qui compte, et non leur condition. Sans jamais s'effacer auprès des soignés ni des soignants, Nicolas Philibert permet que sa présence (et celle de sa caméra) soit un soutien supplémentaire dans cette quête d'imaginaire et de poésie. Les images qui se créent au sein de l'Adamant sont donc ces moments où les patients essaient d'attraper une vie qu'ils n'ont jamais pu vivre. C'est pour cela que le montage se dresse comme des échos entre les soignés, entre les échanges de paroles, puis entre les différentes activités. Parce qu'il est question de la construction infinie d'un quotidien : il doit rester vivant et s'inventer à chaque nouvelle journée. Même si les soignants sont des professionnels, le fonctionnement du centre s'appuie aussi sur la parole et les désirs des patients. Dans cette organisation très participative, l'esprit est donc au bricolage. Ce n'est évidemment pas un film qui dénonce quoi que ce soit dans le système de santé ou de la psychiatrie. Le documentaire se contente modestement de montrer toute la poésie qui ressort d'un lieu qui résiste aux manques de considérations, de moyens matériels et humains.

Copyright Les Films du Losange

Alors que ces vies abîmées sont des combats de tous les jours, les images faites d'imaginaire qui y manquaient se remplissent en renouant un lien collectif. Le quotidien du centre se bricole avec simplicité, créant une communauté où les esprits et les passions se libèrent. Les patients ne sont donc pas seulement les acteurs (sans le comprendre) d'une extension de leur vie, mais ils sont aussi les acteurs d'un espace constamment mis en scène. Il y a d'abord la variété des activités qui permettent de décomposer le centre en plusieurs petits lieux de vie différents, qui nécessitent pourtant une coordination plus globale. Par conséquent, Nicolas Philibert en tire sa propre mise en scène. Avec l'esthétique de flottements poétiques dans un temps abstrait, il permet de multiplier l'espace du centre en même temps qu'il y distingue de très nombreuses personnalités et sensibilités différentes. Comme si l'Adamant, par sa particularité d'être un ailleurs hors du commun en plein Paris, répondait directement à la multiplication de désirs et d'imaginaires qui le traversent chaque jour. Cette structure flottante n'est donc absolument pas un point final pour rattraper une vie jamais vécue ou pour développer un imaginaire. Elle en serait le point de départ ou juste le repère matériel, pour retrouver une place dans l'immensité du monde, pour se sentir à nouveau entier face aux regards. Il n'est anodin alors de voir comment Nicolas Philibert met chaque personne au même niveau de regard : il ne distingue jamais les soignants des soignés. Parce que ce qui compte le plus dans la poésie, c'est l'abstraction de différentes sensibilités qui convergent vers la même résistance à la vie.


Teddy Devisme


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