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[CRITIQUE] : À Vendredi, Robinson


Réalisatrice : Mitra Farahani
Acteurs : Jean-Luc Godard et Ebrahim Golestan.
Distributeur : Carlotta Films
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français, Suisse, Iranien, Libanais.
Durée : 1h37min

Synopsis :
La chronique d’une rencontre cinématographique, celle entre Ebrahim Golestan et Jean-Luc Godard, deux artistes majeurs qui, du moins en Occident, n’ont pas atteint le même niveau de notoriété. Beaucoup de temps a passé depuis les années 1960, et la Nouvelle Vague iranienne est restée en grande partie inconnue, éclipsée par la renommée de son homologue européenne. Mais est-il trop tard pour réunir deux figures de proue de ces expériences éloignées ?
« Commençons par une correspondance », dit Godard, « peut-être que ça ne correspondra pas. Ebrahim peut m’envoyer une lettre par e-mail ce vendredi, et moi je lui répondrai vendredi prochain. Donc, à vendredi, Robinson ! ». C’est ainsi que le film se déroule, suivant parfois une trajectoire linéaire, le plus souvent en empruntant des chemins de traverse, jalonnés d’espoirs déçus, d’intuitions géniales et de résistance qui ponctuent la confrontation entre les deux interlocuteurs.



Critique :


Il y a un sentiment étrange de découvrir dans une salle obscure, une oeuvre impliquant directement Jean-Luc Godard - sans qu'elle ne soit la sienne -, alors que le cinéaste nous a quitté il y a une poignée de jours, et encore plus une oeuvre aussi expérimentale que peut l'être À Vendredi, Robinson de la peintre et cinéaste iranienne Mitra Farahani.
Tourné en grande partie dans le domaine d'Ebrahim Golestan au cours des dernières années de sa vie, le film, à la fois entre le documentaire et le roman epistolaire gravé sur la pellicule, narre les échanges de mails entre les deux cinéastes qui s'écrivent tous les vendredis pendant vingt-neuf semaines dans un subtil jeu de commentaires, de photos et des messages qui s'entremêlent pour mieux questionner le statut de l'art et sa relation avec les changements sociaux au fil des décennies.

Copyright Ecrans Noirs Production

Dans ce rendez-vous intellectuel proposé par Farahani, chaque vendredi contient un sujet sous forme d'aphorisme dont les réalisateurs débattent, la cinéaste capturant avec révérence (trop peut-être diront certains) les réactions de chacun aux réponses de l'autre dans un élan aussi sardonique et drôle que sombre et insaisissable, soulignant la proximité (pour le coup assez fine) autant que la distance entre les deux hommes, dont l'incompréhension réserve parfois plusieurs moments d'une honnêteté rafraîchissante.
De son titre furieusement évocateur (référence au Robinson Crusoé de Defoe, protagoniste solitaire et naufragé qui fait sens autant avec la solitude fragile et à l'isolement de ces deux sujets nonagénaires, que celles des artistes qu'ils citent avec gourmandise), à sa patine qui s'approprie de manière ludique une esthétique so Godardienne (écrans de titre intrusifs, signaux musicaux erratiques,...), À Vendredi, Robinson incarne un témoignage précieux et captivant sur deux figures imposantes du septième art autant qu'un dernier au revoir, singulier il est vrai, à Jean-Luc Godard.


Jonathan Chevrier