[CRITIQUE] : Cow
Réalisatrice : Andrea Arnold
Acteurs : -
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h34min.
Synopsis :
Un portrait du quotidien de deux vaches.
Critique :
Le cinquième long-métrage de Andrea Arnold témoigne de la vie d'une vache dans une ferme, le résultat de quatre ans de tournage. Le film s'ouvre sur des images crues et graphiques, celle de la naissance d'un veau. Tiré par une corde attachée à ses pieds, la difficulté de son arrivée au monde se fait ressentir. La cinéaste n'hésite à aucun moment à cadrer le liquide amniotique, la boue et la paille. Puis lorsque les yeux du veau s'ouvrent, la caméra saisit instantanément cette étincelle qui découvre le monde. Tout ce qui compose Cow est dans ces premières images : ne jamais reculer devant la souffrance, montrer le soin apporté par ces fermiers dans leurs gestes envers les animaux, chercher les réactions des vaches dans cet environnement. Malgré l'impression de neutralité du documentaire, où Luma n'est jamais un prétexte pour dénoncer une industrie agricole, le long-métrage est bel est bien ancré dans l’œuvre de Andrea Arnold. Même si le format d'image est opposé à la brutalité et la pugnacité de ses fictions, il y reste toutes les questions de la détresse, du piège social, de la féminité, de la recherche de liberté. On y retrouve même le soin des détails, comme cette attention à la misère crasse. Ces corps à l'hygiène pas toujours idéale, aux vêtements déchirés et les pieds abîmés. Ici, ce sont les sabots de Luma qui pataugent dans la boue, puis son corps qui doit se frotter à l'éternité des barrières et de l'enfermement.
La caméra d'Andrea Arnold accompagne Luma dans son quotidien. Le principe est plutôt simple : la suivre dans ses moindres gestes, pour témoigner de sa vie au sein de cette ferme. Il est évident qu'établir un portrait collectif de plusieurs vaches serait un travail bien plus fastidieux, et la narration s'y perdrait forcément. Ici, seule la présence de Luma suffit à comprendre ce que réserve le quotidien à ces vaches. De l'accouchement à la tireuse de lait, en passant par les courses dans un champ et les moments de nourriture, tout passe devant la caméra de la cinéaste. Accompagner la vache dans son quotidien est une façon de garder un esprit alerte : toutes les actions de la vache sont des choix qui ne lui appartiennent pas. Elle subit, de manière désintéressée, tout ce qu'elle traverse au sein de cette ferme. Dans cette boucle quotidienne faite d'enfermement, Andrea Arnold regarde Luma. Et surtout, elle fait en sorte que la caméra voit ce qu'elle voit. Il y a alors deux perspectives : voir Luma, témoigner de ce que voit Luma. Le documentaire ne verse jamais dans la projection humaine (l'anthropomorphisme), mais par le plus grand des hasards, il est possible de constater des variations dans les réactions de la protagoniste bovine. Même dans ses meuglements. Leur interprétation serait une projection malvenue, mais il y a le constat de sensations différentes.
Il serait possible de rapprocher le film de Leviathan de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel (2015), de Primate (1974) et Meat (1976) de Frederick Wiseman, voire même de Les saisons de Jacques Perrin (2015). Il y a dans tous ces documentaires la même sensibilité pour les animaux qu'ils filment. Il y a quelque chose de méditatif dans l'approche, pour se connecter totalement à ces êtres vivants qui ne font que subit leur condition. Des immersions profondes, préoccupées par le bien-être, le regard et les réactions des animaux dans les milieux qu'ils occupent – que ce soit naturellement ou malgré eux. Il y a un sentiment exténué qui parcourt ces documentaires (Cow inclus), où le temps ne joue jamais en faveur des animaux, bien au contraire. On pense notamment à la scène du « carrousel de lait » que filme Andrea Arnold, qui prend la forme d'un panoptique. Cette architecture carcérale qui permet à un gardien d'observer tous les prisonniers enfermés individuellement, sans que ceux-ci peuvent se rendre compte qu'ils sont surveillés. Mais pourtant, ceci n'est qu'une image troublante, car Andrea Arnold ne fait jamais le portrait de la ferme, ou même du huis-clos. Son objectif n'est jamais de faire ressentir l'oppression de cet environnement, mais bien de faire ressentir une présence (la caméra, qui permet de voir Luma, de la considérer individuellement). Sans aucun commentaire, sans aucun jugement, la cinéaste respecte le travail compliqué des fermiers, et propose de passer du temps avec Luma – tout simplement.
Cependant, le film contient tout de même sont lot de sensations purement plastiques. Même sans jamais faire le portrait de la ferme ou d'une industrie agricole qui exploite les animaux, Andrea Arnold montre le contraste de couleurs et lumières qui existe dans un tel environnement. Très rapidement, il est compréhensible que les prises de vue sont compliquées à obtenir dans de telles conditions. Il y a très souvent une forme d'urgence qui se dégage dans le cadre. Toujours au plus près d’elle, en complète immersion à ses côtés, le cadre est à la fois dans la rigueur d’une compréhension la plus simple possible, puis dans la construction d’une forme brutale qui ne laisse rien à côté. Mais surtout, il y a aussi une forme d'obscurité qui apparaît. Le mélange des deux crée le vertige d'une souffrance qui n'en finit pas, qui n'a aucune perspective d'espoir. Ce huis-clos est sombre, mais la présence de la cinéaste avec sa caméra permet de trouver des moments de douceur, des instants solaires. Au milieu de l'obscurité, il y a le regard sensible apporté à Luma et la beauté des champs. Ces paysages extérieurs qui s'ouvrent aux vaches, qui y meuglent et courent de plaisir, qui lèvent les yeux vers le ciel dégagé où se promènent des oiseaux libres. Cette immersion est le témoin de la beauté d'une nature malmenée, où s'érigent des machines, des barrières, des portes en fer, des grillages.
Évidemment, à l'intérieur de tout ceci, il est impossible de connaître les pensées de Luma ou de toute autre vache. En cherchant à éviter la projection humaine sur les animaux, Andrea Arnold fait des limites du cadre la force de son documentaire. Parce qu'elle ne peut dignement pas prétendre connaître les pensées de sa protagoniste comme ce serait le cas dans une fiction avec des acteurs humains, alors le cadre devient cette distance impénétrable. Il y presque quelque chose de la fatalité au sein de ce huis-clos, mais il y a surtout cette sensation qu'il n'existe plus d'endroit formidable. Dans cette distance, il y a une convergence : le cadre ne peut atteindre les pensées de Luma, en même temps qu'elle-même ne peut atteindre la liberté. Que ce soit une pure contemplation de la protagoniste bovine, un jeu de regards, un rapprochement vers son corps, ou une captation furtive, la caméra montre que ces corps ne leur appartient plus. La présence sensible du regard d'Andrea Arnold est le synonyme de l'impuissance face à la vie qui est réservée à ces animaux. Cow est donc ancré dans un lyrisme hypnotique, où la sensibilité n'a d'égal que son impact abstrait. Même d'un point de vue sonore, le documentaire se base uniquement sur les sons de la ferme (comme les hauts parleurs). Malgré le côté impénétrable de ce rapprochement, le long-métrage peut être vu comme une volonté de briser une barrière inconsciente.
Malgré les lumières angéliques et solaires qui parcourent le film, même timidement au sein de l'obscurité du huis-clos, Cow montre qu'il faut réapprendre à voir les animaux, à retrouver une sensibilité vis-à-vis d'eux. Comme Luma et toutes ces vaches, qui finalement donnent beaucoup à l'être humain, mais pour obtenir quoi en retour ? Le documentaire de Andrea Arnold est peut-être situé dans une ferme où les vaches sont exploitées, mais grâce à son regard, elle permet un retour à l'intimité et à la sensibilité émotionnelle. Une percée magique et solaire dans un espace obscur impénétrable. Andrea Arnold réalise son film le plus radical mais aussi le plus pur.
Teddy Devisme
Acteurs : -
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h34min.
Synopsis :
Un portrait du quotidien de deux vaches.
Critique :
Par le prisme de son regard, Andrea Arnold permet un retour à l'intimité et à la sensibilité émotionnelle vis-à-vis des animaux, et fait de son #Cow son film le plus radical mais aussi le plus pur, une percée magique et solaire dans un espace obscur impénétrable. (@Teddy_Devisme) pic.twitter.com/ApwmzxiNH8
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 1, 2022
Le cinquième long-métrage de Andrea Arnold témoigne de la vie d'une vache dans une ferme, le résultat de quatre ans de tournage. Le film s'ouvre sur des images crues et graphiques, celle de la naissance d'un veau. Tiré par une corde attachée à ses pieds, la difficulté de son arrivée au monde se fait ressentir. La cinéaste n'hésite à aucun moment à cadrer le liquide amniotique, la boue et la paille. Puis lorsque les yeux du veau s'ouvrent, la caméra saisit instantanément cette étincelle qui découvre le monde. Tout ce qui compose Cow est dans ces premières images : ne jamais reculer devant la souffrance, montrer le soin apporté par ces fermiers dans leurs gestes envers les animaux, chercher les réactions des vaches dans cet environnement. Malgré l'impression de neutralité du documentaire, où Luma n'est jamais un prétexte pour dénoncer une industrie agricole, le long-métrage est bel est bien ancré dans l’œuvre de Andrea Arnold. Même si le format d'image est opposé à la brutalité et la pugnacité de ses fictions, il y reste toutes les questions de la détresse, du piège social, de la féminité, de la recherche de liberté. On y retrouve même le soin des détails, comme cette attention à la misère crasse. Ces corps à l'hygiène pas toujours idéale, aux vêtements déchirés et les pieds abîmés. Ici, ce sont les sabots de Luma qui pataugent dans la boue, puis son corps qui doit se frotter à l'éternité des barrières et de l'enfermement.
La caméra d'Andrea Arnold accompagne Luma dans son quotidien. Le principe est plutôt simple : la suivre dans ses moindres gestes, pour témoigner de sa vie au sein de cette ferme. Il est évident qu'établir un portrait collectif de plusieurs vaches serait un travail bien plus fastidieux, et la narration s'y perdrait forcément. Ici, seule la présence de Luma suffit à comprendre ce que réserve le quotidien à ces vaches. De l'accouchement à la tireuse de lait, en passant par les courses dans un champ et les moments de nourriture, tout passe devant la caméra de la cinéaste. Accompagner la vache dans son quotidien est une façon de garder un esprit alerte : toutes les actions de la vache sont des choix qui ne lui appartiennent pas. Elle subit, de manière désintéressée, tout ce qu'elle traverse au sein de cette ferme. Dans cette boucle quotidienne faite d'enfermement, Andrea Arnold regarde Luma. Et surtout, elle fait en sorte que la caméra voit ce qu'elle voit. Il y a alors deux perspectives : voir Luma, témoigner de ce que voit Luma. Le documentaire ne verse jamais dans la projection humaine (l'anthropomorphisme), mais par le plus grand des hasards, il est possible de constater des variations dans les réactions de la protagoniste bovine. Même dans ses meuglements. Leur interprétation serait une projection malvenue, mais il y a le constat de sensations différentes.
Il serait possible de rapprocher le film de Leviathan de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel (2015), de Primate (1974) et Meat (1976) de Frederick Wiseman, voire même de Les saisons de Jacques Perrin (2015). Il y a dans tous ces documentaires la même sensibilité pour les animaux qu'ils filment. Il y a quelque chose de méditatif dans l'approche, pour se connecter totalement à ces êtres vivants qui ne font que subit leur condition. Des immersions profondes, préoccupées par le bien-être, le regard et les réactions des animaux dans les milieux qu'ils occupent – que ce soit naturellement ou malgré eux. Il y a un sentiment exténué qui parcourt ces documentaires (Cow inclus), où le temps ne joue jamais en faveur des animaux, bien au contraire. On pense notamment à la scène du « carrousel de lait » que filme Andrea Arnold, qui prend la forme d'un panoptique. Cette architecture carcérale qui permet à un gardien d'observer tous les prisonniers enfermés individuellement, sans que ceux-ci peuvent se rendre compte qu'ils sont surveillés. Mais pourtant, ceci n'est qu'une image troublante, car Andrea Arnold ne fait jamais le portrait de la ferme, ou même du huis-clos. Son objectif n'est jamais de faire ressentir l'oppression de cet environnement, mais bien de faire ressentir une présence (la caméra, qui permet de voir Luma, de la considérer individuellement). Sans aucun commentaire, sans aucun jugement, la cinéaste respecte le travail compliqué des fermiers, et propose de passer du temps avec Luma – tout simplement.
Copyright Ad Vitam |
Cependant, le film contient tout de même sont lot de sensations purement plastiques. Même sans jamais faire le portrait de la ferme ou d'une industrie agricole qui exploite les animaux, Andrea Arnold montre le contraste de couleurs et lumières qui existe dans un tel environnement. Très rapidement, il est compréhensible que les prises de vue sont compliquées à obtenir dans de telles conditions. Il y a très souvent une forme d'urgence qui se dégage dans le cadre. Toujours au plus près d’elle, en complète immersion à ses côtés, le cadre est à la fois dans la rigueur d’une compréhension la plus simple possible, puis dans la construction d’une forme brutale qui ne laisse rien à côté. Mais surtout, il y a aussi une forme d'obscurité qui apparaît. Le mélange des deux crée le vertige d'une souffrance qui n'en finit pas, qui n'a aucune perspective d'espoir. Ce huis-clos est sombre, mais la présence de la cinéaste avec sa caméra permet de trouver des moments de douceur, des instants solaires. Au milieu de l'obscurité, il y a le regard sensible apporté à Luma et la beauté des champs. Ces paysages extérieurs qui s'ouvrent aux vaches, qui y meuglent et courent de plaisir, qui lèvent les yeux vers le ciel dégagé où se promènent des oiseaux libres. Cette immersion est le témoin de la beauté d'une nature malmenée, où s'érigent des machines, des barrières, des portes en fer, des grillages.
Évidemment, à l'intérieur de tout ceci, il est impossible de connaître les pensées de Luma ou de toute autre vache. En cherchant à éviter la projection humaine sur les animaux, Andrea Arnold fait des limites du cadre la force de son documentaire. Parce qu'elle ne peut dignement pas prétendre connaître les pensées de sa protagoniste comme ce serait le cas dans une fiction avec des acteurs humains, alors le cadre devient cette distance impénétrable. Il y presque quelque chose de la fatalité au sein de ce huis-clos, mais il y a surtout cette sensation qu'il n'existe plus d'endroit formidable. Dans cette distance, il y a une convergence : le cadre ne peut atteindre les pensées de Luma, en même temps qu'elle-même ne peut atteindre la liberté. Que ce soit une pure contemplation de la protagoniste bovine, un jeu de regards, un rapprochement vers son corps, ou une captation furtive, la caméra montre que ces corps ne leur appartient plus. La présence sensible du regard d'Andrea Arnold est le synonyme de l'impuissance face à la vie qui est réservée à ces animaux. Cow est donc ancré dans un lyrisme hypnotique, où la sensibilité n'a d'égal que son impact abstrait. Même d'un point de vue sonore, le documentaire se base uniquement sur les sons de la ferme (comme les hauts parleurs). Malgré le côté impénétrable de ce rapprochement, le long-métrage peut être vu comme une volonté de briser une barrière inconsciente.
Malgré les lumières angéliques et solaires qui parcourent le film, même timidement au sein de l'obscurité du huis-clos, Cow montre qu'il faut réapprendre à voir les animaux, à retrouver une sensibilité vis-à-vis d'eux. Comme Luma et toutes ces vaches, qui finalement donnent beaucoup à l'être humain, mais pour obtenir quoi en retour ? Le documentaire de Andrea Arnold est peut-être situé dans une ferme où les vaches sont exploitées, mais grâce à son regard, elle permet un retour à l'intimité et à la sensibilité émotionnelle. Une percée magique et solaire dans un espace obscur impénétrable. Andrea Arnold réalise son film le plus radical mais aussi le plus pur.
Teddy Devisme