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[CRITIQUE] : L'ombre d'un mensonge


Réalisateur : Bouli Lanners
Avec : Michelle Fairley, Bouli Lanners, Andrew Still, Julian Clover, Clovis Cornillac,…
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Belge, Français
Durée : 1h39min

Synopsis :
Phil s’est exilé dans une petite communauté presbytérienne sur l'Île de Lewis, au nord de l'Ecosse. Une nuit, il est victime d'une attaque qui lui fait perdre la mémoire. De retour sur l’ile, il retrouve Millie, une femme de la communauté qui s'occupe de lui. Alors qu’il cherche à retrouver ses souvenirs, elle prétend qu'ils s'aimaient en secret avant son accident...


Critique :

C’est l’histoire d’une femme. D’une femme seule sur l’île écossaise appelée Lewis. The Ice Queen comme la surnomme les habitants de l'île. Elle se balade sur la falaise, sa silhouette se détachant dans l’obscurité naissante. Elle boutonne sagement sa chemise blanche, bien cintrée, le dimanche matin. Enfile délicatement son chapeau qui lui cache la moitié du visage, prête pour le sermon religieux. Pourquoi mettre un chapeau dans cet endroit venteux demande Phil, le seul étranger du coin. Pourquoi aller à la messe alors que les insulaires pourraient s’adonner à d’autres plaisirs ? « Parce que c’est comme ça » lui répond-on.

L’ombre d’un mensonge, nouveau long métrage de Bouli Lanners, marque un tournant dans sa filmographie de cinéaste. Ici, il réalise son rêve de tourner en Écosse et ne boude donc pas son plaisir pour venir capter ce lieu idyllique au sein d'un récit qui s’enroule autour de la solitude. Quoi de mieux que d’enfermer ses personnages sur une île, dans un pays qui convoque un imaginaire sombre et mystérieux ? Le cinéaste interprète cet étranger du lieu, un homme belge qui perd son identité le jour où il fait un AVC. Il ne se souvient de rien et sa référente, pour l’hôpital, n’est autre que son employeuse, Millie, la Ice Queen de l’île. Cinquante ans, pas mariée, pas d’enfants. La vieille fille dans toute sa splendeur, comme on appelle ces femmes qui s’érigent contre les conventions sociales. Une façon de les enfermer dans une autre case, comme pour les punir de n’avoir jamais su, pu ou voulu embrasser toutes les étapes d’une vie maritale.

Copyright Versus production – Brian Sweeney

Quel dommage que ce titre français ! Nobody has to know, le titre original, renferme le mystère et la singularité qui encadrent la délicatesse du ton que prend Bouli Lanners. L’ombre d’un mensonge, lui, nous met déjà en alerte dès le départ. Où se cache-t-il ce satané mensonge ? Quelle méchanceté contient-t-il ? Il enferme une image de moralité, peut-être de douleur, qu’on ne retrouvera pas dans le film, en tout cas, pas comme on le croit. Car le mensonge qu’invente Millie détient d’infimes nuances et permet un rapprochement inespéré dans un lieu qui ne convoque que l’éloignement grâce à ce vent, perpétuel et froid, et à ces grands espaces.

Dans cet endroit où la religion et les traditions sont encore légions, le film de Bouli Lanners nous emmène dans un récit d’émancipation et de désir caché. La froideur de Millie n’est qu’un bouclier, un masque qu’elle a tellement porté qu’il lui colle à la peau. Alors quand elle voit Phil, qui réapprend à se connaître suite à son AVC, le désir est trop tentant. Elle se rase, se secoue, boit et sort, tout à trac, qu'elle et lui formaient un couple avant. Phil la croit sur parole, tant il ressent la même chose, une attirance terrible qui ne s’explique pas. Le mensonge est là, immense dans le cadre, tandis que les corps sont obligés de se rapprocher dans cette sombre ruelle, dichotomie flagrante entre cette scène et les paysages immenses de l’île.

Copyright Versus production – Brian Sweeney


On pourrait croire que le récit nous emmène vers un drame romantique, où ce mensonge prendrait trop de place, viendrait séparer le couple et même le détruire. Mais Bouli Lanners nous emporte autre part, vers une histoire d’amour plus spontanée et plus libératrice. Paradoxalement, dans cet endroit insulaire, les personnages se tournent sans cesse vers les intérieurs. La mise en scène joue avec les encadrements de fenêtre, qu’ils regardent de l’extérieur vers l’intérieur. Pourtant la nature les appelle, grâce au son et à l’image. Le vent, les vagues, les plaines. Mais le cinéaste les enferme toujours, dans une maison, autour d’une clôture, dans une voiture. Alors le mensonge libère Millie et Phil. Surtout Millie qui, à la fin, se détache les cheveux, quitte sa triste veste grise et tourne son visage vers l’extérieur, vers le monde.

L’ombre d’un mensonge se détache d’une romance robotique dénuée de charme et livre une histoire délicate et audacieuse dans sa façon d’approcher l’amour.


Laura Enjolvy



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