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[CRITIQUE] : Un Printemps à Hong Kong

Réalisateur : Ray Yeung
Acteurs : Tai Bo, Ben Yuen, Patra Au, Lo Chun Yip, ...
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Hong-kongais
Durée : 1h32min

Synopsis :
Pak, chauffeur de taxi et Hoi, retraité, vivent à Hong Kong. Ils ont construit leur vie autour de leur famille mais leur rencontre, au hasard d’une rue, les entraîne sur les pentes d’une belle histoire d’amour, qu’ils décident de vivre sans toutefois bouleverser les traditions de leur communauté.


Critique :



En ce mois des fiertés, Ray Yeung sort son troisième long-métrage. Le cinéaste hong-kongais se présente lui-même comme un réalisateur LGBT. Un Printemps à Hong Kong filme un secret au creux d’une vie qui s’est construite autour d'omissions, de mensonges. Il ne sera pas question de coming out dans cette histoire d’amour homosexuelle entre septuagénaires. Ce qui intéresse Ray Yeung c’est justement ce qui se cache derrière le fameux placard, et surtout pourquoi ces personnages ont besoin de s’y enfermer.

Copyright Epicentre Films

Dans un Hong Kong fourmillant de vie, l’homosexualité est encore un puissant tabou. Certain‧es assument quitte à subir les préjugés, la violence, mais la plupart choisissent une voie plus sûre, celle qui leur garantissent la sécurité, une voie toute tracée par la société contemporaine. Mariage, enfants, une vie simple rythmée par le quotidien familial. Quand la caméra se pose sur Pak (Tai Bo), il est au crépuscule de sa vie mais rechigne à prendre sa retraite. Chauffeur de taxi, il prend soin de sa voiture et à un quotidien redondant. Les rôles genrés sont bien définis dans sa famille. Pendant qu’il lit son journal, sa femme prépare le repas. Son fils est marié, père d’une petite fille. Sa fille a bientôt quarante ans et sort avec un homme plus jeune qu’elle, au grand dam de sa mère (qui ne se gêne pas pour le lui dire). Pak se laisse porter par la vie, un trait de caractère dont sa femme a dû se faire à la longue, en témoigne la séquence où elle lui demande ce qu’elle doit faire d’une de ses vieilles chemises déchirées. “Fait comme tu le sens” lui répond-il, sous les grognements de sa femme “toujours la même chose avec toi”. Pourtant, derrière cette façade de père de famille modèle, il cache un lourd secret. Il le dévoile aux spectateur‧trices doucement, au détour d’un arrêt aux toilettes publiques. Pak cherche quelqu’un. Il finit par le trouver, dans le parc à côté. L’échange est bref, mais nous comprenons tout de suite. En quelques plans, Ray Yeung nous montre que cette séquence est habituelle pour Pak. Une rencontre dans un lieu public, un besoin de trouver un endroit plus discret, puis il rentre chez lui comme si de rien n’était. Mais cette rencontre sera différente. Hoi (Ben Yuen) a le même âge que lui, a aussi un fils et une petite-fille. Divorcé, il se cache aux yeux de sa famille mais vient dans des réunions LGBT, pour créer une maison de retraite gay. Le but étant que les retraités tels que lui, qui ont passé toute une vie à se cacher, puissent enfin jouir de la liberté de s’assumer pleinement.

Copyright Epicentre Films

Le printemps signifie souvent un renouveau. Le printemps du titre pourrait faire référence à cette nouvelle vie après une dure vie de labeur : la retraite. Synonyme de liberté, elle est pourtant peu montrée au cinéma. La vieillesse est plutôt vue comme une finalité dans nos salles obscures, la dernière ligne droite avant le grand plongeon. Il est donc très rare de voir des acteurs de plus de soixante-dix ans interprétés des personnages principaux (encore plus rare quand il s’agit d’actrices !), de voir leurs corps, de parler de problèmes de santé, de sénilité, de solitude. Pak et Hoi font partie des privilégiés. L’un a encore sa femme pour s’occuper de lui, l’autre a un fils dévoué qui ne l’enverra en hospice que s’il n’y a pas d’autres solutions. Seulement, le fait d’être si bien entouré les empêche de se dévoiler, le masque d’hétérosexualité si longtemps porté doit encore tenir sur leur visage marqué par le temps. C’est sûrement ce besoin de le quitter, même pour un temps bref, que Pak et Hoi se rapprochent et se comprennent. Loin de leurs familles, dans une pièce miteuse d’un salon, leurs corps s'entremêlent, dévoilant une poésie dans leur mouvement intime. La caméra, qui les cadrent souvent en plan large dans la rue, comme de vulgaires passants, prend alors le luxe de se rapprocher à l’intérieur de cette pièce, où les protagonistes quittent vêtements et masques. Un printemps à Hong Kong est clinique la plupart du temps, linéaire. Le récit s’emploie à montrer les personnages dans leur environnement familial, puis dans leur environnement secret, chacun leur tour. Mais le cadre finit par montrer une autre facette de leur personnalité. Il montre la sensualité qui se dégage de ces corps vieillissants, balayant ainsi les préjugés sur la sexualité des septuagénaires. La caméra se fait douce, témoin secrète d’un amour tardif dans l’intimité mais cruelle à l’extérieur, témoin d’un silence pesant et de regard accusateur.
Un printemps à Hong Kong se dévoile doucement, devient au fur et à mesure un questionnement profond d’une vie de regret, cachée aux yeux de tous. La mélancolie se cache également, au creux d’un moment intime dans un film à l’émotion ténue.


Laura Enjolvy



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