[CRITIQUE] : Au Nom de la Terre
Réalisateur : Édouard Bergeon
Acteurs : Guillaume Canet, Veerle Baetens, Anthony Bajon, Rufus,…
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h43min.
Synopsis :
Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l'exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… Construit comme une saga familiale, et d’après la propre histoire du réalisateur, le film porte un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.
Critique :
Digne dans sa vérité douloureuse, politique dans sa mise en image d'un sacrifice constant et trop rarement reconnu,#AuNomdelaTerre est une oeuvre belle et puissante de modestie, une séance nécessaire qui pousse à la réflexion un auditoire qui restera longtemps hanté par sa vision pic.twitter.com/mTgmDrVENq— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) September 25, 2019
Si l'équilibre était sensiblement précaire mais bien réel il y a encore quelques années, gageons aujourd'hui que la balance tourne nettement à l'avantage d'un fait plutôt que de l'autre : Guillaume Canet acteur est infiniment plus passionnant à suivre, que le Guillaume Canet réalisateur.
Non pas que le bonhomme ait moins à dire derrière une caméra - ce serait extrême -, disons plutôt que sa propension à bien s'entourer et à tout donner dans des projets ciblés, chez les caméras des autres, laissent bien plus une marque sur nos rétines que lorsqu'il s'échine à conter ses propres histoires.
Mieux encore, le fait qu'il prenne de plus en plus de bouteille au fil du temps, semble bonifier son jeu d'acteur autant que son investissement (une logique qui n'en est pas forcément une, tant tous les comédiens ne deviennent pas forcément meilleur avec les années qui passent).
Preuve en est en cet ultime mercredi de septembre, avec le superbe Au Nom de la Terre d'Edouard Bergeon, qu'il éclabousse de son jeu tout en nuances, et de la fragilité bouleversante qui s'en dégage.
Claque émouvante et intime comme le septième art français sait si bien les asséner quand il s'en donne les moyens, la péloche nous catapulte au coeur du si peu abordé monde agricole (le dernier en date, Petit Paysan, date déjà de deux ans), dans une fresque familiale articulée sur plusieurs décennies, infiniment personnelle puisque s'inspirant de la vraie histoire du père du cinéaste.
Ne tombant jamais dans la facilité (que ce soit dans son émotion où son portrait teinté de nostalgie et d'amour pour un père qui a depuis, rendu les armes) mais faisant preuve d'une crudité sans nom dans sa vision tragique de paysans à l'agonie, Édouard Bergeon déploie un plaidoyer édifiant sur la mort des petits exploitants, la mort inéluctable d'un monde pourtant vitale au bon fonctionnement d'un pays qui fait rien pour endiguer une condamnation qu'elle regarde tel un spectateur sadique.
Un monde de l'agriculture fracassé par le capitalisme, où les dettes étouffent autant que l'indifférence, que le réalisateur capte de l'intérieur et à hauteur d'hommes, nous plaçant dans un quotidien déchirant entre désespoir, jalousie, incompréhension et envie de tout simplement en finir, à tous les niveaux.
Digne dans sa vérité macabre, politique - même sans le vouloir - dans sa mise en image d'un sacrifice constant et trop rarement reconnu, westernien en diable avec sa facture crépusculaire, incarné par un groupe de comédiens totalement impliqués et transcendés face à la cause (Canet en tête, sans oublier la merveilleuse Veerle Baetens et le définitivement prometteur Anthony Bajon, qui supportent avec puissance la douleur d'une condition sans pardon quand elle vire au cauchemar); Au Nom de la Terre est une oeuvre belle et puissante de modestie, un hommage bouleversant autant qu'une séance aussi nécessaire qu'elle pousse à la réflexion un auditoire qui restera longtemps hanté parce qui lui est montré à l'écran (un agriculteur se suicide chaque jour dans l'hexagone...).
Du bon et grand cinéma français comme on l'aime.
Jonathan Chevrier