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[CRITIQUE] : Sunset


Réalisateur : László Nemes
Acteurs : Juli Jakab, Vlad Ivanov, Evelin Dobos, ...
Distributeur : Ad Vitam
Budget :-
Genre : Drame
Nationalité : Français, Hongrois.
Durée : 2h20min

Synopsis :
1913, au cœur de l’empire austro-hongrois.
Irisz Leiter revient à Budapest après avoir passé son enfance dans un orphelinat.
Son rêve de travailler dans le célèbre magasin de chapeaux, autrefois tenu par ses parents, est brutalement brisé par Oszkar Brill le nouveau propriétaire.
Lorsqu’Írisz apprend qu'elle a un frère dont elle ne sait rien, elle cherche à clarifier les mystères de son passé.
A la veille de la guerre, cette quête sur ses origines familiales va entraîner Irisz dans les méandres d’un monde au bord du chaos.



Critique :


Par la force d'un premier long-métrage aussi douloureux que somptueux, qui a mis tout le monde d'accord même dans le sacro-saint antre du Festival de Cannes, le cinéaste hongrois László Nemes s'est non seulement fait un nom, mais il a aussi et surtout crée une attente assez démente sur son potentiel second passage derrière la caméra, qui a gentiment su se faire attendre : quatre ans, c'est ce qu'il aura fallu à Sunset pour succéder à Le Fils de Saul.
Exit le survival éprouvant catapulté en pleine seconde guerre mondiale, Nemes se penche cette fois sur la veille de la grande guerre, en plein coeur de l'Empire austro-hongrois, sur l'épopée de la jeune Irisz Leiter, fraîchement de retour sur sa terre natale après avoir été placée pendant de longues années dans un orphelinat, à la suite du décès tragique de ses parents.
Elle va alors essayer de travailler dans leur ancienne chapellerie, et de recoller les pièces du puzzle familial méchamment trouble...
Sublime drame historique dans les rues somptueuses de Budapest (d'une reconstitution hors pair), citant volontiers les cinémas de Bergman, Visconti et Antonioni, le second film de László Nemes peut autant se voir comme une quête identitaire/d'émancipation lancinante et fascinante d'une jeune femme tentant de suivre les pas de parents disparus et de s'opposer à son frère, de guérir le passé pour mieux construire demain, qu'une constatation criante de vérité d'un monde bouffé par sa propre monstruosité (encore une fois toujours suggérer mais jamais réellement montrer à l'écran), et littéralement au bord de l'implosion par la faute de la lutte des classes que d'une guerre menaçant méchamment de pointer le bout de son nez.



Récit profondément foisonnant toujours porté par une mise en scène au plus près des corps et des visages, pour mieux renforcer une immersion aussi volontairement floue qu'elle est proprement passionnante (on prend très vite fait et cause pour Irisz), magnifié par de nombreuses séquences mémorables (notamment le final, grandiose) et une radicalité de chaque instant, Sunset ne serait sans doute pourtant rien sans la partition tout en délicatesse et en justesse de la merveilleuse Juli Jakab, ange hypnotique et mutique sur qui la caméra est totalement vissée, et qui n'a d'yeux - tout comme nous - que pour elle jusque dans son ultime bobine.
Nouveau poème puissant et sensorielle d'une densité incroyable laissant constamment la place à l'interprétation, concocté par un cinéaste résolument avant-gardiste et se forgeant gentiment mais surement un cinéma appelé à compter dans les prochaines années, Sunset est un beau et mélancolique drame humain sur un passé sombre servant de miroir douloureux à la société contemporaine, autant qu'une vraie oeuvre tendue et troublante sur la lutte des classes et sur l'écrasant monde monarchique (ou l'humanité perd de son essence à mesure que l'on s'y approche).
Un petit bout de cinéma miraculeux et fascinant, rien de moins.


Jonathan Chevrier





Le fils de Saul avait ouvert les portes du succès à son réalisateur László Nemes. Grand prix au Festival de Cannes de 2015, Oscars du meilleur film étranger en 2016. Pour un premier long-métrage, Nemes avait frappé fort, dans un film brutal, qui observait le chaos de la Seconde Guerre Mondiale. Sunset était donc attendu au tournant. Même s’il lui a fallu quatre ans pour nous faire découvrir son nouveau film, Nemes avait eu l’idée de Sunset avant même Le Fils de Saul. Il imaginait une jeune femme, au début du XXe siècle, porteuse du destin de sa société, image d’une révolte et de l’auto-destruction du monde. 



Sunset est lent, mais porte une fascination pour son interprète principal, Juli Jakab, contagieuse pour le spectateur, qui est prêt à supporter les baisses de rythme et l’aspect redondant de la mise en scène pour ce regard perdu et glaçant. Le film ne veut surtout pas nous faciliter la tâche et nous dévoile petit à petit son histoire. Littéralement, car le premier plan du film est un lever de voile d’un chapeau, où nous découvrons le visage du personnage Irisz Leiter. Cette jeune femme, tout juste de retour dans sa ville natale, Budapest, en 1913, espère se faire engager comme modiste dans l’ancienne chapellerie de ses parents, décédés dans un incendie alors qu’elle avait deux ans. Les yeux dans le vague, un esprit ailleurs, Irisz ne dira pas tout de suite qu’elle n’est pas une cliente, laissant les employés lui changer de chapeaux à tour de bras. Mais quand elle dévoile la vérité, son nom de famille relié à l’enseigne prestigieuse de la chapellerie, le gérant fera tout pour l’éloigner. 


Nemes prend le parti de ne jamais quitter Irisz, avec une caméra qui s'arrête sur chaque aspect de son visage d’ange. Yeux bleus, teint de porcelaine, elle sera nos yeux, nos oreilles sur l’histoire plus globale que le réalisateur veut nous conter, celle d’un Empire aux confins du chaos, celle d’un monde ébranlé par la lutte des classes. Il nous fait ressentir ce malaise impalpable, invisible, une révolution en cours, une émancipation portée par la violence. Et c’est là toute la force de Sunset, celui de nous montrer par le biais de l’intime (la quête identitaire de Irisz) l’Histoire du monde, les prémices d’une guerre atroce. Irisz, jeune femme orpheline, a l’air de se chercher un but. Elle fait tout d’abord une fixation sur le poste de modiste dans la maison Leiter, bien qu’un cocher lui fasse remarquer qu’elle pourrait avoir une bonne place dans une autre chapellerie. Mais qu’une seule enseigne porte son nom, lui fait remarquer Irisz. Puis, elle fera tout pour retrouver son frère, accusé cependant d’un crime sanglant. Pourtant, ce qu’elle cherche réellement, c’est une émancipation de sa condition, même si elle le comprend vers la fin. Comme Elisabeth Ier, qui disait dans Marie Stuart, Reine d’Ecosse de Josie Rourke, devoir “gouverner comme un homme” pour garder son pouvoir et se sentir légitime aux yeux de la société patriarcale, Irisz va s’habiller comme un homme, pour s’affranchir de sa condition, ce qui la conduira vers un lieu où les hommes du XXe siècle ont vécu des années de violence et de sang, les tranchées de la Première Guerre Mondiale. Preuve s’il en est, que l’émancipation féminine est accompagnée d’une certaine forme de violence, devoir renier son genre pour être prise au sérieux. 


Malheureusement, le côté systématique du film ne l’aide pas beaucoup. Si nous comprenons parfaitement ce besoin de faire d’Irisz le témoin du climat social et politique de Budapest, le film paraît austère et statique. Le but est de distiller l’histoire avec parcimonie, de ne comprendre qu’après coup les enjeux, la puissance et la beauté de ce que veut nous proposer le réalisateur. Mais le résultat est là, Sunset pâtit d’une baisse de rythme effroyable, nous montrant les limites du procédé de la caméra immersive.
Reflet d’une époque pas si lointaine, résonance avec notre société actuelle, Sunset propose une fascinante balade dans la tête d’une jeune femme, témoin et actrice d’un changement radical et violent du monde d’hier. 

Laura Enjolvy

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