[CRITIQUE] : Imitation Game
Réalisateur : Morten Tyldum
Acteurs : Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode, Mark Strong, Charles Dance,...
Distributeur : Studio Canal
Budget : 15 000 000 $
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h54min.
Synopsis :
1940 : Alan Turing, mathématicien, cryptologue, est chargé par le gouvernement Britannique de percer le secret de la célèbre machine de cryptage allemande Enigma, réputée inviolable.
Critique :
#ImitationGame ou un sublime drame intime, un hommage nécessaire à un homme d'exception doublé d'un bel éloge à la différence @STUDIOCANAL
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 26, 2015
Depuis plusieurs mois, dès que le sujet des prochains oscars effleure les bouches des cinéphiles les plus alertes, instinctivement, le titre d'Imitation Game vient à l'esprit de beaucoup, tout autant ou presque que le Birdman d'Inarritu.La faute en partie à un seul homme, Benedict Cumberbatch, dont on ne peut que prétendre que la péloche a été faite dans le simple et unique but de le voir triompher durant la longue saison des récompenses.
Il faut dire que plus rien ne résiste au célèbre Sherlock depuis quelques temps maintenant, son ascension est tellement fulgurante que même Marvel s'était évertué pendant de longues semaines à lui faire la cour pour qu'il porte de ses larges épaules leur nouveau hit sur grand écran, le Dr Strange de Scott Derrickson.
Un pari sur l'avenir foutrement ambitieux, dont l’épilogue pourrait le voir devenir aussi important et imposant dans le Marvel Cinematic Universe que Robert " Iron Man " Downey Jr.
Ou quand un Sherlock en chasse un autre en tête de la chaine alimentaire Hollywoodienne...
Mais revenons-en à nos moutons et à Imitation Game donc, péloche à statuettes dorées en puissance alléchante s'inscrivant comme le biopic de l'une des plus importantes figures scientifiques et mathématiques du vingtième siècle, Alan Turing, pion essentiel de la victoire des Alliés en 1945 puisqu'il décrypta les codes nazis pendant la douloureuse Seconde Guerre Mondiale.
Un homme dont la fin de vie fut assombrie par sa condamnation proprement injuste et discriminatoire, pour homosexualité - illégale à l'époque outre-Manche -, qui le poussa à se faire castrer chimiquement pour éviter la prison, avant de se suicider en s'empoisonnant au cyanure.
Un héros national oublié et bafoué par l’administration britannique et la mémoire collective, dont la contribution à l'effort de guerre et l'impact sur la science moderne (ses travaux furent fondamentaux en informatique) fut purement extraordinaire.
Un an après la grâce royale accordée à titre posthume par la reine Elizabeth, le septième art pose donc enfin sa pierre à l'édifice de la réhabilitation médiatique du bonhomme, dont la disparition absurde choque encore aujourd'hui.
On le sait, le cinéma ricain et l'Académie - en fait l'Amérique tout court - aime les success story exceptionnelles et bigger than life, et encore plus quand elles sont intimement liées à la Grande Histoire.
Autant dire qu'Imitation Game a tout en lui pour être le digne successeur du Discours d'un Roi de Tom Hooper ou encore du Harvey Milk de Gus Van Sant.
Follement ambitieux et sophistiqué d'un point de vue scénaristique, le premier film en terre US de Morten Tyldum (Headhunters) suit l'enquête d'un détective suite à un cambriolage (dont le mathématicien est victime) pour mieux conter l'histoire façon puzzle de Turing en s'appuyant sur plusieurs étapes charnières de son existence, de son enfance à son recrutement par les services secrets britanniques pour craker la méthode de cryptage allemand - Enigma -, mais aussi les dernières années de sa vie.
Un brin hagiographique, focalisé bien entendu sur ses années les plus marquantes (celles en pleine guerre, et sa conception d'une machine, Christopher, qui sera capable de calculer plus rapidement que l’esprit humain), Imitation Game décrypte avec minutie la personnalité du personnage à coups de flashbacks intelligemment dosés, traitant frontalement aussi bien de son homosexualité (secret qu'il se doit de garder encore plus soigneusement que ceux du gouvernement), de ses angoisses et de ses rêves que de son caractère solitaire, maladroit, d'incompris et d'inadapté social.
Sous les traits d'une personnalité aussi riche que d'une complexité exaltante, Benedict Cumberbatch, qui s'appuie enfin sur un premier rôle à la mesure de son immense talent, crève littéralement l'écran dans la peau du mathématicien/cryptologue ravagé par la solitude et l'incompréhension des autres face à sa " différence ", et pour qui les relations humaines sont elles aussi, des données à décrypter.
D'une justesse folle et aussi captivant que le film en lui-même, le jeu formidable et tout en nuance du bonhomme justifie à lui seul son pesant de popcorn.
Derrière, si le beau et pimpant casting fait plus figure de personnages fonctions plus qu'autre chose, malgré une qualité de jeu indéniable, tous font sensiblement le boulot, à commencer par une Keira Knightley encore une fois à tomber dans la peau de la fiancée officielle de Turing, résolue à n'être qu'une simple amie pour un homme qui ne peut l'aimer.
Mais dans cet océan de qualités, tout n'est pourtant pas rose ni parfait dans ce biopic s'appuyant peut-être trop, sur le talent de son interprète vedette.
Si des mauvais points conséquents devaient lui être donné, ce serait certainement du côté de la mise en scène, trop classique et académique, aux décors et costumes certes soignés mais sans réelle envergure ni aucune prise de risques, surtout que Tyldum se la joue un poil hors-jeu parfois, en alourdissant plus que de raison certaines scènes clés à coups d'informations certes fascinantes, mais un peu écrasante (à l'instar, un peu, de la première partie d'Insterstellar).
Pas de quoi entacher la vision de ce séduisant et remarquable moment de cinéma, mais suffisamment ce qu'il faut tout de même pour nous laisser rêver à ce qu'aurait pu en faire d'autres cinéastes plus chevronnés, mais également plus engagés et burnés (David Fincher, Paul Verhoeven ou encore Gus Van Sant).
Multipliant les genres avec maestria (thriller emplit de suspens, biopic historique et drame poignant et intime) et porté par une belle composition sonore signé Alexandre Desplat, Imitation Game est un divertissement joliment épique, accessible, passionnant et classieux, un hommage nécessaire à un homme de l'ombre au destin tragique mais exceptionnel doublé d'un sublime éloge à la différence.
Un parfait film pour les oscars, qui semble de toutes les manières, n'avoir été fait en grande partie que pour ça.
Jonathan Chevrier