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[CRITIQUE] : Elvis


Réalisateur : Baz Luhrmann
Acteurs : Austin Butler, Tom Hanks, Alton Mason, Kodi Smit-McPhee, Luke Bracey, Olivia DeJonge, Dacre Montgomery,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Biopic, Musical.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h39min

Synopsis :
Le film est présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2022.

La vie et l'œuvre musicale d'Elvis Presley à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux manager, le colonel Tom Parker. Le film explorera leurs relations sur une vingtaine d'années, de l'ascension du chanteur à son statut de star inégalé, sur fond de bouleversements culturels et de la découverte par l'Amérique de la fin de l'innocence.



Critique :


Avant même l'arrivée dans une salle obscure, il était une évidence que si Baz Luhrmann se pencherait sur la vie tumultueuse et la carrière - qui le fut tout autant - d'une légende telle qu'Elvis Presley, il privilégierait une expérience non pas didactique mais pleinement énergisante et excessivement divertissante, un voyage frénétique à l'image même du King et, indiscutablement, de son cinéma bigger than life.
Une certitude qui ne met que très peu de temps avant de se voir conforter - une bonne nouvelle pour les fans de son cinéma -, tant de son ouverture éphémère à son final tragique et étrangement festive, il n'essaie jamais d'en faire narrativement trop, de creuser trop profondément dans tous les aspects de l'existence de Presley, de son enfance et sa jeunesse dans un hommage indispensable à ses influences gospel et blues à son explosion, bousculant les codes de l'Amérique férocement puritaine de l'époque.

Copyright 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Kane Skennar

In fine, la vision du cinéaste se focalise avant toute chose sur la relation entre Elvis et son manager le colonel Tom Parker (qui n'était pas un vrai colonel et dont le vrai nom n'était pas non plus Tom Parker - Andreas van Kujik -, lui qui avait immigré illégalement aux États-Unis depuis les Pays-Bas), passant d'un accord mutuellement bénéfique à une relation malsaine et anxiogène, où le second n'aura eu de cesse d'exploiter et de ronger jusqu'à l'os le talent du premier - mais que l'on peut tout aussi juger comme un artisan majeur de son statut de légende.
Et c'est la vision de ce dernier qui sert littéralement de guide à travers l'univers fou et kaléidoscopique retranscrit Luhrmann, une présence dominatrice - voire même un poil révisionniste - qui embaume le film, montrant comment l'homme à essorer l'icône au point d'en faire une bête de cirque, l'a tellement fait approcher du soleil qui lui en a intimement brûlé les ailes; une vraie relecture Faustienne du mythe Elvis où le chanteur n'a jamais paru aussi vulnérable et tendu.
Avec la subtilité qu'on lui connaît (très, très criarde), le cinéaste fait de Parker l'antagoniste affirmé du long-métrage, que la partition tout en surjeu d'un Tom Hanks plongeant tête la première et avec excès dans la caricature, vient appuyer joyeusement.
Une véritable tragédie shakespearienne qui s'inscrit instinctivement dans la droite lignée de ses précédents efforts, Romeo + Juliette et Gatsby le Magnifique surtout, avec un Austin Butler que Luhrmann filme comme Leonardo DiCaprio à ses débuts, avec amour et une sensualité jazzy.
Quand l'acteur secoue ses hanches lors du premier concert de Presley en tant que rock star à part entière, ce n'est pas une étoile qui naît à l'écran mais bien deux...

Copyright 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Kane Skennar

En ce sens, il n'est pas totalement lunaire de voir Elvis comme d'une suite complémentaire voire 2.0 de The Great Gatsby tant le cinéaste ne fait que reprendre de manière encore plus délirante, tous les contours d'un cinéma capturé dans l'urgence et qui se complaît amoureusement dans l'opulence la plus totale, baignant dans un océan de couleurs sursaturées, d'éclairages intenses et de montages frénétiques/clipesques.
Mais plus encore que par le passé, la musique ici à un rôle primordial voire même presque omniprésente, tant elle est ici autant le véhicule de l'art même d'Elvis que l'assise viscérale, plus encore que les images, de son influence sur la musique populaire et sur le monde.
Mais si, conceptuellement, cela a du sens, ses embardées dans le hip-hop et le R&B moderne qui se mêlent aux vieux rhythm 'n' blues sont in fine plus distrayantes que réellement révélatrices.
Ce qui est dommage tant le film traite avec sérieux de l'influence de la musique afro-américaine sur l'oeuvre et la vie d'Elvis, de son enfance au coeur de quartiers ségrégués de Memphis à sa relation avec la communauté afro-américaine, lui qui était ouvert à la culture afro-américaine et en désaccord avec les lois ségrégationnistes du sud des États-Unis.
À son meilleur, Elvis puise autant dans la détresse intime du chanteur et sa paranoïa (dans une seconde moitié plus intime et révélatrice) que dans la frénésie démente qu'il a déclenché dans le monde, et comment lui-même était incapable de saisir les implications sociales de son art tant il était emprisonné dans la précipitation et l'urgence d'interpréter sa musique.

Copyright 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Kane Skennar

Entre le spectacle incandescent qui essore le mythe et la vision, justement essoré, de son déclin inexorable où il n'est que le spectateur grotesque et impuissant de sa propre vie (que ce soit face à son statut de monstre de foire pour ses gestionnaires, où face à lui-même et ses propres maux/dépendances), Elvis incarne une oeuvre baroque qui tranche - évidemment - avec le tout commun des biopics musicaux balisés et hagiographiques jouant constamment la sécurité (même si lui-même, dégaine un canevas de passages obligés dans la carrière du King), privilégiant le vertige et l'ivresse au didactisme.
Après tout, à quoi bon se faire conter une histoire dont on connaît tout où presque depuis longtemps, si ce n'est que pour en apprécier la vision fantasque du cinéaste qui s'attache à la conter ?


Jonathan Chevrier