[CRITIQUE] : Sinners


Réalisateur : Ryan Coogler
Acteurs : Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Miles Caton, Wunmi Mosaku, Jack O'Connell, Delroy Lindo, Jayme Lawson, Omar Benson Miller, Li Jun Li, Lola Kirke,...
Budget : -
Distributeur : Warner Bros. France
Genre : Action, Épouvante-horreur, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h17min

Synopsis :
Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience...

« À force de danser avec le diable, un beau jour, il viendra te chercher chez toi. »



Il n'aura finalement fallu que cinq réalisations, toutes plus où moins dissemblables, pour que Ryan Coogler fasse le tour d'Hollywood sans forcément avoir à revenir vers la case départ (comme bon nombre de talents aussi vite célébrés que recrachés par l'industrie), trouvant une sorte d'équilibre entre les productions impersonnelles gérées de A à Z par les grosses firmes à leur tête (Black Panther mais surtout Black Panther : Wakanda Forever, en attendant le troisième opus toujours en développement) et celles certes un poil moins friquées, mais où il peut laisser s'exprimer un tant soit peu sa vision.

Au-delà d'un Creed qui avait une base on ne peut plus solide sur laquelle s'appuyer (un édifice de six films avec la plume de Sylvester Stallone comme bouée de sauvetage), Sinners est sans aucun doute l'œuvre la plus aboutie du cinéaste au cœur de la jungle Hollywoodienne, quand bien même sa popote sauce tacos quatre viandes salade-tomate-oignons (un western vampirique mâtiné de film de gangsters, de drame familial, de home invasion et de musical torride !), apparaît parfois gentiment chaotique, non pas parce que le bonhomme n'arrive pas à maîtriser son concept protéiforme, mais bien parce qu'il fourmille d'idées et d'influences jusqu'à l'excès.
Du pop-corn movie chargé comme une mule et à la lisière du gonzo donc, mais qui trouve son propre groove sans jamais finir dans le fossé : totalement notre came.

Copyright 2025 Warner Bros. Entertainment Inc.

Flanquée dans un Mississippi en pleine prohibition frappée par la pauvreté et la violence, la narration, qui ne dépasse pas les limites d'une seule et même journée, colle aux basques des frères jumeaux SmokeStack, Elijah/Smoke et Elias/Stack (doublement campés par un Michael B. Jordan aux nuances joliment marquées), de retour au pays après avoir bossé pour Al Capone à Chicago.
Deux faces complices et complémentaires d'une même pièce, le premier étant plus têtu et pragmatique là où le second se faisait plus sombre et charmeur, avec un sourire carnassier capable de tout croquer sur son passage.

Leur retour est évidemment loin d'être désintéressé : ils ont pour but de lancer un club - le Juke - tout en blues et réjouissances pour (majoritairement) la communauté afro-américaine locale, histoire de glaner un paquet de billets vert et d'asseoir un peu plus leur réputation, conscient qu'ils sont qu'ils ne seront jamais véritablement libres dans ce monde.
Tout semble se passer sans le moindre accroc pour leur soirée d'ouverture, accompagnés qu'ils sont de leurs anciens amis et de leur famille, leur jeune cousin Sammie, guitariste et fils de pasteur - dont le flow est vanté comme légendaire -, jusqu'à ce que débarque à l'entrée du club, trois étrangers blancs indésirables qui demandent expressément à être invités à la fête...

S'il prend sensiblement son temps pour installer tous ses tenants et aboutissants, dans une première moitié qui assoit sans effort la complicité entre les deux frangins et leurs proches, Coogler, à l'image d'un John Carpenter dont l'aura tutélaire embaume tout le long-métrage (à l'image même, au fond, de George Romero pour le Get Out de Jordan Peele), ne s'embarrasse absolument pas des conventions du genre vampirique dans sa seconde, totalement conscient qu'il est de l'intelligence de son auditoire pour jouer la carte du récapitulatif irritant, pour mieux se laisser aller à une horreur à la fois furieusement physique (les giclées de sang sont plutôt généreuses), surnaturelle et spirituelle, sans pour autant laisser de côté ses aspirations émotionnelles comme grindhouse.

Structuré comme un cauchemar fiévreux, musclé et brut entre The Thing, Vampires et Assaut (une nuit d'horreur où ce ne sont pas forcément les plus pures qui s'en sortent à la fin), Sinners voit sa menace trouver sa nature à la fois dans la violence de son époque (la ségrégation, le régime Jim Crow et une haine raciale alors totalement banalisée), que dans un malaise profondément ancré dans les entrailles mêmes de l'Amérique (née dans le sang, l'expropriation, l'asservissement et l'esclavage), sa figure vampirique apparaissant de facto tout autant comme monstrueuse (un trio de bêtes voraces fagotés comme dans le O'Brothers des frères Coen et qui tuent pour se nourrir, symboles des vices sordides de l'humanité) que séduisante et fun dans son offrande mensongère de l'éternité (presque synonyme de survie pour une communauté noire littéralement chassée et tuée), pour ses nombreuses âmes marginales et vulnérables, endeuillées et cupides (l'argent - et la quête de richesse - comme père de tous les maux), à qui l'on attache toujours une question/notion de spiritualité (tournant souvent autour de la sentencieuse damnation éternelle, même si l'idée de perdre un proche dans les ténèbres est peut-être encore plus forte que de s'y perdre soi-même).

Copyright 2025 Warner Bros. Entertainment Inc.


Sur de lui (tellement qu'il semble, d'une manière maladroitement ironique, vouloir créer un parallèle entre lui-même et le génie emprunt de pureté de Sammie, qu'il cherche à inscrire dans un vrai héritage créatif tout en le préservant du vice des mécènes/majors le produisant, où comment s'assimiler et se vendre sans perdre son âme) comme des talents qu'il convoque (sa prestigieuse distribution, d'où émerge Jordan mais également Hailee Steinfeld, Miles Caton et Wunmi Mosaku, sans oublier la superbe photographie de Autumn Durald Arkapaw et la musicalité entraînante du score de Ludwig Göransson), Coogler n'hésite alors pas à s'essayer à une sensualité inédite (avec une glorification du blues comme la seule musique qui transcende les âmes), une action visuellement plus explosive voire même à quelques effets parfois déroutant, mais totalement en adéquation avec sa volonté de ne pas forcément se prendre au sérieux, tout en prenant totalement au sérieux son effort.

En résulte une oeuvre sanglante et viscérale débordant d'énergie et d'influences, certes méchamment chaotique et excessive mais tout autant prenante et attachante, un vrai bis de vidéo-club (aux moyens plus conséquents, évidemment) comme on en fait plus par un cinéaste qui se donne les moyens d'être un tant soit peu audacieux et qui n'a pas peur de prendre des risques.
C'est ce qui s'appelle mériter chèrement son pesant de pop-corn, et encore plus aujourd'hui...


Jonathan Chevrier



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