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[CRITIQUE] : Ils sont vivants


Réalisateur : Jérémie Elkaïm
Avec : Marina Foïs, Seear Kohi, Laetitia Dosch, Igor Van Dessel, …
Distributeur : Memento Distribution
Budget : -
Genre : Comédie dramatique, Romance
Nationalité : Français
Durée : 1h52min

Synopsis :
Veuve depuis peu, Béatrice vit avec son fils et sa mère. Sa rencontre avec Mokhtar, enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe, va bouleverser son quotidien et ses convictions. Par amour pour lui, elle va devoir défier les préjugés de son entourage et les lois de son pays.


Critique :



Pour son premier long métrage, Jérémie Elkaïm s’attaque à un gros morceau. Ils sont vivants est produit à l'initiative de Marina Foïs, qui interprète Béatrice Huret, dans l’adaptation du livre Calais mon amour tiré de sa propre histoire, écrit à l’aide de Catherine Siguret. Le film nous emmène dans la réalité de la “jungle”, lieu à Calais où sont parqués les migrants qui attendent l’acceptation de leur demande d’asile ou le bon moment pour passer en Angleterre. Le monde de Béatrice, veuve d’un policier alcoolique sympathisant FN, va venir se heurter à un monde qu’elle ne connaît pas, mais qui va lui ouvrir les portes de son humanité et de son cœur.

C’est un environnement sec et violent auquel nous confronte le réalisateur. Béatrice, impériale Marina Foïs, est stoïque, froide, abrupte, au moment où son mari est mis en terre. Pas une larme ne coule sur son visage de marbre, où aucune émotion ne se pose. Aide soignante, Béatrice n’est pas une femme aimable, ni même souriante. Elle ne sait pas gérer la tristesse de son fils. Elle est cassante avec ses patient⋅es en gériatrie, dans un métier où, on le sait d’autant plus suite à la crise sanitaire, le salaire et des conditions de travail décentes sont aux abonnés absents. On a l’impression qu’il n’y a plus de vie à l’intérieur du personnage. Béatrice déambule comme un fantôme, son corps effectuant les tâches du quotidien sans une once de réaction. La mort de son mari n’est qu’un événement banal et elle reprend bien vite le train-train de sa vie.

© Memento Distribution

Jérémie Elkaïm veut à tout prix éviter l’écueil du misérabilisme qui peut survenir quand on commence à parler de précarité, de racisme et/ou des immigrés. C’est pourquoi la douleur de Béatrice se dévoile doucement, grâce aux détails que vient capter la caméra mobile du réalisateur. Le problème de boisson de feu son mari, sa violence envers elle, son racisme latent et son métier de policier qui prenait beaucoup de place dans la famille. Si Béatrice semble asséchée, c’est à cause de l’emprise au sein de son couple. La mort, qui devrait être libératrice, l’enferme encore plus en tant que femme de policier. Leur famille est entourée des anciens collègues de son mari, qui forment une continuité de la prison dans laquelle il l’enfermait. Le personnage est pétri de préjugés sur les migrants, préjugés formés par la vision de son entourage. Les immigrés sont dangereux, volent, violent, pillent et tuent.

Pourtant, quand Béatrice croise un jeune migrant perdu dans le parking de l’hôpital, elle ne voit pas un être dangereux mais un adolescent paumé qui a besoin de retrouver son chemin. Elle le raccompagne alors dans le camp d’immigré excentré de la ville. La vie de Béatrice en sera bouleversée.

Timidement, elle prend la température. Elle commence par donner les vêtements de son mari. Puis elle vient aider l’association du camp quelques heures. Elle revient souvent, et se prend d’empathie pour un groupe d’iraniens aux lèvres soudées qui veulent partir en Angleterre. Vu par les yeux de Béatrice, le bénévolat est dénué de complaisance. C’est une mission dure où il faut se fondre dans la réalité du lieu et la détresse qui accapare le camp. Le récit apporte beaucoup de nuance autour de l’association, évitant ainsi le trope du white savior venu faire sa bonne action. Béatrice est vite confrontée à ce dilemme : doit-elle compartimenter sa vie et son bénévolat, ou alors tout mélanger pour aller plus loin dans l’entraide ?

© Memento Distribution

C’est quand il s’attaque à la rencontre fortuite entre Béatrice et Mokhtar que Ils sont vivants prend un ton singulier. Mokhtar est l’un des immigrés iraniens du camp que Béatrice accepte d'héberger le temps de trouver un moyen d’aller en Angleterre. Leur histoire tombe presque sous le sens : deux âmes esseulées, dépouillées de leurs émotions pour pouvoir survivre. Jérémie Elkaïm refuse que leur amour soit un élément secondaire du récit. Dès que leur bouche s'effleurent, leur histoire prend le pas sur tout, comme celle-ci prend le pas sur leur vie. Leur amour est sensuel, viscéral. La caméra se déplace selon leur caresse, leur souffle, leur baiser. C’est un amour qui prend de l’espace et qui les libère de leur rôle. Veuve et mère, Béatrice se transforme dans les yeux de Mokhtar en une femme désirable, dont la pulsion de vie vient de réapparaître sur son visage. Mokhtar n’est plus seulement un immigré interchangeable, un étranger, il est un homme qui a dû tout quitter mais qui n’abandonne pas l’espoir d’aimer et de désirer.

Grâce à une caméra concernée et à un regard désireux de ne pas se laisser enfermer dans un drame social misérabiliste, Ils sont vivants est un film bouleversant par son histoire et plutôt réussi dans sa volonté de nuancer son propos. Il est aussi intéressant de souligner que la mention “tiré d’une histoire vraie” se place à la fin du film plutôt qu’au début. Par ce choix, Jérémie Elkaïm nous laisse la liberté de se plonger dans la fiction sans jouer le jeu du biopic. L’histoire se réinvente par l’image et nous propose un véritable moment de cinéma sans le poids de la véracité, parfois lourde à porter.


Laura Enjolvy



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