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[CRITIQUE] : Almamula


Réalisateur : Juan Sebastian Torales
Avec : Nicolás Díaz, Martina Grimaldi, Maria Soldi, Cali Coronel,…
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique
Nationalité : Argentin, Français, Italien.
Durée : 1h34min

Synopsis :
Dans son quartier à Santiago del Estero, au nord de l’Argentine, le jeune Nino est régulièrement la victime d’actes homophobes parce qu’efféminé. Afin de le protéger, sa mère très croyante emmène toute la famille à la campagne pour les vacances d’été. La forêt près de la maison a la réputation d’être hantée par l’Almamula, un monstre qui, selon la légende, enlève tous ceux qui commettent des péchés charnels. Alors qu’il assiste aux leçons de catéchisme en préparation de sa confirmation, Nino se sent étrangement attiré par la forêt maudite.


Critique :



Des voix dans l’obscurité, un sentiment de danger, une chaleur étouffante qui s’échappe du cadre … En quelques secondes, Juan Sebastian Torales imprègne son premier long métrage d’une chose indicible et ensorcelante. On ne ressort pas indemne de notre rencontre avec l’Almamula, à l’orée d’une forêt argentine.

Le cinéaste est revenu dans sa terre natale, Santiago del Estero (située au nord de l’Argentine), pour transmuter son expérience à l’écran (de ses propres mots). Se confronter à son adolescence des années plus tard, surtout quand celle-ci est teintée de violence a sûrement été une expérience cathartique, mais ce n’est pas le mot qui vient spontanément pour caractériser Almamula. Hanté serait un mot plus juste, avec suffisamment de background folklorique pour exprimer l’émotion que procure le film. Avec une caméra soudée à son héros principal, Nino, le film dévoile son récit comme on nous raconterait un cauchemar. Prédominé par la confrontation entre l’obscurité et la lumière, entre la frustration religieuse et les désirs, le film de Torales exprime des émotions réprimées, qui transperce la narration et nos rétines.

Copyright CINEMIEN Deutschland

Parce que le film nous emmène dans une terre inconnue, nous ressentons la confusion de Nino, qui se confine avec toute sa famille, dans un petit village après l’agression homophobe qu’il a subi. C’est un personnage mutique et étrange, observateur, portant des désirs et de la culpabilité. Comme lui, nous regardons, fascinés, ces paysages d’une beauté folle et gothique. Les plans, construits presque comme des tableaux, nous subjuguent. La musique, hantée elle-aussi, nous stimule et nous garde en état d’alerte. Il sera difficile d’être passif devant un tel film, qui décide, sciemment, de nous prendre à partie. Puisque qu’aucun personnage ne se résout à verbaliser ce qui bouffe leur quotidien, il faut que le spectateur soit le témoin des événements, un témoin vierge de tout jugement. Comme peut l’être Mavelo, seul personnage à ne pas porter un poids sur ses épaules.

Comme sur un tableau, les personnages semblent figés, avec au-dessus d’eux, la religion telle une lourde épée de Damoclès. Ce sont dans les interstices, dans des plans en miroir, que leur désir échappe à leur contrôle. C’est la sœur de Nino qui embrasse un garçon, derrière un mur où se trouve sa mère. C’est cette même mère qui se surprend à regarder les abdos de Mavelo, avec un regard équivoque. Seul Nino se meut parmi eux, avec la possibilité d’être sauvé par l’Almamula, entité ambiguë, terrifiante mais aussi magnétique. Dans le domaine folklorique nous pouvons trouver de nombreux exemples d’une féminité maléfique, des harpies de la mythologie gréco-romaine à la Baba Yaga de Russie. Les femmes sont les monstres qui peuplent un imaginaire collectif, tout continent confondu. Souvent vengeresses et meurtrières, les figures mythologiques de ce bestiaire féminin font l’objet d’histoires sanguinolentes, qui hantent encore nos récits contemporains. Mais l’Almamula ne s’avère pas vengeresse. A contrario de ses consœurs, cette entité, certes maléfique, accueille Nino à bras ouverts, comme l’obscurité accueille nos plus noirs secrets. La volonté du réalisateur était, d’ailleurs, de faire de cette figure de femme-monstre un symbole de rédemption. À l’image de la toile horrifique peinte par la grand-mère de Nino, se fondant parfaitement dans la forêt (symbole des contes), la terreur de l’Almamula se fond dans le parcours initiatique de Nino. La mise en scène épouse les codes de l’horreur au milieu du propos social, noyau central de la narration.

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Alors laissons nous happer par l’atmosphère étrange et lugubre de Almamula, qui sort en plein mois d’août – un mois idéal pour parcourir la force obscure des désirs, sous une chaleur étouffante.


Laura Enjolvy