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[CRITIQUE] : Jumbo


Réalisatrice : Zoé Wittock
Acteurs : Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon, Sam Louwyck,...
Distributeur : Rezo Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Belge, Français, Luxembourgeois.
Durée : 1h33min

Synopsis :
Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d’attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l’extravertie Margarette. Alors qu’aucun homme n’arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d’étranges sentiments envers Jumbo, l’attraction phare du parc.



Critique :



Malgré un petit couac au démarrage, gageons que la neuvième édition du Champs-Elysées Films Festival démarre sur les chapeaux de roues avec une vraie surprise singulière, Jumbo, premier passage derrière la caméra de la cinéaste belge Zoé Wittock (et inspiré de l'histoire folle mais vraie d'Erika Eiffel, qui a épousée... la tour Eiffel !), qui sait déjà jouer de nos attentes avec une étonnante habileté.
De prime abord, la péloche à tout du drama so européen et assez conventionnelle, sur une mère célibataire (Emmanuelle Bercot, dans un rôle assez ingrat) qui peine à accepter la femme que sa fille Jeanne (fabuleuse Noémie Merlant) est devenue, sauf qu'en grattant un tout petit peu sa surface, on fait vite face à une merveilleuse fable sur une jeune âme solitaire, qui développe une profonde attirance psychologico-sexuelle pour l'attraction du parc délabré où elle travaille.

Copyright Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films

En prenant intelligemment pour base une prémisse ultra-familière, qu'elle recouvrira peu à peu d'une coquille confite, sorte de couche colorée de sucre dur et enchanteur savoureusement singulière, Wittock explore les méandres d'une love story défiant les tabous, et souffle des références éparses et pas toujours totalement digérerées, entre un sentiment sulfureux - mais pas trop - tout droit sortie des lignes brûlantes de J.G. Bailard (impossible de ne pas penser à son Crash, l'énergie pénétrante en moins), le réalisme magique des bijoux de Spielberg, la sévérité rugueuse de Cronenberg (dans la manière ou il possède pleinement ses personnages) ou même le surréalisme emprunt de douceur du cinéma de Jean-Pierre Jeunet.
Mieux, si l'imagination un brin cloîtrée et l'apparence un tantinet négligée et excentrique de Jeanne, suggèrent immédiatement que l'on est potentiellement en face d'une cousine éloignée d'Amélie Poulain, l'histoire la dirige plus vers une héroïne sombre et complexe, tout droit sortie des contes des frangins Grimm.
Si le monde extérieur voient en Jumbo - ou Move-It -, une machine qui retourne l'estomac, Jeanne voit en lui un compagnon, et alors que sa mère souhaite que sa fille trouve des réveils sexuels avec un homme qui ne lui causera pas de douleur; elle espère - vainement - que sa matriarche totalement déconnectée, approuvera se lien improbable.
Imposant l'intimité comme une généralité malléable et, surtout, toujours émotionnelle (ou elle confronte les plaisirs internes aux attentes externes), Jumbo peut se voir comme une barbe à papa un peu sèche mais douce et poétique - avec une exubérance saturée de néons -, sur la dédramatisation de la singularité et du statut de " bizarre ".


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Ou quand une âme renonçant aux tentations de la chair pour lui préférer les lumières clignotantes et les engrenages vrombissants d'une machine, s'enferme dans un isolement qui la mènera indubitablement au jugement des autres (et en particulier à l'inconfort viscérale de sa génitrice).
Plutôt que de la juger sans chercher à la comprendre (pour ne pas se réconforter dans une certaine idée de la " normalité "), Zoé Wittock nous invite dans son monde, nous dévoile la nature de ses sentiments noués à partir de cris d'adrénaline, de bruits métalliques et de lamentations extérieurs.
Situé à l'intérieur - rapidement souillé - du vide blanc stérile et Kubrickien de l'imagination de Jeanne, le film évoque l'idée exceptionnellement fascinante que nous sommes tous plus ou moins transformés par les choses que nous voyons, touchons et rencontrons autrement dans l'inconnu, et que ce monde s'attache à nous autant que nous le faisons.
La façon dont Jeanne s'emmêle dans les poutres de soutien en acier et les pistons brillants de Jumbo - qui est un love interest constamment crédible, dans un monde où la figure masculine est jamais fiable -, représente comment la jeune femme navigue dans une jungle recouverte du fer de ses propres craintes et incertitudes, obscures et sensuelles, qui ne font que s'accentuer à mesure que son adoration émotionnelle et légèrement érotique, s'accentue.
Ce qui rapproche quelque part l'oeuvre de la passion fétichiste qu'éprouve Michael Bay avec ses Transformers (true story), mais surtout comme dit plus haut, de l'attrait mystique d'un Rencontre du Troisième Type (Jumbo clignote comme un OVNI et gémit comme une énorme créature marine, ce qui le rend plus supposément vivant qu'une attraction banale), le tout appuyé par la photographie chatoyante de Thomas Buelens.


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Et c'est dommage d'ailleurs, justement, que la péloche n'épouse pas plus que cela cette aura mystérieuse, cet abandon total de la logique comme le faisait Jonathan Glazer avec son merveilleux Under The Skin, car c'est dans cette acceptation fugace que Jumbo est au plus fort de son propos.
Loin d'être aidé par une écriture précaire - ou plutôt maladroite - et quelques scories inhérents aux premiers essais (mis à part la quasi-figure paternelle incarné par Hubert/Sam Louwyck, les seconds couteaux manquent de consistance, la partie " réelle " manque de puissance et les dialogues sont souvent risibles), Jumbo n'en reste pas moins un excellent et audacieux drame sur l'expression et l'unicité de l'interrogation autour de la normalité et des normes conventionnelles.
Difficile de ne pas admettre que l'on aimerait vraiment en voir tous les jours, des premiers films aussi singuliers et de cette trempe.


Jonathan Chevrier



Copyright Caroline Fauvet

Diffusé en tant que film d’ouverture de l’édition du Champs-Elysées Film Festival en ligne, Jumbo le premier long-métrage de la réalisatrice belge Zoé Wittock était attendu au vu du léger bug expérimenté au lancement.
Le synopsis fascine. Une jeune femme réservée, campée par Noémie Merlant, travaille de nuit dans un parc d’attraction et tombe amoureuse du tout nouveau manège, le Move It, qu’elle baptise affectueusement Jumbo. Est-ce une métaphore ? Eh bien, il semblerait que non. Jeanne est attirée par cet objet, dont le mouvement et les lumières hypnotisent, quitte à se mettre à dos son entourage. Un premier film étonnant, parfois fragile, parfois d’une poésie saisissante, qui sort dès le 1er juillet en salles.

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Jeanne est une jeune femme sans âge, une enfant dans un corps d’adulte. Alors qu’elle rêve de Jumbo, dans une ambiance lumineuse et hypnotique, elle se réveille en sursaut, sa mère ne l’a pas réveillé. Interprétée par Emmanuelle Bercot, Margarette a une relation fusionnelle avec sa fille. Son style décalé et brut de pomme, que ne renierait pas le personnage de Anne Dorval dans Mommy, détonne face à la réserve de Jeanne. Le début du film nous montre même une scène typique d’un teen movie US, où l’adolescent a honte d’un de ses parents venu le déposer au lycée. Il est vrai que Margarette ne passe pas inaperçu avec sa voiture jaune et le surnom affectueux donné à sa fille, qu’elle crie sous tous les toits : “coucougnette”, alors qu’elle la dépose devant l’entrée de son boulot. Malgré les références au cinéma ricain que nous pouvons déceler ici et là tout au long de Jumbo, il serait dommage de l’enfermer dans celles-ci. Il met son temps, mais le film finit par déployer un récit à part, surprenant peut-être, mais solide.


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La caméra n’est parfois pas tendre avec Jeanne, l’enfermant encore plus visuellement, alors que le personnage a déjà du mal avec les conventions sociales. Caractérisée comme une personne réservée, Jeanne est éloignée du stéréotype du personnage un peu fou que l’on pourrait croire quand on entend l’histoire. En bas du titre jaune prenant l’ensemble du cadre, se cache une phrase plus timide “inspiré d’une histoire vraie”. Loin d’être un gag, Zoé Wittock a reconnu s’être grandement inspirée de l’histoire de Erika Eiffel, qui s’est mariée avec la Tour Eiffel en 2007. Jumbo n’est pas un film qui aborde frontalement l’objectophilie, même si elle infuse quelques traits spécifiques des personnes objectophiles dans son héroïne. Il n’est pas si insensé de considérer Jeanne dans le spectre de l’autisme, quand on la voit en grande difficulté de communication avec les personnes qui l’entourent. Malgré sa relation avec sa mère, Jeanne est seule, par la mise en scène tout d’abord, qui s’amuse à la séparer des autres personnages (humains), mais aussi par son autre relation (avec Jumbo), qui coupe tous ses liens. La communication avec l’attraction est simple. Elle passe par le touché, par l'ouïe, par la vue, mais est exempt de complication. En tant qu’objet, Jumbo n’a pas la complexité humaine qui rend Jeanne si difficile à comprendre pour ses proches. La réalisatrice s’amuse à infuser des codes de la comédie romantique dans ce couple détonnant : la rencontre, la séduction, le désir, la trahison, le pardon et les retrouvailles, qui alimentent la partie imaginaire d’une base robuste.

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La mise en scène de Zoé Wittock explore la part intime de son personnage et nous laisse l’occasion de rentrer dans le monde de Jeanne. Cela se fait par les lumières colorées décorant sa chambre, et rappelant ainsi celles de Jumbo. Mais aussi parce que le film ne lâche jamais Jeanne, qui apparaît dans quasiment chaque plan. Cela donne l'occasion à la réalisatrice d’approfondir le côté charnel de la relation avec l’attraction. Nous se sommes donc pas surpris quand le film bascule dans une séquence onirique d’une relation sexuelle avec Move it. Le plan se débarrasse de ce qui est superflu, entourant Jeanne de blanc. Elle laisse l’huile noire de Jumbo la recouvrir, laissant ainsi libre court à sa passion. C’est la séquence pivot dans le récit. À la suite de cette relation maintenant consommée, Jeanne se délaisse totalement des conventions sociales qui créent la norme et fait exploser sa joie amoureuse d’avoir rencontrer “quelqu’un” qui la rend heureuse. Cette scène est à mettre en parallèle avec l’autre relation sexuelle que va avoir Jeanne dans la suite du film, qui par comparaison est loin d’être aussi érotique, alors qu’elle fait l’amour avec un homme cette fois. Quand elle couche avec Marc (interprété par Bastien Bouillon), l’acte nous paraît mécanique. C’est parce qu’elle veut faire plaisir à sa mère qui voudrait que sa fille ait une relation intime “normale”, qu’elle décide de coucher avec son boss, qui la drague depuis le début. La caméra nous refuse l’image tout d’abord, restant fixée sur un cadre qui nous renvoie l’image flou des corps de Jeanne et Marc. Jeanne ne fait aucun bruit, l’espace sonore s'appuyant uniquement sur les râles de Marc. Puis subitement, alors que l’acte est finit, la caméra bascule sur le visage de Jeanne, en larme. Elle n’a pris aucun plaisir dans cet acte socialement permis et va se réfugier chez Jumbo, le seul être qui la comprenne. Malgré l’aspect surprenant de cet amour, Zoé Wittock arrive à nous la rendre cohérente, car elle entoure ces moments de douceur et de poésie, aidés par la musique, que l’on ne retrouve pas dans ses interactions avec les humains, plus rugueux et dénué de magie. Ce rapport au corps distillé dans Jumbo depuis les premières secondes aide à rendre la relation entre humain et machine vraie et palpable. Cela donne à la réalisatrice un univers unique et audacieux, car elle ne lâche jamais son concept pour faire rentrer son héroïne dans le carcan de la normalité.

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Jumbo n’évite pas quelques écueils inhérent à un premier long-métrage, notamment une partie “réelle” familiale moins fascinante en dépit du duo Merlant/ Bercot fonctionnant à merveille. Mais cette naïveté n’alourdit pas le scénario, car elle se prête à cette histoire hors du commun. Le film ne veut pas être le témoin d’un processus psychologique parce qu’il s’intéresse beaucoup plus à l’histoire d’amour.. Zoé Wittock confirme ce que l’on présageait avec son court-métrage À demi-mot, qu’elle est une réalisatrice à suivre de très près.


Laura Enjolvy