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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Trois Films de Věra Chytilová


Rétrospective Trois Films de Věra Chytilová : Le Plafond (1962), Un Sac de Puces (1962) et Quelque chose d'autre (1963).

Distributeur : Contre-jour distribution




La plupart des cinéphiles - dont nous - ont débutés la découverte du merveilleux cinéma de la cinéaste tchèque Věra Chytilová, par l'intermédiaire de son second effort, le chef-d'œuvre punk Les Petites Marguerites, sorte d'explosion délirante et dadaïste qui incarnait viscéralement la Nouvelle Vague tchèque dans sa forme la plus radicale et captivante - mais aussi et surtout féministe.
Une fable absurde et irrévérencieuse où la cinéaste épousait les traits d'une démarche purement expérimentale au travers des pérégrinations de deux femmes refusant de jouer selon les règles de la société patriarcale, pour mieux dessiner les contours d'une charge féroce contre le conformisme et le consumérisme.

Clairement le genre d'invitation d'exception susceptible de nous pousser à découvrir le reste de sa filmographie, ce que nous permet en ces dernières heures de l'été, la firme Contre-jour distribution à travers deux de ses premiers moyens/courts-métrages, Le Plafond et Un Sac de Puces (inédits en salles, le premier incarnant le film de fin d'études de la cinéaste à la FAMU), ainsi que son premier long-métrage, Quelque chose d'autre.

Film de fin d'études comme dit plus haut, d'une jeune femme qui n'avait pas vocation à devenir cinéaste, mais qui va pleinement bousculer le septième art comme peu à son époque, Le Plafond abandonne toute idée de narration pour incarner le portrait à la fois documentaire et abstrait d'une jeune tchèque, Marta, ayant abandonné ses études de médecine pour le mannequinât (renvoyant à l'un des nombreux métiers qu'elle a exercé quelques années auparavant), à la fois au plus près d'une routine pointant douloureusement sa solitude comme son ennui, mais aussi au cœur même d'un monde de la mode dont elle dépasse la superficialité pimpante de son image publique.

Toutes les bases (narratives comme du côté de la mise en scène, comme ses angles de vues doucement excentriques) du cinéma de Chytilová se retrouvent là, toutes les graines fertiles d'un cinéma vérité centré sur les femmes fortes et résilientes qui repoussent discrètement les limites d'une société oppressante comme l'asphyxie de leur quotidien redondant, chacune à leur manière tant il n'y a pas d'échappatoire réellement universelle, tant il n'y a pas une vérité qui les définit toutes.
Sa Marta aime autant son métier et l'attention qu'il suscite, qu'il l'épuise physiquement et moralement, la cinéaste rendant aussi palpable qu'organique sa subtile lassitude face à la violence silencieuse qu'elle encaisse sans broncher, entre des membres qui s'alourdissent sous le poids des interminables poses, à un sourire de façade qui peine de plus en plus à assumer son artificialité - comme si son corps tentait peu à peu, de reprendre sa liberté.

D'une fausse légèreté, presque onirique, qui laisse vite poindre ses contours claustrophobes, Le Placard sert de modèle thématique et esthétique évident à son effort suivant, Un sac de puces, simili-documentaire fictif d'une quarantaine de minutes pas si éloigné de la comédie Les Amours d'une blonde de Milos Forman, où la cinéaste,non sans quelques séquences fortes (notamment une, fantastique, entièrement tournée dans le noir), catapulte son auditoire une nouvelle fois au cœur de l'action, en la rébellion d'une poignée de jeunes ouvrières - âgées de quinze à dix-huit ans - vivant dans l'internat d'une usine textile, contre le régime en place, à travers le point de vue d'une nouvelle venue.

Il en est de même pour Quelque chose d'autre, son premier long-métrage, qui brouille lui aussi la frontière entre fiction et documentaire, à travers le lien émotionnel noué entre le portrait de la championne de gymnastique Eva Bosáková (l'une des athlètes les plus importantes de l'histoire de la Tchécoslovaquie), et celui fictif d'une femme au foyer insatisfaite et meurtrie face à l'indifférence des siens, Věra.
Deux figures frappées par des poignantes crises existentielles où elles remettent totalement en question ce qui est au centre de leur existence - la carrière pour l'une, le mariage pour l'autre -, que Chytilová entrecroise avec délicatesse comme pour mieux pointer leurs similitudes.

Deux canevas intimes et complexes où, comme à son habitude, la cinéaste épouse sans la moindre moralisation putassière les choix de ses héroïnes opprimées, leurs aspirations comme leurs frustrations, leur quête d'autonomie et d'émancipation face à un bonheur au prix écrasant.
Une merveille, rien de moins, pour un petit cycle essentiel qui, on l'espère, amènera à une ressortie encore plus riche de l'oeuvre de Věra Chytilová, dans les mois/années à venir - on croise les doigts.


Jonathan Chevrier