[CRITIQUE/RESSORTIE] : La ferme des animaux
Réalisateurs : John Halas et Joy Batchelor
Acteurs : avec les voix de Maurice Denham, Gordon Heath, Jean-Claude Michel,...
Distributeur : Malavida Films
Budget : -
Genre : Animation, Comédie Dramatique.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h13min.
Date de sortie : 22 décembre 1993
Date de ressortie : 8 octobre 2025
Synopsis :
Lassés des mauvais traitements, les animaux de la ferme de M. Jones décident de prendre le pouvoir et instaurent une nouvelle société fondée sur un principe d’égalité entre tous les animaux. Mais quelques uns des “quatre pattes” décident que certains sont plus égaux que d’autres...
La réussite du film ne tient donc pas seulement à sa dimension technique, mais à transformer l’animation en outil de réflexion, et ancrer le cinéma d’animation britannique dans une perspective engagée, loin des clichés enfantins qui lui sont souvent associés. L’esthétique adoptée par Halas et Batchelor rappelle les grandes œuvres d’animation états-uniennes des années 1930 et 1940. Les animaux sont animés avec une précision qui évoque le style Disney, mais sans tomber dans la caricature ou le comique exagéré. La ferme, qui est le lieu principal de l’action, est représentée avec des couleurs sombres et des contrastes marqués, renforçant l’impression de tension et de violence. Les plans sont travaillés pour souligner l’oppression et la surveillance, chaque espace devenant le reflet de hiérarchies et de conflits. Pourtant, la campagne anglaise qui entoure la ferme conserve une lumière plus douce et une perspective plus ouverte, suggérant la possibilité d’un monde extérieur plus paisible. Ce contraste accentue l’enfermement des animaux à l’intérieur de la ferme.
![]() |
Copyright Malavida |
Colorisé avec la technique du technicolor, une rigueur ressort du film. Celle rendant les textures et les volumes particulièrement tangibles, pour donner une profondeur inattendue pour l’époque. Ce travail d’animation, rendu possible grâce à l’expertise de John Reed (alors directeur de l’animation chez Disney) et à une équipe provenant de Rank (dont le département animation a fermé), montre que le film ne se contente pas de raconter une histoire : il construit un univers où chaque décor et mouvement participent à l’atmosphère sombre et politique de l’ensemble. Autre grande réussite du film, et qu'il ne verse jamais dans le sentimentalisme ou le pathos faciles. Halas et Batchelor conservent une certaine distance critique vis-à-vis de leurs personnages, même dans les moments de tension ou de cruauté. Cette distance est notamment exercée par des touches d’humour noir, qui surgissent parfois dans les comportements des animaux ou dans la façon dont certains incidents sont animés. Halas et Batchelor jouent pour cela sur les contrastes entre gravité et ironie. Les scènes de violence ou d'oppression ne sont pas édulcorées, mais présentées avec sobriété, ce qui renforce le sérieux du récit.
L’animation n’est donc pas seulement un outil de fantaisie visuelle, elle sert le propos dramatique (comme la répression de la révolte ou l’ascension des cochons au pouvoir). Les mouvements des personnages, le cadrage et le rythme des séquences contribuent à créer une atmosphère tendue, où la morale de la fable apparaît avec force, sans être appuyée ni maniérée. En parallèle, les expressions des animaux, leurs maladresses ou leurs réactions absurdes, créent un décalage subtil. Sans oublier de souligner les contradictions des personnages et la brutalité de la structure sociale qu’ils reproduisent (même si le film est prudent avec l'esprit contestataire). Une combinaison d’ironie, de gravité et de lucidité, qui accompagne la parabole politique sans jamais céder au spectacle outrancier. Un ton particulier pourtant parfois entaché par sa morale politique binaire axée sur l'éducation entre bien et mal (très associée à l'époque de la guerre froide). Les relations simplistes entre personnages et espèces animales peuvent provoquer une certaine gêne lors de plusieurs séquences.
![]() |
Copyright Malavida |
On pourra y regretter que le film ait été financé par la CIA dans le cadre de l’opération Mockingbird. Cette commande a imposé un propos anticommuniste, tout en modifiant certains aspects de la nouvelle originale : notamment la fin, adoucie par rapport à celle écrite par Orwell. Pourtant, cette contrainte extérieure n’empêche pas Halas et Batchelor de produire une œuvre qui conserve une aura esthétique. Leur adaptation transforme la fable politique en un véritable laboratoire de cinéma d’animation engagé, où chaque mouvement, chaque plan et chaque expression animale porte une tension morale et sociale. La Ferme des animaux illustre ainsi la capacité de l’animation à dépasser les frontières de l’enfance et du simple divertissement. L’ombre du pouvoir, la fragilité des idéaux et la mécanique de la domination sont rendues accessibles par le langage visuel et la précision du montage. Malgré les contraintes idéologiques qui conditionnent le film - substituant la satire par une propagande masquée -, celui-ci réussit à créer un univers où la politique et l’esthétique se répondent, adoptant un regard lucide et critique sur les dérives du totalitarisme et sur la manipulation des masses.
Teddy Devisme