[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #186. Door
![]() |
© Carlotta Films |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se baladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leur mot à dire...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#186. Door de Banmei Takahashi (1988)
Et si c'était chez soi que l'on était le moins en sécurité ? Cette terreur intime, qui sous-tend tout le sous-genre du home invasion, s'exprime d'une manière particulièrement inquiétante dans Door. Rendant honneur au titre, la porte d'un appartement y devient le centre de gravité de la mise en scène, constituant l'unique et fragile rempart entre Yasuko, jeune mère au foyer, et un représentant en commerce déterminé à se venger après qu'elle l'a accidentellement blessé à la main en lui claquant la porte au nez.
Cet élément déclencheur en lui-même est déjà porteur d'un propos. Il naît de la friction entre une femme au foyer au quotidien routinier et solitaire, épiée par ses voisins, incessamment sollicitée par des démarcheurs à l'indiscrétion oppressante, et d'un commercial épuisé et humilié d'enchaîner rejet sur rejet. L'appréhension omniprésente d'une part, la frustration accumulée d'autre part deviennent ainsi les ingrédients du cocktail qui met en route le scénario.
Il faut dire que le cadre japonais est particulièrement propice à son éclosion. L'action se déroule en effet dans un mansion, l'un de ces immeubles d'habitation typiques du pays où les appartements sont reliés par des coursives extérieures, favorisant la surveillance et le voyeurisme. Quant à la culture locale du travail et des conventions sociales, si elle est largement réputée pour être aliénante, le film ne fera que nourrir cette image en s'en nourrissant lui-même.
![]() |
© Carlotta Films |
D'ailleurs, c'est le travail qui retient plusieurs jours hors du foyer l'époux de Yasuko, la laissant seule avec leur jeune fils face à cette menace. Néanmoins, plus que la situation elle-même, ce sont la honte, le dégoût et la peur de n'être pas prise au sérieux qui l'isolent véritablement, anticipant sur l'inévitable figure de la femme jugée "trop sensible", "paranoïaque", "hystérique"... Car la persécution que subit l'héroïne est bel est bien genrée.
Si c'est peut-être déjà l'image de la ménagère vulnérable qui encourage le commercial dans son hostilité, les humiliations qu'il met en œuvre revêtent ainsi un aspect sexuel alors qu'il écrit des obscénités sur sa porte ou laisse un préservatif usagé dans sa boîte aux lettres. Surtout, après avoir découvert le visage de celle qui l'a offensé, il se met à la considérer avec concupiscence, faisant évoluer le harcèlement de misogynie à prédation ouverte.
Banmei Takahashi ayant fait ses débuts dans le pinku eiga (cinéma érotique), Door n'échappe pas, à cette occasion, à quelques plans un peu dénudés, mais s'y complaît finalement assez peu. Là où sont (trop) nombreux les films d'exploitation utilisant le viol comme instrument cathartique (quand il n'est pas carrément voué à exciter), cette retenue relative permet à l'ombre de l'agression sexuelle qui plane ici de retenir toute son horreur.
Par ailleurs, au-delà de sa réification en objet de fantasme, il y a une autre fonction genrée par le biais de laquelle le représentant - désormais pleinement devenu un stalker - s'acharne sur Yasuko : son statut de mère. Cherchant à protéger son enfant à la fois physiquement et psychologiquement, elle a ainsi d'autant moins d'options à sa disposition qu'elle cherche à dissimuler la situation à son fils et craint les représailles contre lui.
![]() |
© Carlotta Films |
Non content de devenir un outil de chantage, ce garçon maintenu dans l'ignorance, qui poursuit son quotidien avec une insouciance toute égoïste, représente en outre un élément difficilement prévisible et contrôlable, venant ainsi apporter un surplus de dynamisme et d'originalité au scénario. Door évite grâce à cela de s'enliser dans un face-à-face trop restreint qui aurait rapidement pu tomber dans la redite d'une escalade sans relief.
Enfin, soulignons que Banmei Takahashi ponctue le tout de bonnes idées de mise en scène, gravitant souvent autour de la porte donnant son titre à l'œuvre. Elles culminent avec une violente course poursuite circulaire vue du dessus, dans laquelle l'appartement prend des airs de maison de poupée dévastée. Ce point de vue en hauteur rend ainsi d'autant plus saisissante la menace de l'intrus naviguant dans l'étroitesse des murs, véritable loup dans la bergerie.
Au bout du compte, Door parvient à manier l'angoisse avec rythme, efficacité, et un certain sens du malaise. Cette réussite confirme agréablement le tournant dans la carrière de son réalisateur, qui avait commencé à s'émanciper de ses débuts dans le pinku quelques années plus tôt avec Tattoo Ari. On retrouvera pourtant les relents de cet érotisme d'exploitation dans Door II: Tokyo Diary, une prétendue suite spirituelle qui n'entretient en vérité qu'un lointain lien thématique avec Door, et renoue avec une certaine gratuité dans la représentation du sexe et de ses violences. Inutile, donc, de s'attarder sur cet héritier largement anecdotique.
Lila Gaius