[CRITIQUE] : Gangs of Taïwan
Réalisateur : Keff
Acteurs : Liu Wei Chen, Rimong Ihwar, Devin Pan, Yu Ann-shun,...
Distributeur : Tandem
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Français, Taiwanais, Américain.
Durée : 2h15min
Synopsis :
À Taïwan, Zhong-Han, un jeune homme mutique d'une vingtaine d'années, mène une double vie. Employé dans un restaurant familial le jour, il rackette en bande la nuit pour le compte de parrains locaux. Mais le rachat du restaurant par un homme d'affaires véreux met en danger ses proches, et oblige Zhong-Han à affronter son propre gang.
Même s'il bifurque plutôt volontiers vers le néo-noir âpre et brutal aux excès de violences que n'aurait pas renier Fruit Chan, difficile pourtant de ne pas penser un peu (où beaucoup, c'est selon) à la douce mélancolie du magnifique A Brighter Summer Day d'Edward Yang, à la vision de Gangs of Taïwan, estampillé premier long-métrage du wannabe cinéaste américano-taiwanais - évidemment sous influences - Keff, qui noue à son portrait férocement amère et pessimiste de sa nation lessivée et apathique, à la fois tout en fractures et littéralement au bord du chaos (tout autant par la menace existentielle de la Chine - mais pas que -, que par une économie agonisante, le tout sous fond d'érosion des libertés démocratiques), celui tout aussi désabusé d'une jeunesse sans avenir et en colère, à travers le parcours embrumé d'une figure toute aussi acculée que mutique, symbole du Taipei contemporain en pleine mutation pris entre les feux de la corruption, de la violence des gangs et d'un capitalisme dévorant.
![]() |
Copyright Tandem Films |
Soit, au plus fort des manifestations/émeutes hongkongaises de 2019, Zhong-Han, gamin énigmatique et taiseux d'à peine une vingtaine d'années, qui mène une double vie à l'équilibre précaire : il fait la plonge dans le modeste mais accueillant restaurant familial le jour, et rackette/extorque son prochain aux côtés d'un gang pour le compte de parrains locaux, la nuit.
Tout bascule cependant dans l'irrationnel, même sa romance naissante avec une employée de supérette de son âge, lorsqu'un homme d'affaires véreux rachète le restaurant et met en danger ses proches, obligeant alors le jeune homme à s'interroger sur son rôle dans les opérations criminelles jusqu'à, inéluctablement, devoir les affronter...
Itinéraire de la lente et destructrice chute d'une sorte de gangster solitaire jamais totalement lancé sur la voie de la rédemption, d'autant qu'il nourrit par ses actes le même système biaisé dans la violence comme dans l'apathie, Gangs of Taïwan swingue sur le fil tenu d'un lyrisme charmeur et d'une rugosité sourde, tout en dégainant le pessimisme bouillonnant de son constat social sans le moindre misérabilisme putassier.
Un formidable premier film puissant et désabusé, tout simplement.
Jonathan Chevrier