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[CRITIQUE] : Magellan


Réalisateur : Lav Diaz
Acteurs : Gael García Bernal, Roger Alan Koza, Dario Yazbek Bernal, Ângela Ramos,...
Distributeur : Nour Films
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Romance.
Nationalité : Espagnol, Portugais, Philippin.
Durée : 2h43min

Synopsis :
Porté par le rêve de franchir les limites du monde, Magellan défie les rois et les océans. Au bout de son voyage, c’est sa propre démesure qu’il découvre et le prix de la conquête. Derrière le mythe, c’est la vérité de son voyage.





C'est parce qu'il sait merveilleusement dépouiller sa narration de tout élément artificiel et superflu, parce qu'il pense différemment un cinéma qui, jusqu'ici, trouvait sa beauté dans la digression, dans la mise en avant au coeur du cadre, de personnages dont les histoires dépassaient toujours consciemment la marge, que le cinéaste philippin Lav Diaz fait de son nouveau long-métrage aussi bien une fantastique fresque historique condensant plusieurs décennies d'histoire en à peine trois heures de bobines (et deux expéditions majeures), que la preuve éclatante (si besoin était) qu'il est l'un des plus faiseurs de rêves de sa génération.

Magellan ne se fait pas une célébration du célèbre navigateur et explorateur portugais de l'époque des grandes découvertes, mais une odyssée expansive et destructrice sur un homme dont l'image du monde et la conception du bien et de la logique, se désagrègent au fil d'une quête vorace où la violence est prodiguée comme le seul et unique outil de communication.

Copyright Nour films

Une exploration du monde par l'asservissement et la destruction que Diaz compose comme une transe mystique et sanguinaire, orchestrant la lente dissolution/agonie de l'idéal colonial (comprendre : convertir où annihiler toute personne croyant à une autre religion que le catholicisme) à travers une physicalité et une poésie proprement macabre, au plus près d'une âme un temps jeune et naïve - et donc facilement corruptible - face à ses désirs de gloire et de grandeur, avant de contempler dans une forme de réalisme tout en désillusion que sa conception pervertie du devoir et de la fierté patriotique/religieuse, n'a entraîné que la mort et la souffrance.
Un homme qui n'a pas toujours voulu semer le pire, mais qui s'est toujours senti le devoir de le faire.

Profondément oppressant, qu'il enserre son personnage titre dans sa propre dislocation intérieure où dans un cadre écrasé par l'adversité (sur une terre ou il n'est jamais à sa place, comme sur son navire à l'espace encore plus comprimé, bouffé tout autant par l'instabilité harassante de mère nature que par un obscurantisme qui sévit dans chaque recoin), où lorsqu'il s'attarde sur la violence inhumaine subit par les indigènes (un génocide qui laisse toujours des cadavres au premier plan), un génocide qui engloutit aveuglément les êtres; Magellan est avant tout et surtout d'une lucidité terrifiante dans sa mise en images lancinante de l'horreur de l'Histoire avec un grand H, dans cette chronique d'un colonialisme arrogant et déterminé où une manifestation humaine (?) de l'ombre de la mort, est brisé par le silence et le propre vide qu'il crée en lui-même et partout où il passe.

Copyright Nour films

Paradoxalement aux antipodes de ses précédents efforts, tout en étant un film de Lav Diaz jusqu'au bout de sa pellicule (ses longs - et inimitables - plans fixes, son travail méticuleux sur le son comme sur la lumière, sa propension à composer des fresques épiques à partir d'éléments minimalistes,...), Magellan, qui tire le meilleur parti de ses atouts extérieurs (la performance hallucinée de Gael García Bernal, la photographie somptueuse et picturale d'Artur Tort qui cite, évidemment, son travail chez Albert Serra), est un portrait halluciné et hallucinant, hanté par l'arrogance, la foi et la mort.

Une merveille en somme, un adjectif définitivement (très) commun au sein de la filmographie du cinéaste.


Jonathan Chevrier