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[CRITIQUE] : Resurrection


Réalisateur : Bi Gan
Avec : Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao, Li Gengxi,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame, Policier.
Nationalité : Chinois, Français.
Durée : 2h40min

Synopsis :
Un jeune homme rêveur se réincarne dans cinq époques. Tandis que le XXe siècle défile, une femme suit sa trace…



Il arrive parfois de tomber sur un film tellement dense et impressionnant qu’il faut plusieurs jours et quasiment autant de visionnages pour en faire une critique. Mais ce sont aussi des œuvres qui dès le premier visionnage marquent l’esprit. Le dernier festival de Cannes a offert ce genre de production avec Resurrection de Bi Gan. Un ajout de dernière minute, seulement 5 jours avant le début. Un retard attribué à la fin tardive de sa post-production, mais aussi à des contraintes liées à la censure chinoise. Bonne nouvelle pour le film qui a reçu le prix spécial (mais qui aurait mérité bien plus encore).

Resurrection s’inscrit dans la grande catégorie des films “hommage au cinéma” à l’instar de Chantons sous la pluie, Babylon, ou encore Cinéma Paradiso. Ces œuvres qui permettent à un auteur d’exhiber son amour pour le 7ᵉ art sont souvent un sujet de débat passionnant. Elles sont remplies de références, d’inspirations ou de clins d'œil à d'anciennes productions. Mais passé l’aspect d’hommage, elles peuvent parfois manquer de profondeur, et ne dépassent pas le niveau de l’anecdote (ce qui n’est pas le cas des 3 films cités précédemment). Heureusement, Bi Gan ne tombe pas dans ce piège. Le côté “lettre d’amour au cinéma” n’est qu’un détail, une première marche lui permettant de questionner la société, mais aussi de nous offrir un spectacle visuellement et émotionnellement magnifique.

Copyright Films du Losange

Resurrection est un film à sketchs composé de 5 segments. Chacun explore un concept, une idée autour de la société et/ou de l’art, et avec une identité visuelle et artistique propre. L’intrigue est cependant reliée par le même personnage, un jeune homme rêveur interprété par Jackson Yee. Tout commence dans un monde où l’humanité a découvert la clé de la vie éternelle : ne plus rêver. Il est donc devenu interdit de dormir. Mais il arrive que parfois des individus transgressent l’interdit. Des agents sont donc envoyés pour traquer ces “rêvoleurs”. Ainsi, nous allons suivre les derniers rêves de cet homme, explorant tout le XXᵉ siècle, et l’histoire du cinéma au passage.

L’aspect film à sketchs permet à Bi Gan d’une part d’explorer plusieurs thématiques sur un seul film, mais aussi de s’amuser avec sa caméra, puisant des inspirations dans divers genres et styles cinématographiques. Ainsi le voyage débute à l’époque du cinéma des premiers temps où le réalisateur cite directement les Frères Lumière avec L’Arroseur arrosé. Mais lorgnant aussi du côté de Gance ou Murnau, proposant une réflexion sur le désir des cinéastes de fabriquer de l’art quitte à en mourir. S'ensuit un autre segment plus mystérieux, inspiré des films noirs, et traitant de comment une œuvre peut hanter notre esprit. Une enquête sur un étrange meurtre aux touches fantastiques sublimes, et à la complexité qui rendrait jaloux Howard Hawks avec son film Le Grand Sommeil. Une séquence dévoilant l’étendu les talents de Jingsong Dong, directeur de la photographie sur ce long-métrage, et qui sera de plus en plus visible au cours du film.

Les 3ᵉ et 4ᵉ sketchs sont peut-être les moins intéressants visuellement ou symboliquement, mais sont paradoxalement les plus touchants. L’un s’intéresse à la destruction du spirituel et à sa disparition dans le cœur des hommes au profit de l’avarice. L’autre est un questionnement sur la paternité. Sur les enfants que l’on a perdus, mais aussi ceux que l’on refuse. Ces deux parties se démarquent par de très gros contrastes. La première est très terne, silencieuse, avec des couleurs froides et un rythme lent, tandis que la seconde est beaucoup plus chaude, avec beaucoup d’agitation.

Copyright Films du Losange

Bi Gan conclut finalement Resurrection sur l’un des plus beaux plans-séquences de cette année (et sûrement des dernières années). Une scène de rencontre amoureuse juste avant le passage à l’an 2000. Elle se démarque par l’utilisation du numérique qui permet au réalisateur de magnifiques extravagances de réalisation. Que ce soit les mouvements de caméra, l’alchimie du duo, le travail sur les lumières ; absolument tout est hypnotisant. Cette histoire d’amour qui semble impossible (rappelant forcément les films de Wong Kar-wai) arrive à nous toucher en quelques minutes, nous interrogeant sur jusqu’où sommes-nous prêts à aller par amour.

Derrière la simple lettre d’amour au cinéma, Bi Gan offre un voyage réflexif explorant une multitude de sujets passionnants. La mort de l’art pour le travail, les sacrifices d’un artiste pour une œuvre, nos rapports avec la parentalité, la spiritualité, l’amour. Le réalisateur utilise le cinéma pour questionner notre société avec une maestria dans la réalisation qui fait de Resurrection l’un des plus beaux films de cette année.


Livio Lonardi