[CRITIQUE] : Yōkai, le monde des esprits


Réalisateur : Eric Khoo
Acteurs : Catherine Deneuve, Maasaki Sakai, Yutaka Takenouchi, Jun Fubuki,...
Distributeur : ARP Distribution
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique, Fantastique.
Nationalité : Français, Japonais, Singapourien.
Durée : 1h34min

Synopsis :
Claire, une célèbre chanteuse, s’envole au Japon pour un dernier concert à guichet fermé. Lorsque le concert prend fin, sa vie sur terre s’arrête aussi. Une nouvelle vie inattendue s’offre alors à elle : un au-delà dans lequel Yuzo, l’un de ses plus grands fans, l’attend.



Critique :



Évidemment que l'affirmation prête gentiment au débat, s'il est évidemment question qu'il en est réellement un, mais il est bien difficile de ne pas considérer Catherine Deneuve comme, sans doute la plus grande actrice que le septième art hexagonal n'est jamais connu, n'en déplaise aux Bardot-maniaque, aux Moreau-philes où même aux Huppert-fanatiques (trop de superlatifs foireux, on en convient).

À la fois beauté exceptionnelle et femme de tous les jours, prouvant non sans effort et au fil des décennies, qu'elle était décemment capable de tout jouer avec un naturel confondant, Deneuve a incarné toutes les femmes possibles, de François Truffaut à Jacques Demy, en passant par Luis Buñuel, André Téchiné ou même Dino Risi et Arnaud Desplechin.
Même les reines mères gentiment vacharde où, plus fou, une Première Dame (même si le terme n'est pas forcément juste par chez nous) - coucou Bernadette de Léa Domenach.

Copyright Ichampoussin

Plus audacieuse se fait sa nouvelle composition, sans doute l'une des plus belles de récentes mémoires, au cœur du nouveau long-métrage du cinéaste singapourien Eric Khoo, Yōkai, le monde des esprits, méditation émouvante et philosophique sur la vie après la mort comme sur la nature de la condition humaine et sur l’héritage que nous laissons; vissée sur les atermoiements d'une célèbre chanteuse des années 60, Claire Emery, venue donner un concert à Tokyo où elle rencontrera Hayato, un artiste en mal d'inspiration, dont le père, Yuzo, était le plus grand fan de la chanteuse.
De manière abrupte, elle va disparaître et se retrouver auprès de ses deux hommes, dont le plus âgé est également décédé, dans une sorte d'au-delà spirituel entre le monde des vivants et celui des morts.
Mais son trépas ne la coupe ni du monde et donc encore moins des autres, il ne fait qu'incarner un prolongement de son existence, une lente transformation de celle-ci comme les liens qu'elle entretient avec ce (et ceux) qui l'entoure...

Car d'une manière aussi douce que naïve mais fermement imprégné par les valeurs du bouddhisme où la vie et la mort ne s'oppose pas, Khoo pense son au-delà autant comme une bulle fantastique, un lieu de réflexion que comme un espace de guérison, où les affaires inachevées et les traumatismes du passé qui viennent hanter le présent, peuvent se régler; où les fossés entre les générations peuvent être comblés, où les liens entre les membres d'une famille pensés comme irréconciliables, peuvent être consolidés.
Le tout embaumé dans un humour à la fois léger et malicieux, qui vient continuellement taquiner - sans jamais les écraser - le sérieux comme la complexité de ses thématiques.

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Scindé en trois parties (la vie, l'au-delà et la mort), ce voyage philosophique et métaphysique ne serait cependant rien sans la prestation stellaire de Catherine Deneuve (à qui répond, il est vrai  un incroyablement touchant Maasaki Sakai), elle qui capture avec intelligence l'esprit doux-amer et nostalgique d'une artiste confrontée à la fin de son existence, après avoir pris de plein foi la lente agonie de sa carrière, elle dont la moindre chanson (jolies compositions de Jeanne Cherhal) se fait la représentation douloureusement enchanteuse de ses émotions.

Sa partition comme son parcours à la fois existentiel et rédempteur, accompagné par la délicatesse et la sagesse de Yuzo (elle qui servira, dans le même mouvement, de guide pour Hayato vers sa découverte de lui-même et de sa confrontation à tout son bagage émotionnel et familial, qu'il porte comme un poids depuis toujours), sont le cœur même d'un long-métrage à la fois fantaisiste et profond, émouvant et étonnamment charmant.


Jonathan Chevrier



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