[CRITIQUE] : Les Filles Désir
Réalisatrice : Prïncia Car
Avec : Housam Mohamed, Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon, Kader Benchoudar,...
Distributeur : Zinc Film
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h33min
Synopsis :
Marseille en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu'on baise et celles qu'on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.
Depuis une petite quinzaine d'années maintenant, même si cet effort s'avère encore bien trop minoritaire pour s'approcher un tant soit peu d'un constat égalitaire - où même d'une quelconque forme d'évolution pérenne -, plusieurs cinéastes osent l'idée de mettre en boîte des odyssées en partie ou totalement au féminin au coeur de la vie en banlieue, dont le prisme est depuis longtemps, sensiblement une question d'homme.
Même si sa peinture de la banlieue n'est, il est vrai, pas exempt de quelques clichés/maladresses, Prïncia Car - dont c'est ici le premier long-métrage, fraîchement adoubé par la dernière Croisette - croque avec Les Filles Désir une rafraîchissante et fougueuse chronique adolescente vissée au bitume blanchi par le soleil de la Cité Phocéenne (sublimée par la photographie léchée de Raphaël Vandenbussche), pas si éloigné dans l'esprit, du Fragile d'Emma Benestan, dans sa volonté d'incarner un récit idiosyncratique loin des canons habituels du coming of age movie, pas toujours au meilleur de sa forme dans l'hexagone (même si, là encore, plusieurs jolis contre-exemples viennent laisser poindre le bout de leur pellicule).
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Copyright Zinc |
Capturant avec une bienveillance et une patience presque ethnographique (dans une intimité folle, constamment à la lisière du documentaire), les aternoiements comme la dynamique en apparence simples et universels d'une bande d'amis au détour des sujets du désir, de l'amour et de la sexualité, la cinéaste cristallise son étincelle, sa tension explosive autour d'une opposition binaire classique mais lourde de sens, dans un cadre masculin à la fois brut et rigide : celle entre les deux figures féminines du groupe (intimement liée à Omar, à qui la première moitié du film fait la part belle, personnage dont le conflit intérieur est aussi bien motivé par la pression de ses camarades masculins, que par sa propre conception de l'amour), Yasmine et Carmen.
Deux incarnations malgré elles des deux stéréotypes de la vision machiste et toxique de l'homme, la vierge pure et la « fille facile » - qui a un passé comme travailleuse du sexe -, et qui trouveront in fine l'une dans l'autre, une forme d'échappatoire aux cases sociales imposées dans lesquels elles sont prisonnières.
Une dichotomie vieille comme le monde, mais que Car observe par son propre prisme particulier : une valorisation du sentiment de vécu ainsi qu'un vrai jeu de dialogue choral, dont le réalisme est cela dit plombé par une composition musicale écrasante, censée - très maladroitement - stimuler/manipuler les émotions.
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Copyright Zinc |
Coming of age movie réaliste et solaire (à l'image même des interprétations de ses deux comédiennes féminines irrésistibles, Leïa Haïchour et Lou Anna Hamon) tout en interrogations, sous fond de quête émancipatrice et de sens - à tous les niveaux -, fruit d'un projet collectif ambitieux pensé et développé avec intelligence et maturité, Les Filles Désir ne vise sans doute pas toujours juste dans sa délicate proposition, mais à au moins le mérite d'incarner une séance authentique, pleine de fraîcheur et de tendresse dans un genre qui en manque cruellement.
L'une des belles découvertes de l'été.
Jonathan Chevrier