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[CRITIQUE] : Queer


Réalisateur : Luca Guadagnino
Acteurs : Daniel Craig, Drew Starkey, Jason Schwartzman, Lesley Manville,...
Distributeur : Pan Distribution
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Français, Italien.
Durée : 2h16min

Synopsis :
Dans le Mexico des années 50, Lee, un américain, mène une vie désabusée au sein d'une communauté d’expatriés. L'arrivée du jeune Allerton va bouleverser l’existence de Lee, et faire renaitre en lui des sentiments oubliés.



Critique :



Quiconque aime le cinéma mais surtout connaît un tant soit peu l'œuvre tentaculaire de William S. Burroughs, sait que quiconque s'approche de l'idée de vouloir adapter l'un de ses bouquins sur grand écran, se confronte automatiquement à une mission presque impossible, tant ses textes sont excessivement difficiles à manier et à adapter.
Seul peut-être, au fond, David Cronenberg avec son Festin Nu, de loin l'un de ses films les plus mésestimés et incompris (pas de hasard), peut se targuer de s'être approché le plus près du but, avec une maestria assez exceptionnelle.

Copyright 2024 THE APARTMENT SRL - NUMERO 10 SRL - PATHÉ FILMS ALL RIGHTS RESERVED - Gianni Fiorito

Autant dire donc que Luca Guadagnino, aussi imprégné par le roman éponyme soit-il, partait - en partie - perdant, quand bien même il adopte quasiment la même approche que Paul Schrader avec Mishima : faire fusionner, quitte à s'en brûler les ailes, l'œuvre littéraire avec la biographie de son auteur et, plus où moins frontalement, une biographie de lui-même tant le cinéaste palermitain se retrouve à travers le personnage de William Lee (jusqu'à changer son âge au cœur du bouquin, pour le rapprocher du sien, personnage incarné avec puissance par Daniel Craig), déjà l'alter ego de Burroughs lui-même, à travers ce mal de vivre incurable écrasé par le soleil d'un Mexique à la fois pittoresque et désenchanté, à travers ce personnage qui titube de bar en bar à la fois avide et désespéré de connexion humaine dans un monde où elle n'a plus réellement de sens.

Une double vie évolutive vécue directement par Burroughs qui la couché sur le papier, et par son auditoire, dont et surtout Guadagnino, qui l'a lu et se l'ait réappropriée, le bonhomme allant même jusqu'à déshabiller, désosser son propre cinéma dans une enquête minutieuse et fiévreuse du désir qui a toujours été le moteurs de sa filmographie (comme une érotisation à la fois douce et crue des corps, sensiblement masculins), et qui va cette fois au-delà de la matérialité du corps, trouvant sa vérité entre le concret de la fusion charnelle et dans l'imaginaire.

Un imaginaire qui dépasse les limites des personnages, de la littérature et même du temps, dans sa volonté là aussi impossible de revenir au classicisme le plus pur dans un éloge qui a totalement conscience de son artificialité : reproduire le Mexico City des 50s dans les studios de Cinecittà, via un mouvement qui, comme nous le rappelait merveilleusement le Grand Tour de Miguel Gomes (qui avait déjà Sayombhu Mukdeeprom à la photographie, pas un hasard une nouvelle fois) : le septième art tire sa plus grande force dans son imaginaire et non dans sa représentation stricto sensu du réel.
Plus discutable est toute fois, son utilisation de musique moderne dans ce cadre nostalgique, allant de Nirvana à Prince.

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Fascinant dans son fond comme dans sa forme, Queer se fait néanmoins plus perfectible au virage de son dernier acte, le revers même de la médaille de l'approche pourtant juste de Guadagnino, de sa volonté de suivre avec une fidélité dévote l'intrigue originale, passant d'un voyage introspectif et charnelle captivant à un autre plus géographique et romantico-psychédélique (l'expédition de William Lee et Allerton, jeune homme indolent dont le premier est totalement épris, à travers l’Amérique du Sud, à la recherche d’une mystérieuse drogue, le Yage, connue pour ses pouvoirs télépathiques et, hypothétiquement, pour ses vertus de contrôle mental), où l'image - onirique et colorée mais surtout moins nette - prend trop le pas sur le fond - confus et perdu, comme son protagoniste -, empoisonnée comme peuvent l'être les lignes de Burroughs.

Oeuvre d'art qui pousse à la réflexion sur l'appréhension de l'art, romance désespérée facon méditation douce et hallucinatoire sur la peur de ne pas/plus être aimé, expérience lyrique à la fois extravagante et sexuellement explicite, introspective et excessivement glamour; Queer est un film Guadagninien jusqu'au bout de la pellicule, dans ses (belles) qualités comme dans ses (maigres mais marqués) défauts.


Jonathan Chevrier