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[CRITIQUE] : La Chambre d'à côté


Réalisateur : Pedro Almodóvar
Acteurs : Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro, Alessandro Nivola, Esther McGregor,...
Distributeur : Pathé Films
Budget : -
Genre : Comédie, Drame.
Nationalité : Espagnol, Américain.
Durée : 1h47min.

Synopsis :
Ingrid et Martha, amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…



Critique :



On avait laissé Pedro Almodóvar sur ce qui était, sans doute, la plus grosse prise de risque de sa carrière : Strange Way of Life, où il s'invitait dans une contrée qui lui était jusqu'ici étrangère et dans laquelle il ne s'était pas tout à fait (re)trouvé : le western dramatique, noué autour d'un désir interdit tout droit sorti du cinéma de Douglas Kirk (cette fois à la sauce queer), et pour lequel il pouvait laisser s'exprimer son admiration pour les classiques Johnny Guitar de Nicholas Ray et Duel in the Sun de King Vidor, dont l'influence esthétique et narrative transpirait de tous les pores de ce modeste - dans les intentions - petit court-métrage.

Un " raté " qui ne venait pas pour autant nuire à l'intérêt mignon que pouvait susciter son effort d'après, La Chambre d'à côté, son premier long-métrage dans la langue de Shakespeare - une libre adaptation du roman Cuál es tu tormento de Sigrid Nunez -, pour lequel il s'est offert les services de deux des comédiennes les plus talentueuses de leurs générations, et qui n'avaient pas encore foulées ses plateaux de tournage - les merveilleuses Julianne Moore et Tilda Swinton.

Copyright Pathé

Et pour une première, difficile de ne pas admettre que le bonhomme tutoie méchamment la perfection, merveilleux drame où les petits plaisirs éphémères de la vie entrent en collision face à l’idée d'une mort imminente et de plus en plus menaçante, où ses deux héroïnes deviennent les hypothétiques fantômes d'un opéra spectral, baroque et personnel tout en retrouvailles, en souvenirs et en adieux.
Personnel car comme Douleur et Gloire l'avait déjà démontré avec une vérité implacable, le cinéaste espagnol s'ouvre de plus en plus et avec mélancolie, à l'introspection, tout en rapprochant dans le même mouvement son cinéma d'une forme de pureté à la fois iconographique et thématique - un vrai virage Bergmanien, si l'on devait se laisser aller au jeu des comparaisons (souvent) stériles.

Moins un orfèvre de l'instinct qu'un artisan intellectuel qui compose méticuleusement la moindre strate d'une œuvre, il trouve alors en La Chambre d'à côté un terreau plus qu'adéquat pour ses nouvelles ambitions, à travers l'histoire d'une amitié féminine où chacune des deux femmes est soumise à un balai doux et cannibale : être le témoin de son inéluctable fin, dans des rôles dissemblables mais complémentaires (la vie pour celle qui n'est pas malade et qui choisit son amie comme sujet de son projet ouvrage, la mort pour celle qui se sait condamnée mais qui garde un contrôle intacte de sa propre histoire et de ce qu'elle veut laisser à la postérité).

Une histoire qui est, au fond, elle-même enfermée autant dans les limbes de cette quête chimérique d'un bonheur partagé entre les souvenirs d'un passé mortifère et les modestes jouissances d'un présent à la durée comptée, que dans un monde contemporain et d'une nature à l'agonie, presque en phase terminale eux aussi (dans une combinaison, affirmée ici, entre un libéralisme étouffée et une extrême-droite à l'émergence croissante).
Une double dialectique fascinante et férocement glacée par l'attente, à la fois en marge de la réalité et du temps, et totalement ancrée dans sa vérité cruelle et implacable, où Almodóvar filme ses comédiennes - magistrales - avec une délicatesse rare, au plus près des visages et des corps, soucieux des douleurs comme des maux qu'elles traversent et on traversé (avec, une nouvelle fois en ligne de mire, la thématique de la liberté d'être, pas uniquement sexuellement et sentimentalement parlant), capable d'affiner leurs émotions par la force de sa mise en scène comme par celle de son montage.

Copyright Pathé

Mélodrame coloré et humain à l'étrangeté consentie, avec La Chambre d'à côté, Almodóvar compose sa réflexion sur la mort comme les œuvres d'art qu'il prend pour modèle tout au long de son récital : captivante dans sa manière d'y déceler une sorte de satisfaction, troublante dans sa manière de rendre vivant ce qui n'est plus appelé à l'être, merveilleusement tourmentée par sa propre sensibilité aussi bien humaine qu'artistique.
Et comme par miracle, si l'on ne peut tromper l'inéluctabilité de l'existence, chez le maestro espagnol, elle nous apparaît plus belle voire même intimement acceptable.
 


Jonathan Chevrier