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[CRITIQUE] : Les Barbares


Réalisatrice : Julie Delpy
Acteurs : Julie Delpy, Laurent Lafitte, Sandrine Kiberlain, India Hair, Jean-Charles Clichet, Ziad Bakri, Dalia Naous, Mathieu Demy, Marc Fraize, Albert Delpy,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h41min 

Synopsis :
A Paimpont, l’harmonie règne : parmi les habitants, il y a Joëlle - l’institutrice donneuse de leçons, Anne – la propriétaire de la supérette portée sur l’apéro, Hervé – le plombier alsacien plus breton que les Bretons, ou encore Johnny – le garde-champêtre fan de… Johnny. Dans un grand élan de solidarité, ils acceptent avec enthousiasme de voter l’accueil de réfugiés ukrainiens. Sauf que les réfugiés qui débarquent ne sont pas ukrainiens… mais syriens ! Et certains, dans ce charmant petit village breton, ne voient pas l’arrivée de leurs nouveaux voisins d’un très bon œil. Alors, au bout du compte, c’est qui les barbares ?



Critique :



On oublie un peu trop vite que la transition de comédienne à réalisatrice de Julie Delpy (qui se fit dans un vrai sentiment de contrer une forme de rejet, manque d'intérêt de l'industrie hexagonale, à proposer des rôles riches et diversifiés aux actrices) fut l'une des plus naturelles et brillantes du septième art hexagonal - mais pas que -, tant elle a su parfaitement mettre à profit ses nombreuses années sous la direction de cinéaste talentueux (Godard, Carax, Tavernier, Linklater, Jarmusch,...), pour façonner un cinéma exigeant mais totalement à son image : physique, complexe, empathique et intimement féministe.

Alors certes, si elle a eu une nette tendance à s'exprimer à travers la comédie (elle-même plurielle, tant il est difficile de comparer Lolo à Looking for Jimmy, Le Skykab au diptyque Two Days in Paris/Two Days in New York), impossible de ne pas souligner la singularité envoûtante qui émane d'œuvres tels que My Zoé mais surtout La Comtesse, symbole d'une créatrice à la fois érudit et d'une dualité incroyable, à l'aise avec à peu près tous les genres qui passe devant sa caméra.

Copyright Julie Panie - 2024 - The Film - Le Pacte

Mais c'est bien par la comédie, sociale mais dénuée de tout moralisme putassier, qu'on la retrouve en cette rentrée ciné avec Les Barbares, cousin (vraiment) pas si lointain du The Old Oak de Ken Loach, regard aussi ludique que lucide sur les petits (gros) travers d'une France bouffée par ses préjugés, vissée sur l'épopée à la fois rocambolesque et sincère d'une petite ville bretonne - Paimpont - qui, prête à accueillir à l'unanimité une famille de réfugiés ukrainiens, déchante et voit leur hospitalité si affirmée s'étioler, lorsque la préfecture, en « pénurie » d’Ukrainiens, a pris sur elle de leur envoyer une famille originaire de Syrie, pleine d'espoir après avoir lutté quotidiennement pour sa survie...

Ambiance hostile donc, entre nationalisme absurde et ignorance exacerbée, soit un territoire profondément casse-gueule sur lequel la cinéaste joue les équilibristes avec une certaine acuité malgré les fondations branlantes de son édifice, tant elle est plutôt habile dans son désir de faire naître l'humour aussi bien là où il est propice à germer (le choc des cultures comme la barrière de la langue, faciles mais toujours efficaces), que dans des recoins moins évidents : un contexte cruellement vraie et actuelle, de la hiérarchisation à géométrie variable du traitement des réfugiés (c'est mieux d'aider certains peuples plus que d'autres) à la culture du préjugé facile (pour le coup, des deux côtés du miroir), en passant par la consommation/régurgitation de l'information biaisée voire proprement mensongère (télévisée comme papier), et la futilité qui définit la notion de solidarité aujourd'hui (où comment aider son prochain - mais pas n'importe qui - est devenu un phénomène de mode que l'on se doit d'afficher).

Copyright Julie Panie - 2024 - The Film - Le Pacte

Avec un sens de l'humour assez accrocheur (sans pour autant laisser son émotion de côté), Julie Delpy place aussi bien ses personnages que son auditoire face à son absurdité et à ses contradictions, interroge les notions de solidarité, de l'intégration et de tolérance, pointe les nuances abjectes du bon vivre ensemble sous conditions, tout en jouant la carte de la sensibilisation avec une sensibilité, il est vrai, toute relative.

Tout n'est évidemment pas parfait donc, et les partitions lumineuses et tout en nuances de plusieurs talents inspirés (Laurent Lafitte et India Hair en tête), viennent grandement aider la cinéaste à garder solidement le cap, mais Les Barbares n'en reste pas moins une étonnante comédie Loachienne qui pointe l'état d'une nation aux valeurs à la dérive, empoisonnée par son ignorance crasse (et consentie) et une peur de l'autre savamment nourrie par les médias.


Jonathan Chevrier


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