[ENTRETIEN] : Entretien avec Maud Wyler (La Fille de son père)
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Déjà présente sur Perdrix, Maud Wyler retrouve le cinéma d’Erwan Le Duc dans un rôle sensible et fort, contribuant à la dose de couleurs tonales au sein de La fille de son père. C’est au Festival International du Film Francophone de Namur que nous avons pu en discuter avec elle, en plus d’aborder le regard général sur le cinéma francophone.
Ce qui est marrant avec le personnage d’Hélène par rapport à celui de Juliette Web que je jouais dans Perdrix, c’est qu’il y a un élément qui est identique aux deux : la voiture. Elles ont toutes les deux une voiture qui est importante. - Maud Wyler
Comment est-ce que vous êtes
arrivée sur le film, sachant vous aviez déjà travaillé avec Erwan Le Duc sur
ses précédents courts-métrages ainsi que Perdrix ?
Maud Wyler : C’est vrai que
j’ai travaillé avec lui sur deux courts-métrages. On s’était d’ailleurs
rencontrés dessus. Je n’avais pas passé de casting pour son court-métrage mais
pour son long-métrage, il avait fait une sorte d’université d’été et pendant
deux jours, il pouvait tourner une scène de son film. Donc c’était une sorte de
grand casting sur deux jours. Depuis, on travaille ensemble. Ce qui est marrant
avec le personnage d’Hélène par rapport à celui de Juliette Web que je jouais
dans Perdrix, c’est qu’il y a un élément qui est identique aux
deux : la voiture. Elles ont toutes les deux une voiture qui est
importante. Ici, je suis conductrice de taxi alors que dans le premier film, ma
voiture était ma maison.
Il y a une grande douceur dans le
personnage d’Hélène, de réconfort face au personnage de Nahuel Pérez Biscayart.
Comment avez-vous travaillé sur le personnage ?
Maud Wyler : Erwan m’a
laissé assez libre d’inventer. Il accueillait volontiers mes propositions. Par
exemple, j’ai proposé ce petit moment de chorégraphie qu’a le personnage. J’ai
senti qu’il y avait la place pour ça et il était curieux de ça. J’ai donc pu
m’y inscrire comme ça. J’ai pu travailler mon morceau de piano à la fin. Ça se
passe à un niveau de sa direction qui est de l’ordre de la confiance et du
tacite aussi. On se dit peu de choses mais je sais aussi que je peux proposer
des choses. Avec lui, je ne suis pas timide de proposer des choses peut-être
étonnantes. Ici, je sens que c’est bienvenu.
Comment noue-t-on justement cette
confiance dans une telle relation de travail ?
Maud Wyler : C’est une bonne
question car je ne sais pas à quel point ces choses-là sont conscientes ou
inconscientes. C’est-à-dire que, forcément, vu que c’est notre quatrième
travail ensemble, on a envie aussi de se surprendre et d’explorer d’autres
choses. Je n’ai pas envie de me rassurer. C’est assez agréable quand il y a un
travail comme ça au long cours avec des gens. Tout de suite, on peut chercher
et explorer plus large. On n’est pas obligé de se rassurer constamment en se
disant qu’on peut jouer cette scène « correctement ». Je sais qu’il
m’arrive parfois de faire des prises où je sais que c’est un peu trop fou ou
pas exactement ça mais que c’est pour essayer de trouver quelque chose après
qui soit le juste milieu. Parfois, il faut en faire trop pour en revenir.
L’inverse est plus difficile.
En parlant du piano, cela apporte
un certain regard extérieur à l’histoire de ce père et sa fille. Il y a cette
manière dont les personnages parlent de leur traumatisme : Youssef avec
ses écrits, vous qui bouclez cette histoire avec ce morceau de piano. C’était
quelque chose qui était tangible pour vous ?
Maud Wyler : En tout cas, il
y avait quelque chose dans ce piano qui permettait de raconter quelque chose
sans les mots, sans avoir à les démontrer. Il y a un petit bout d’espoir dans
ce morceau de piano car, à ce moment-là, le personnage est dans une solitude,
une attente. Elle ne sait pas comment cela va se terminer. Ce morceau de piano
arrive comme un petit appel, une petite prière. Cela permettait donc de
raconter par la sensation plus que par les mots. C’était un moment très
grâcieux sur le tournage. Comme c’était un plan-séquence où on laisse la caméra
tourner et qu’elle était sur un travelling très doucement, toute l’équipe
marchait en faisant attention de ne pas faire de bruit. On entendait juste le
piano. J’avais aussi un peu le trac de jouer ce morceau. Il y avait une telle
attention dans l’air que ça en a fait un moment assez grâcieux.
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Quelle était votre expérience
avec le piano ?
Maud Wyler : Quand j’étais
petite, j’avais pris des cours de piano classique mais je n’en avais plus fait
depuis des années. Je m’y suis remise pour l’occasion le temps d’apprendre ce
morceau. Après, la compositrice Julie Roué a recomposé ce morceau qui vient
d’une chanson de supporter de foot, You’ll never walk alone.
C’est réadapté comme ça presque en comptine. Elle a travaillé à le réadapter
pour le jouer par-dessus moi.
Est-ce qu’on peut parler un peu
plus de cette séquence de « cérémoniel amoureux » ?
Maud Wyler : Je me demande
comment on en est arrivés là. Dans le scénario, il y avait en tout cas la scène
qui était écrite avec ses dialogues. J’ai vu assez tôt la scène comme une
parade amoureuse. Il y avait donc quelque chose de geisha. J’avais regardé des
choses comme ça, des vidéos sur Internet de danse japonaise car je ne voyais
pas ça comme juste de la drague. Cela passe aussi par un langage des corps, une
sorte de parade que des oiseaux feraient pour raconter encore une fois une
sorte de croyance, de foi, en cet amour sans être grossier, sans que ce ne soit
hystérique ou trivial. Il fallait cet autre langage.
C’est intéressant car cela rapporte
une forme de communion entre les deux qui appuie encore plus la force de la fin
du film. Comment capter toutes ces connexions amoureuses sans tomber dans la
simple figure d’amoureuse transie ?
Maud Wyler : Il y a
effectivement quelque chose de fragile dans cette histoire. Il y a un égard
aussi pour la brèche de l’autre, pour la fragilité. Il y a une acceptation
aussi de cette fragilité, des défauts. Elle risque à tout moment de le perdre
et en même temps, la foi qu’elle a en cet amour fait qu’elle ne s’en inquiète
pas complètement. C’est marrant car comment une histoire d’amour
fonctionne ? C’est aussi la confiance qu’on a en cette histoire qui fait
qu’elle fonctionne. Enfin, j’en ai le sentiment car elle continue d’avoir
confiance en cette histoire, en elle, en lui, alors l’histoire n’est pas finie.
Elle ne ferme pas alors qu’elle a des raisons de s’inquiéter et elle reste
ouverte à la joie, au bonheur de cette histoire.
Cela appuie le ton romantique du
film, cet espoir de l’amour. Ici, nous sommes au FIFF, un festival qui parle de
la diversité du cinéma francophone. Ce n’est pas votre première fois dans ce
festival. Qu’est-ce que cela vous fait d’y revenir ?
Maud Wyler : C’est marrant
parce que je m’y vois vieillir, grandir. C’est un marqueur de temps. C’est très
honorable de vieillir et d’autant plus de pouvoir continuer à faire des films.
Je mesure ma chance à chaque fois que je reviens, cette joie de faire ce métier
qui est une passion et de pouvoir le présenter à un public. C’est tout le sel,
cet échange, ce prétexte pour pouvoir dialoguer à d’autres endroits et
d’échanger sur le film. Ce que j’adore, c’est quand on vient présenter le film
et en descendant entre les rangées de spectateurs, de voir leurs visages. Ce
visage, il ne ment pas. Il y a quelque chose dans l’expression du visage où on
sait tout de suite. C’est agréable de voir qu’ils sont bien à la fin du film
(rires).
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Quel est votre propre regard sur
le cinéma francophone en général, surtout quand on sait les clichés subis par
celui-ci dans la conception plus générale ?
Maud Wyler : Je trouve que
c’est la richesse, cette diversité dans les propositions. Je trouve qu’on
souffre en effet d’à priori sur ce que c’est mais, quand on se renseigne, qu’on
regarde les créations, tous ces premiers films, il y a des propositions tellement
différentes, tellement étonnantes. C’est compliqué de faire un amalgame entre
tous ces films car toutes les propositions sont vraiment singulières. Il y a
quelque chose de l’exception culturelle où il n’y a pas de cahiers des charges,
pas de prérogatives de devoir absolument être populaire et plaire à tout le
monde qui fait à mon sens des films parfois trop marketés, qui sont des
produits plus ou moins bien faits. J’aime bien quand un film ne veut pas
immédiatement me plaire et qu’il fait plutôt quelque chose de risqué. J’aime
quand un film prend un risque. Je trouve que la francophonie, dans sa
multiplicité aussi culturelle, propose en tout cas des singularités. Je ne sais
pas exactement pourquoi je fais ce métier mais je me demande ce qu’on fout là (rires)
comme êtres vivants. Quand je vois toutes les singularités, tous les points de
vue, toutes les sensibilités, je trouve du sens dans l’altérité. Les films
francophones m’apportent car je vois qu’à l’intérieur d’une même langue, on
voit tellement de regards différents que j’apprends. Cela me console de
beaucoup de choses.
Merci à Heidi Vermander de Cinéart et à l’équipe du FIFF pour cet entretien.