Breaking News

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Ida Lupino - Rétrospective en 4 chefs-d'œuvre


Ida Lupino - Rétrospective en 4 chefs-d'œuvre : Avant de t'aimer (1949), Faire face (1950), Bigamie (1953) et Le Voyage de la peur (1953).


Une poignée de mois après avoir pu découvrir en salles, une mise en lumière du cinéma de Mai Zetterling, mais également du pendant réalisatrice de Jeanne Moreau, qui suivait déjà la fantastique rétrospective de Kinuyo Tanaka, chapeautées du côté de Carlotta, c'est au tour de la firme Les Films au Camélia, toujours au rendez-vous des rétrospectives essentielles, de célébrer le penchant réalisation de la comédienne, scénariste et cinéaste britannique Ida Lupino, elle dont le regard d'acier et bouillonnant, aura fait chavirer plus d'un cinéphile.

Véritable star de l'âge d'or Hollywoodien - et surnommée, un peu vulgairement, « la Jean Harlow anglaise » -, elle était passé derrière la caméra peu après la Seconde Guerre mondiale, pour encore un peu plus imposer sa marque dans l'histoire du septième art.
Forte d'une expérience joliment prolifique derrière la caméra, elle débarque donc dans nos salles en ce mois de septembre à la météo capricieuse, au travers de quatre de ses œuvres magnifiquement restaurées (certaines n'ayant atteint nos salles qu'en 2020) : Avant de t'aimer (1949), Faire face (1950), Bigamie (1953) et Le Voyage de la peur (1953).



Bien que ce quatuor de films ne constitue pas un canevas complet de la filmographie de Lupino en tant que cinéaste, ils sont tout à fait représentatif du style et de la maestria de celle qui se considérait comme un « bulldozer » en affaires, mais comme une « mère » caméra au poing.

Rendez-vous avec Avant de t'aimer (Not Wanted) tout d'abord donc, un temps promis à Elmer Clifton, qui sera frappé par une crise cardiaque foudroyante après quelques jours de prises de vue (et qui décédera tragiquement, quelques temps plus tard), et qu'elle remplacera au pied levé, elle qui n'était crédité qu'au titre de co-scénariste sur le projet - avec son époux de l'époque, Collier Young.
Des débuts contrastés car loin d'être officiel (elle ne sera pas crédité au générique, en tant que réalisatrice), symptomatique d'une époque où les femmes étaient pratiquement inexistantes derrière la caméra, mais qui porte néanmoins fièrement le sceau de son cinéma si personnel, à la fois puissant et infiniment progressiste.

Avant de t'aimer - © 1949 Emerald Productions Inc. / Film Classics / Les Films du Camélia. Tous droits réservés

Entre le douloureux récit adolescente sous fond de fuite constante en avant, et le pur mélodrame marginal et socialement conscient de la Poverty Row, le film est vissé sur une gamine en difficulté et bien trop naïve pour son bien, Sally Kelton (campée par une Sally Forrest à l'implication folle), qui a fait la double erreur de quitter trop tôt son foyer puritain et de s'amouracher du mauvais homme, Steve, un pianiste qui ne l'aime point, lui prendra sa virginité tout en la faisant tomber enceinte.

Dénué de tout sensationnalisme putassier (ni même de complaisance), ne cherchant jamais punir une héroïne qui, au fond, ne cherche qu'à goûter aux joies d'un bonheur chimérique, Avant de t'aimer est une œuvre d'une sensibilité rare, sur le danger d'être une jeune femme dans la société patriarcale américaine des 50s, engloutie quand elle rentre dans le rang (épouse et mère de famille dévouée), et littéralement déchiquetée quand elle ose s'en affranchir.

Photo : Eagle-Lion Films/Photofest

Plus rugueux encore est son second effort (mais officiellement son premier long-métrage donc, on s'est compris), Faire Face, déchirante chronique naturaliste d'une danseuse, Carol (toujours l'exceptionnelle Sally Forrest) dont la carrière est contrariée, tout comme sa romance avec son partenaire, Guy, par une infection soudaine - la polio.
Alors que la maladie la place dans un fauteuil roulant et dans un centre de rééducation à temps plein, leur relation deviendra peu à peu tendue, furieusement mise à l'épreuve et avant de rompre, non pas parce que Guy n'incarne pas un soutien indéfectible, mais parce que Carol à trop bien conscience de la réalité : elle n'ira jamais mieux.

Vraie œuvre passionnée et passionnante, le film est à nouveau moderne dans sa manière d'aborder frontalement et avec authenticité la maladie, expurgé de tout pathos facile, au travers d'un difficile parcours du combattant psychologique et émotionnel, sur l'acceptation de soi et du handicap qui nous afflige.

Bigamie - Copyright Les Films du Camelia

De parcours difficile - et de malaise - il en est également question avec Bigamie, pour lequel elle se met également en scène.
Gentiment logé entre le mélodrame et le film noir, la péloche, sensiblement épurée et principalement contée au travers d'un flash-back, suit les atermoiements d'un homme indécis, emprisonné dans la spirale infernale d'une bigamie qui va peu à peu se retourner contre lui : alors que ses deux femmes - l'une à Los Angeles, Phyllis, l'autre à San Francisco, Eve - n'ont aucune connaissance l'une de l'autre, sa volonté d'adopter avec la première va mener un enquêteur pugnace, à révéler le pot aux roses de cette supercherie sentimentale.

Sans prendre le moindre gant mais avec une subtilité débordante, Lupino fustige ici une nouvelle fois les travers de l'Amérique puritaine et bienpensante (ou l'adultère est tolérée), sans pour autant condamner une figure masculine pour laquelle elle montre, malgré tout, une certaine empathie.

Bigamie - Copyright Les Films du Camélia

Ultime séance de cette rétrospective (et vaguement inspiré d'un véritable fait divers), Le Voyage de la peur se fait, sans doute, l'effort le plus populaire de sa filmographie et, avant tout et surtout, le premier vrai film noir américain réalisé par une femme.
Entièrement focalisé sur des personnages masculins, méchamment épuré et minimaliste, la bande s'attache à une excursion à la pêche qui tourne mal au cœur du désert californien, pour deux amis ayant la mauvaise idée de recueillir en stop, un auto-stoppeur qui va se révéler être un tueur en série.

Autour de ses deux figures au parcours écrasant, ayant plus d'une chance de s'en tirer, la cinéaste, qui s'accommode pleinement de ce genre ultra codifié (quitte même à déjouer les attentes d'un final pourtant prévisible), articule une captivante odyssée au cœur de la noirceur d'une humanité acculée par la peur, dans laquelle elle noue une solide réflexion autour de l'impuissance masculine passé le fantasme héroïque de la Seconde Guerre mondiale.
Le clou d'une rétrospective indiscutablement immanquable.


Jonathan Chevrier