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[CRITIQUE] : Toute la beauté et le sang versé


Réalisatrice : Laura Poitras
Avec : -
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Américain.
Durée : 1h57min

Synopsis :
Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au cœur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion.



Critique :


Laura Poitras est sensiblement coutumière des documentaires conçus pour bousculer un auditoire pas toujours prêt à recevoir la déflagration qu'elle concocte avec une puissance et une confiance sûre en elle qui force intimement le respect.
Si Citizen Four sur l'affaire Edward Snowden où encore Risk sur Julian Assange, nous avait clairement aiguillé sur sa manière extraordinaire de dépeindre et de raconter des histoires aussi denses que captivantes, rien ne nous préparait cela dit au choc frontal qu'incarne son nouvel effort, Toute la beauté et le sang versé, où elle s'attache à nous conter la vie de l'artiste photographe Nan Goldin, une militante qui se bat depuis des décennies pour les communautés sous-représentées.

Une femme qui est à la fois très ouverte et crue - dans le bon sens du terme - sur sa vie et ses combats, partageant sans phare les moindres détails et secrets de son existence, de son enfance traumatisante à son travail d'artiste mais aussi et surtout de militante, luttant au quotidien contre la famille Sackler.

Copyright Pyramide Distribution

Soit la famille multimilliardaire qui possède Purdue Pharma, la société pharmaceutique qui a fabriqué l'OxyContin et a joué un rôle douloureusement important dans l'épidémie d'opioïdes qui a gangrené les États-Unis et causé des centaines de milliers de morts (le médicament est toujours en circulation partout autour du globe, même en France).
Une famille qui s'est enrichi sur le dos des malades et des morts sans avoir le moindre remords.

Essentiellement deux oeuvres en une, extrêmement intelligent et profondément émouvant, qui capture à merveille l'essence de son sujet, de ce qui fait vibrer son art et ce qui est désormais son combat plein de convictions et de rage, elle qui fut elle-même accro à l'OxyContin après une intervention chirurgicale où elle a failli rester sur le carreau.
Une femme qui connaît douloureusement son sujet, et qui part son talent a su comment utiliser son influence en tant qu'artiste contemporaine pour enchaîner les manifestations ciblées et dévoiler la vérité honteuse qui se tapissait dans l'ombre de  nombreuses institutions artistiques qui, pendant des années, ont reçu des dons des Sackler en échange de droits de dénomination. 

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Ses actions capturées en direct sont enlacées en en contrepoint avec des éléments plus biographiques, d'un passé loin d'être chouette mais raconté avec honnêteté (le suicide de sa sœur aînée, les attitudes très conformistes de ses parents  fruits de l'époque Eisenhower de ses parents, son réveil queer, ses nombreux épisodes de dépendance,...) à une mise en avant fantastique de son art, en constante évolution et devenu avec le temps l'œil puissant d'un ouragan qui se nourrit autant de la beauté que des travers du monde contemporain.

Récit parfois drôle, fort et exaltant d'une combattante qui lutte pas uniquement pour elle-même mais avant tout pour rendre le monde meilleur, Toute la beauté et le sang versé se fait un portrait total et sans faille d'une artiste qui a existé et existe dans la passion, qui a exploré et vécu la vie avec zèle et amour, essayant de trouver un espace pour sa vision queer dans le paysage intimidant d'une New York qu'elle allait gentiment bousculer.
Laura Poitras évite soigneusement l'hagiographie facile et utilise intelligemment son art comme chronologie de sa vie, lui qui mieux que ses mots, a mis en valeur son activisme, sa générosité a vouloir consacrer toute son existence à des causes et à des personnes bigger than life.

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Impossible de ne pas partager son combat contre les Sackler, sa volonté viscérale à retirer ce pouvoir économique et dégradant de l'espace des beaux-arts où ils n'ont pas leur place, obligeant musée après musée avec son groupe (P.A.I.N.), à rejeter leurs dons, effaçant leur nom de famille de ces institutions sacrées qui honorent, pour respecter l'art et les mémoires d'artistes dont certains, comme elle, ont été victimes de la crise des opiacés.

Toute la beauté et le sang versé est une oeuvre saisissante, savoureusement tendre et mordante, un formidable documentaire didactique et essentiel rendant hommage à une vraie Wonder Woman humble et puissante même dans ses fêlures, une vraie figure de la contre culture américaine dont la position artistique est profondément ancrée dans la réalité sociale difficile de sa nation, une âme rare qui a généreusement consacré sa vie à ceux qui méritent d'être entendu et à lutter contre le mépris des institutions économiques et politiques.
Une put*** de claque, rien de moins.


Jonathan Chevrier