[CRITIQUE] : Eternal Daughter
Réalisatrice : Joanna Hogg
Avec : Tilda Swinton, Joseph Mydell, Carly-Sophia Davies,…
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Britannique, Américain
Durée : 1h36min
Synopsis :
Julie, accompagnée de sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. La jeune femme, réalisatrice en plein doute, espère y retrouver l’inspiration ; sa mère y voit l’occasion de faire remonter de lointains souvenirs, entre les murs de cette bâtisse qu’elle a fréquentée dans sa jeunesse. Très vite, Julie est saisie par l’étrange atmosphère des lieux : les couloirs sont déserts, la standardiste a un comportement hostile, et son chien n’a de cesse de s’échapper. La nuit tombée, les circonstances poussent Julie à explorer le domaine. Elle est alors gagnée par l’impression tenace qu’un indicible secret hante ces murs.
Critique :
Film de fantôme,#EternalDaughter est surtout un autre film sur les souvenirs qui nous hantent, tant et si bien qu’il faut les transformer pour s’en débarrasser, les fracturer pour en obtenir l’essence et leur donner alors la sensation d’infini qu’induit le titre. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/v7KzwDPGZB
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 19, 2023
La Julie du diptyque The Souvenir est maintenant une cinéaste accomplie, sur le point d’accoucher d’un nouveau long métrage à propos de sa relation avec sa mère. Cependant, le lieu (un hôtel au fin fond du Pays de Galles) ne lui sied guère. Elle dort peu, n’arrive pas à se concentrer. Elle semble hantée par l’ambiance, par les bruits grinçants ou flottants. Heureusement, sa mère, Rosalind, lui offre de brefs moments de respiration entre deux séquences douloureuses de création.
Joanna Hogg continue son exploration de sa psyché et de ses souvenirs avec Eternal Daughter, son nouveau film, dans nos salles obscures en ce mois de mars. Éternelle fille de sa mère, comme le suggère le titre du film, la réalisatrice s’abandonne aux codes du genre fantastique pour mieux établir son propos : détenons-nous toujours une relation avec nos proches décédés ?
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Un taxi blanc traverse une route sinueuse et brumeuse. Dans l’habitacle, nous voyons double. Tilda Swinton, cheveux blancs, assoupie à l’arrière. Tilda Swinton, cheveux courts et châtains, en pleine discussion avec le chauffeur à l’avant. Grâce à son visage versatile, l’actrice interprète les deux rôles, la mère et la fille. Elle reprend le rôle de sa fille (dans la vie) Honor Swinton-Byrne, la Julie de The Souvenir tout en reprenant son rôle de Rosalind, cette mère bourgeoise et bienveillante. De la musique lancinante aux décors délicieusement gothiques, Eternal Daughter nous plonge dans une atmosphère lugubre. Que va-t'il se passer dans cet hôtel vide, dans ces longs couloirs sombres ?
“Les pièces ont cet effet-là, elles contiennent des histoires”. Julie voudrait que sa mère ne se rappelle que les bons souvenirs de son enfance dans cette grande maison qu’elle a connu avant qu’elle ne se transforme en hôtel. Mais les souvenirs de Rosalind affluent, bons comme mauvais. Les courses-poursuites avec ses cousins dans le salon comme l’ambiance macabre de la guerre, ainsi qu’une fausse-couche un peu plus tard. Les souvenirs possèdent leur propre mise en scène et ne se laissent jamais influencer par les états-d’âme. Ils flottent dans une pièce ou dans un esprit et apparaissent comme des fantômes. C’est comme cela que les représente Joanna Hogg. Film de fantôme, Eternal Daughter est surtout un autre film sur les souvenirs qui nous hantent, tant et si bien qu’il faut les transformer pour s’en débarrasser. Julie, elle, les façonne comme une force créatrice qu’elle met en image dans un film. Photographier un lieu, une personne, pour le rendre de nouveau palpable à travers une caméra. Les fantômes, ce sont les souvenirs chez la cinéaste. Non pas de véritables personnes ou des entités du mal, mais bel et bien l’image de nos proches décédés qui reste en nous, quand bien même celle-ci est déformée par nos émotions. Délaissant la grandiloquence de la révélation finale, Joanna Hogg préfère la suggestion qu’elle distille le long de son film grâce à des trouvailles visuelles. On finit par comprendre pourquoi la relation mère/fille paraissait si lisse, bien que tendre.
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Eternal Daughter fracture les souvenirs pour en obtenir l’essence et donne alors la sensation d’infini qu’induit son titre. Les morts sont éternels tant que l’on se souvient d’eux. En réalisant ce film, Joanna Hogg offre l’éternité à la tendre relation qu’elle entretenait avec sa mère, en imprimant en image et en son l’ultime lien qui la relie à elle : une poignée de main.
Laura Enjolvy