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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Police Frontière


Réalisateur : Tony Richardson
Acteurs : Jack Nicholson, Harvey Keitel, Warren Oates, Elpidia Carillo, Valerie Perrine,...
Distributeur : Solaris Distribution
Budget : -
Genre : Policier, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h49min.

Date de sortie : 5 mai 1982
Date de ressortie : 17 août 2022

Synopsis :
Charlie, policier de Los Angeles, est muté à la frontière mexicaine du côté d’El Paso afin de surveiller l’immigration clandestine très importante. Il finit par découvrir que la police locale ferme les yeux sur de nombreux trafics. Parallèlement, il se prend d'affection pour Maria, une jeune clandestine mexicaine.



Critique :



Figure majeur de la Nouvelle vague britannique et du Free Cinema au coeur des 50s - aux côtés de avec Karel Reisz, John Schlesinger ou encore Lindsay Anderson -, Tony Richardson, alors au crépuscule de sa foisonnante carrière, s'en allait poser sa caméra aux début des années 80, sur une frontière bouillante entre El Paso et le Mexique où l'humanité n'existe (presque) plus pour croquer le brillant et mésestimé The Border - Police Frontière par chez nous (dont la narration prend racine via une série d'articles du Los Angeles Times publiés en 1979 et 1980 par Evan Maxwell).
Une rugueuse mise en images d'un écosystème fiévreux où la loi de l'argent est plus fort encore que la loi elle-même, scrutant sans illusion les duplex criards autant que les bidonvilles mexicains, les bureaux et cages bureaucratiques merdiques des agents de frontières tout comme le sol poussiéreux maculé de sang et de larmes, nourrit par la colère, la haine, la cupidité et l'ennui - l'Amérique consumériste face à la pauvreté du Mexique.

Copyright Solaris Distribution

Un monde dans notre monde, à la fois déconnecté et furieusement représentatif de son époque (arrivisme, cupidité, déshumanisation, consumérisme,...), dont la qualité se retrouve pleinement dans la personnalité instable de Charlie Smith - formidable Jack Nicholson -, un garde-frontière fraîchement débarqué à El Paso pour apaiser les désirs superficiels de sa femme aimante, Marcie, et qui va être confronté frontalement à la dure réalité du cynisme débauché et de l'absurdité de sa nation, obligé notamment de juguler l'immigration illégale tout en fermant les yeux quand celle-ci sert les intérêts.
Taiseux et ne prenant jamais vraiment la peine d'exprimer la plupart de ce qu'il ressent, - en particulier à sa femme -, il est tout le contraire de son collègue et voisin Cat (un Harvey Keitel nerveux et terrifiant en mâle alpha, comme dans ses plus belles heures chez Scorsese et Ferrara), un homme brutal qui n'aura de cesse de le piquer au vif pour mieux le faire tomber au fond des abîmes (tout comme son épouse, férocement dépensière et à la vision de la vie naïve) de la corruption et du trafic humain, où tout principe et intégrité se noie pour l'apologie du sacro-saint dollar et la vie faussement biaisée de l'American Dream qu'il véhicule avec lui.
Des rouages impuissants d'une mécanique qui les dépassent (les fondements même du fonctionnement de l'Amérique, où l'homme est un objet/une marchandise que l'on use et qu'on monnaye), dont ils s'abreuvent de l'artificialité même si elle les écoeure.

Copyright Solaris Distribution

Des êtres dont le moindre acte d'héroïsme où d'humanité, extrêmement rares (la quête rédemptrice de Charlie pour sauver la dernière once de pureté de son âme avant qu'elle ne se fane, en récupérant l'enfant kidnappé d'une pauvre et courageuse mexicaine au prénom furieusement évocateur - Maria) est compromis par le désespoir - une aiguille dans une botte de foin bouffée jusqu'à la moelle.
Loin du manichéisme facile (au fond, même les mexicains, que ce soit par avidité où cupidité, exploitent aussi les leurs), Police Frontière se fait une observation crue et incisive de l'Amérique, au désenchantement et à la brutalité tout droit d'un cauchemar violent du roi Peckinpah (Deric " Voyage au bout de l'enfer " Washburn mais surtout Walon " La Horse Sauvage " Green au scénario).
Dommage que son final à l'idéalisme forcé, qui n'a strictement rien avoir avec celui voulu par le réalisateur, vienne un brin diluer les contours d'une odyssée âpre et lugubre encore cruellement d'actualité.


Jonathan Chevrier