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[CRITIQUE] : Ali & Ava


Réalisateur : Clio Barnard
Avec : Adeel Akhtar, Claire Rushbrook, Ellora Torchia, Shaun Thomas, Natalie Gavin,...
Distributeur : Rezo Films
Nationalité : Britannique.
Genre : Romance, Comédie.
Durée : 1h35min

Synopsis :
Pour des raisons différentes, Ali et Ava se sentent chacun seuls. Ils vont se rencontrer grâce à leur affection commune pour la fille des locataires slovaques d’Ali, Sofia (6 ans), dont Ava est l’assistante scolaire. La chaleur et la gentillesse d’Ava réconfortent Ali tandis qu’elle apprécie son humour et sa complexité. D’une nouvelle lune à l’autre naît un lien profond, puis une passion qui les enflamme. Mais les séquelles de la précédente relation d’Ava et le désarroi émotionnel d’Ali assombrissent ce nouvel amour.



Critique :


Quatrième long-métrage de la cinéaste britannique Clio Barnard, et troisième de fiction, Ali & Ava marque déjà un tournant dans son cinéma. En si peu de films, la cinéaste est devenue l'un des noms les plus importants du cinéma britannique du XXIe siècle. Surtout parce que, malgré ses motifs récurrents, elle s'oriente toujours dans une nouvelle direction à chaque film. D'un documentaire assez claustrophobique vers une envie d'ailleurs de deux adolescents, pour ensuite explorer les affres du temps. Ici, Clio Barnard ne se concentre pas sur un seul et même espace. Elle double son motif en scrutant deux intimités. Il y a toujours cette idée d'étudier deux visions du monde qui finissent par converger. Mais cette fois, elles ont toutes deux leur propre terrain, leur propre champ d'action. Ainsi, il n'y a plus une certaine forme de conflit dans un même et seul espace, mais c'est l'union de deux. Le motif d'avoir deux personnages qui se rapprochent devient alors plus dense, car le lien à créer est plus fragile, plus instable. Ce sont deux espaces qui se découvrent, deux intimités qui partent de leur socle individuel pour aller vers un rapprochement à construire. C'est tout ce trajet qu'explore Clio Barnard, dans les deux points de vue.

Copyright AVALI FILM LTD

Ce rapprochement n'est autre qu'un mélodrame, que la cinéaste intègre dans l'approche socio-réaliste qu'on lui connaît. Mais surtout, qu'elle intègre au paysage dans lequel s'inscrit le récit. S'il y a bien une récurrence dans son œuvre, c'est la manière de considérer les espaces comme un personnage à part entière. Les personnages et les récits sont toujours liés aux lieux où se déroulent les tournages. Ainsi, les personnages sont bien ancrés dans un environnement qui leur est propre, qui a ses propres caractéristiques (sociales, esthétiques, etc), qui définit leurs conditions. Dans Ali & Ava, Clio Barnard est de retour à Bradford, ville où fut tourné Le géant égoïste. Mais cette fois, c'est pour montrer un visage différent de la ville. On se souvient de la rudesse des couleurs, de l'amertume de l'atmosphère, des corps assommés par leur condition. On se souvient de cette jeunesse sans avenir où l'innocence a disparu. Il y avait pourtant déjà de la poésie, mais très terre-à-terre et corrosive. Dans ce nouveau long-métrage, même si la cinéaste tend toujours à explorer la classe ouvrière britannique, il y a une approche bien plus positive sur Bradford et sur ses habitants. La convergence des points de vue et des univers n'a plus ce désespoir.

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Comme à son habitude, Clio Barnard ne montre pas la colère frontalement. Elle est bien présente, mais elle est surtout une toile de fond sur laquelle s'imprime un lyrisme. Celui qui permet de faire un pas de côté, d'exprimer une rage en essayant de construire quelque chose par-dessus, de s'écarter sans oublier le bagage dramatique. Ca passe par l'acceptation d'une souffrance quotidienne, pour aller explorer l'expérience intime qui cherche des brèches pour atteindre un plaisir. C'est ainsi que les sacrifices des personnages au quotidien sont utilisés pour trouver un élément qui comblera les manques. Ainsi, une bulle d'espoir se crée au-delà de la souffrance, en atteignant le ton du mélodrame. Avec cette approche plus tendre que dans ses précédents films, où des personnalités se dévoilent en dehors de leur misère, Ali & Ava permet à des âmes de se découvrir en même temps que le cadre donne une voix et une force physique à des personnes qui n'ont pas l'habitude d'être regardés. Le film se détache clairement d'un côté sombre, tout comme les protagonistes se détachent des situations tragiques les plus lourdes – notamment en se donnant le choix d'être libre. Face à la peur ou à la possible violence, les cœurs et les corps font le choix de suivre le trajet indiqué par des battements de cœur. C'est un trajet rempli de bienveillance, d'énergie et de générosité.

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Si la bulle d'espoir est possible, c'est surtout parce que l'apport du mélodrame permet à Clio Barnard de voir le paysage non plus comme une fatalité mais comme un environnement en constante transformation. En faisant de l'amour le centre de son récit, la cinéaste s'autorise à voir les espaces intimes comme des possibilités de renouveau et de changements. Rien n'est fixe. À tel point que les foyers familiaux ne sont pas un chaos. Ils sont juste la concentration psychologique de toutes les tragédies. C'est alors que les personnages peuvent adopter de nouvelles attitudes, et s'autoriser la douceur et la tendresse au sein même de leurs espaces intimes. Le mélodrame est le motif où se déroule une bataille mélancolique face aux traumatismes enfouis, mais est également le motif qui permet de s'en libérer lorsque l'affection apparaît. Dans cet entre-deux entre la réalité dramatique d'une condition et l'imaginaire d'un amour salvateur, il y a la bienveillance de Clio Barnard. Comme avec ses précédents films, la cinéaste dépasse l'authenticité de ses portraits par ce brin de magie qui se loge dans les cœurs de ses personnages. Avec aussi une pointe d'humour, le film réussit à cueillir la juste part de sincérité et de modestie qui réside dans le cœur des personnages.

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Si tout cela est possible, c'est parce que Clio Barnard met en scène des âmes abîmées, amochées. Et si ce film est plus tendre que ses précédents, c'est parce que les formes n'assomment plus les personnages. Que ce soient ces espaces immenses et secs de Le géant égoïste où le béton et les déchets s'étendent à l'infini, ou cette ferme vide et presque hantée de Dark river. Les pieds dans la boue, les personnages de ces deux films traversent des ciels plombés où le danger guette à chaque coin du paysage. Du paysage industriel dévasté à la ferme presque abandonnée, Clio Barnard passe à un environnement qui est vivant. Les personnages sont arrivés à un tel point de rupture, que c'est une lueur qui apparaît dans le cadre. La photographie est comme une effloraison : dans ces formes dévastées, la mise en scène a besoin des frissons pour finalement accéder à une chaleur intérieure. Ce n'est pas innocent si la rencontre entre les deux protagonistes se fait sous un temps d'orage. L'angoisse de cette forme crée soudainement une générosité, suivie d'une tendresse soudaine. En étant contraints de partager un trajet de voiture ensemble, le film ferme la vitre à la souffrance (sans y être aveugle) pour se blottir dans la douceur du rapprochement. Là où les motifs de réalisme social de Le géant égoïste glissaient dans le fantastique et la magie, ceux de Ali & Ava glissent dans la chaleur et le romantisme.

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Par sa mise en scène et le choix de ses cadres, Clio Barnard accompagne ses personnages de la tragédie vers les sentiments. Comme si la caméra enregistre un anéantissement pour mieux chauffer par soi-même les cœurs. Comme s'il était question de percer la tempête, de percer l'obscurité, et de ne plus avoir peur de se dévoiler. Alors la mise en scène connecte les univers des deux protagonistes, les met en miroir. En glissant vers la chaleur et le romantisme, une frontière s'abolit. Par l'exaltation de la rencontre, par la simplicité d'apprécier chaque instant passés ensemble (les deux protagonistes), il y a la violence qui s'évapore. Et quand bien même un autre personnage sera un frein et une menace, rien n'arrête ce rapprochement de deux êtres que tout oppose. Le brio du film est de ne pas s'attarder sur les questions de communautés, de ne pas chercher à ce qu'elles prennent trop de place. Parce que dans la dualité entre les vies très différentes de Ali et de Ava, il y a pourtant cette lueur qui prouve que tout est possible. S'il y a bien quelque chose de très fort dans Ali & Ava, c'est cette capacité à montrer que même dans la difficulté et dans la cohabitation forcée, il y a de l'affection et une lueur de tendresse. Certes Clio Barnard n'ouvre pas autant ses paysages que dans ses précédents films, mais c'est pour mieux rester auprès de ces corps et de ces cœurs, précisément là où tout peut basculer. Ce n'est pas une romance pure, ni un drame pur. Ali & Ava est un geste où regarder les ruptures et les souffrances permet de suspendre des âmes perdues dans la chaleur des battements du cœur.


Teddy Devisme