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[CRITIQUE] : Ibrahim


Réalisateur : Samir Guesmi
Acteurs : Abdel Bendaher, Samir Guesmi, Luàna Bajrami, Rabah Naït Oufella, Philippe Rebbot,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h20min.

Synopsis :
La vie du jeune Ibrahim se partage entre son père, Ahmed, écailler à la brasserie du Royal Opéra, sérieux et réservé, et son ami du lycée technique, Achille, plus âgé que lui et spécialiste des mauvais coups. C’est précisément à cause de l’un d’eux que le rêve d’Ahmed de retrouver une dignité et de travailler en salle se brise lorsqu’il doit régler la note d’un vol commis par son fils et qui a mal tourné. Les rapports se tendent mais Ibrahim décide alors de prendre tous les risques pour réparer sa faute, rendre un sourire à son père et se trouver enfin lui-même..


Critique :


Samir Guesmi signe un très beau premier long-métrage ayant reçu le label Cannes 2020, en compétition au Festival du Film Francophone d’Angoulême.
Présent également dans le film de Noémie Saglio, Parents d’élèves en avant-première à Angoulême, Samir Guesmi se retrouve en compétition officielle en tant que réalisateur et scénariste et donne la réplique au jeune Abdel Bendaher, le Ibrahim du titre.

Copyright Anne-Françoise Brillot


Ibrahim rêve de foot. Son nom est même la moitié d’un grand joueur, Zlatan. En réalité, il n’a pas beaucoup de talent dans ce sport. Il vit avec son père, Ahmed, écailler dans une brasserie sélecte proche de l’Opéra. Il veut devenir serveur à part entière, le problème réside dans sa dentition. Tant qu’il lui manquera des dents, il ne pourra pas réaliser son rêve. Ibrahim et Ahmed vivent à deux, en silence. Ils n’ont peut-être plus rien à se dire ou sont trop occupés à penser leur rêve. Mais Ahmed reçoit un courrier prometteur, un dentier l’attend pour la modique somme de 1790 euros. En silence, c’est Ibrahim qui écrit le chèque et nous comprenons vite que c’est leur quotidien : Ahmed ne sait que rédiger sa signature et met son fils dans une position de responsabilité du foyer et de son propre père, difficile à gérer. 

Copyright Anne-Françoise Brillot

C’est ce manque de communication qui va mettre le feu au poudre. Samir Guesmi filme tout en retenu et décide de s’attacher aux détails dans sa mise en scène pour faire passer quelques informations utiles plutôt qu’une attaque frontale de son propos. Les personnages parlent uniquement s’ils ont des choses à dire, sinon ils se taisent. Ibrahim ne peut ni poser des questions sur sa mère, ni parler de sa passion pour le foot et ses difficultés sur le terrain à ce père taiseux, où plus aucune complicité est partagée. Il cherche donc ailleurs son besoin de communication, avec Achille, un camarade de sa classe de CAP, en pleine déroute. Achille vole, sèche les cours, ment et entraîne Ibrahim dans ses magouilles. Mais peu habitué à faire ce genre de chose, il se fera vite attrapé. L’engrenage commence : Ibrahim a besoin d’argent parce qu’il culpabilise à propos de son père, il ne peut lui en parler, donc il se tourne vers Achille, qui va lui apprendre des ficelles pour bien voler.

Copyright Anne-Françoise Brillot

La caméra suit avec un intérêt accru le visage de Abdel Bendaher, dont le regard laisse passer toutes ses émotions. Il tient tête à Samir Guesmi, qui interprète avec beaucoup de retenu cet ancien drogué qui aime son fils plus que tout. Ibrahim n’est pas parfait et contient certains tics de premières réalisations, avec une dernière partie qui traîne un peu trop en longueur avant de se rattraper par une magnifique confrontation entre Ahmed et son fils. Mais qu’importe, le réalisateur a prouvé tout son talent pour nous conter une histoire forte, sensible avec peu de dialogue mais une émotion contenue. Sorte de coming of age, le film est une histoire d’émancipation, une séparation psychologique d’un père et son fils, enfermés dans un quotidien destructeur. Ils sont maintenant prêt à vivre ensemble, sans le poids des remords ou de culpabilité entre eux deux.

Copyright Anne-Françoise Brillot

Ibrahim est un très beau premier long-métrage. C’est dans le silence que se façonne les émotions, les non-dits. Une tension dramatique maîtrisée et une caméra qui n’hésite pas à sonder en profondeur ses personnages. Une nouvelle facette de Samir Guesmi vient de s’ouvrir et nous avons hâte d’en voir plus.


Laura Enjolvy