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[CRITIQUE] : Tigertail


Réalisateur : Alan Yang
Acteurs : Lee Hong-Chi, Tzi Ma, Kunjue Li, Christine Ko,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h31min

Synopsis :
L'histoire d'une famille taïwanaise, depuis les années 1950 jusqu'à nos jours à travers le parcours de Pin-Jui. N'ayant pas d'avenir, il quitte son pays natal - et la femme qu'il aime - pour les Etats-Unis. Après un mariage arrangé, une relation compliquée avec sa fille et des années d'un travail monotone, arrivé à l'âge de la retraite, Pin-Jui risque de passer la fin de sa vie dans une solitude extrême. Il décide alors de renouer avec son passé pour enfin construire la vie dont il rêvait autrefois.



Critique :




S'inscrivant sur les traces de Lulu Wang et de son très beau L'adieu (The Farewell), il est vrai accouché bien plus dans la douleur avec une quête de financement bien plus complexe et longue - pour être poli -, Alan Yang, passé la réalisation d'une poignée d'épisodes dans quelques-unes des meilleurs séries humoristiques US de ses dernières années (Parks and Recreations, Master of None dont il est le co-créateur avec Aziz Ansari, The Good Place et Forever), saute dans le grand bain du septième art avec un premier long personnel et s'appuyant sur ses propres racines taïwanaise, et sur ce même sentiment de déracinement en terre inconnue.
Avec Tigertail, il s'échine à conter avec minutir le parcours de son père, tout en lui rendant hommage (de la même manière, mais plus frontalement, qu'il le fit avec Master of None), pour mieux en faire un récit magnifique et déchirant sur l'expérience des immigrants, racontée à travers plusieurs générations, qui subvertit de nombreux stéréotypes asiatiques faciles, en explorant les difficultés d'adaptation à un nouvel environnement tout en conservant un lien émotionnel avec leur pays natal.


Copyright Chen Hsiang Liu/Netflix

Autobiographique et réaliste jusque dans son verbe (avec des dialogues autant en taïwanais et en mandarin qu'en anglais), le film suit l'histoire de Pin-Jui, un homme taïwanais qui avec le temps, n'est devenu que l'ombre de lui-même, tant est si bien qu'il est même émotionnellement, de plus en plus distant avec sa fille Angela, dont la relation est devenue presque anecdotique.
Au risque de vivre seul les dernières années de sa vie, Pin-Jui ressent le besoin de se reconnecter avec son passé, pour mieux se retrouver et s'ouvrir à sa fille...
Entre passé et présent dans sa narration, grâce à une utilisation minutieuse des flashbacks et des flashforwards, Tigertail raconte le parcours semé d'embûches d'un homme ayant grandit dans 50's et les rizières avec ses grands-parents (sa mère le laisse chez eux à la mort de son père), en pleine occupation communiste de Taïwan, avant de travailler dans une sucrerie avec sa mère célibataire et décrocher une " chance " de pouvoir rejoindre l'Amérique, son rêve absolu pour quitter sa vie d'ouvrier, via un mariage arrangé avec la propriétaire de l'usine local ou il travaille, Zhenzhen (alors qu'il était fou amoureux de sa craquante voisine, Yuan).
Une fois à New-York, et engoncé dans un mariage sans amour qu'ils tenteront de faire tenir tant bien que mal, le couple sera confronté à l'isolement et la barrière de la langue - surtout Zhenzhen, timide et effacée mais forte -, autant qu'à la propension qu'aura Pin-Jui de travailler très dur pour subvenir aux besoins des siens, quitte à émotionnellement et intimement s'en détacher.


Copyright Chen Hsiang Liu/Netflix

Et c'est plusieurs années plus tard, une fois son mariage consommé, sa retraite déclarée et sa défunte mère enterrée, qu'il va tout faire pour recoller les morceaux, renouer avec les siens et même son amour d'enfance perdu...
Mélodrame sensible et pudique d'une beauté déchirante, explorant avec ferveur le revers de la médaille de l'American Dream, illusion d'un eldorado devenu une prison à ciel ouvert à la fausse promesse frustrante; Tigertail est une merveille de cinéma qui s'avère même infiniment plus juste et cohérent que le film de Lulu Wang, tant il semble viser constamment l'épure à tous les niveaux, pour mieux susciter l'empathie.
Récit initiatique tardif croqué avec un sérieux collégial et dont la résonance actuelle est absolument terrible (emprisonner ses sentiments et son rapport aux autres, alors que nous sommes tous engoncés dans un confinement obligatoire pour notre bien), faisant la part belle à tous ses personnages (même féminins, essentiels dans cette histoire pourtant très masculine, et surtout vrais véhicules d'une vérité souvent tu), et dirigé d'une main de fer par un wannabe cinéaste aussi habile caméra au poing que dans sa direction d'acteur (il offre à la légende Tzi Ma, l'un de ses plus beaux rôles, en homme endurci mais fragilisé par des années de non-dits); le film n'a pour seul défaut de n'être que trop court - quatre-vingt-dix minutes tout rond -, même s'il dit tout dans le peu de temps qui lui est imparti.


Copyright Sarah Shatz/Netflix

C'est dire la claque somptueuse et délicate qu'il incarne (surtout dans son final, qui définit avec grace que les larmes ne peuvent malheureusement rien résoudre), une pure histoire d'amour, de sacrifice, de réconciliation (au pluriel, avec soi-même, son passé ou les autres), de rêve et de réalité à l'implication personnelle incroyable et raconté sans le moindre jugement; rien de moins qu'un vrai tour de force opéré par Alan Yang pour son premier long.
Le meilleur film de l'année du côté de Netflix, avec Uncut Gems.


Jonathan Chevrier



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