[CRITIQUE] : Marriage Story
Réalisateur : Noah Baumbach
Acteurs : Adam Driver, Scarlett Johansson, Laura Dern, Alan Alda, Azhy Robertson,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h17min.
Synopsis :
Un metteur en scène et sa femme, comédienne, se débattent dans un divorce exténuant qui les pousse à des extrêmes...
Critique :
Dans ce qui peut se voir comme son film le + personnel, sincère et émouvant à ce jour, Noah Baumbach fait de #MarriageStory une merveille de tragédie domestique ou il expose avec grâce et compassion la vérité du divorce. Scarlett Johansson et Adam Driver sont juste époustouflants pic.twitter.com/eZDsXV1Kja— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 4, 2019
Rares sont les oeuvres ou le titre, en deux petits mots, exposent avec simplicité et justesse ce que le spectateur découvrira à l'écran; un titre qui dit tout tout en restant incroyablement mystérieux, qui nous parle sans forcément nous concerner.
Marriage Story de Noam Baumbach parle bel et bien de l'histoire d'un mariage comme un autre, et plus directement de son ultime et tragique dernier chapitre, celui de la séparation et du divorce, montré comme un corps malade et sans âme, consumé par le chagrin, la colère ou même le déni, et aux arcanes judiciaires révoltantes mais bien réelles (le révisionnisme des avocats, ou la sphère intime et les " erreurs " sont traitées comme des crimes potentiels d'une lutte acharnée).
Dans ce qui peut se voir comme son film le plus personnel, sincère et émouvant à ce jour, le cinéaste croque la nature insidieuse et douloureuse du divorce, cet aveu d'échec pas toujours partagé - mais qui l'est " grâce " à l'appui de la justice -, qui mène assez souvent deux êtres au départ bien intentionnées et soucieuses de ne pas détruire ce qui reste l'amour d'une partie de sa vie, à agir d'une manière qu'ils n'auraient jamais imaginer le faire un jour (utiliser des secrets inavouables, le fruit de notre chair, comme une arme pour " gagner "), à se transformer comme une mauvaise version de soi-même.
On se prend donc vite de passion pour l’effondrement désordonné de la réalité partagée de Nicole et Charlie, un couple d'artistes vivant à Brooklyn avec leur fils Henry, âgé de 8 ans.
Les deux parents travaillent dans le théâtre: Nicole est une ancienne enfant star d'Hollywood, et une pièce maîtresse de la troupe de théâtre expérimental dirigée par Charlie, lui-même également acteur.
On ne sait pas forcément grand chose de leur vie commune au tout départ (tout est exprimé dans un montage d'ouverture, ou dans un monologue commun, chaque partenaire répertorie les choses qu'il aime chez l'autre, à la demande du médiateur engagé pour les aider à se séparer), et ce qui suivra (le départ de Nicole pour L.A., ou elle décroche un pilote d'une série TV, qui scelle leur séparation) est une rupture terrible et fracassante qu'on ne contrôle pas, entre maladresse, colère et difficile recherche d’un nouvel équilibre, où le bonheur n'est n'existe que dans les espoirs fugaces d'un lendemain meilleur, mais long à pointer le bout de son nez.
Avec une grâce et une compassion merveilleuses pour ses personnages, Baumbach ne charge jamais les deux pilliers de sa tragédie universelle, et fait du divorce la personnification d'un outil égalitaire entre un homme et une femme, au coeur d'un drame domestique riche en émotions, ou personne n'est totalement fautif (il l'a trompe plusieurs fois, elle traverse tout le pays et cherche à garder leur enfant de force,...) ni même totalement bon et gagnant, et encore moins un enfant, victime collatéral autant qu'arme/objet de convoitise, dont le bien être est une priorité.
Et c'est bien la toute la force de son propos fourmillant de détails, d'habitudes et de traits de caractères incroyable (une profondeur essentielle pour s'approprier l'histoire et se laisser happer par elle) : ne jamais imposer de choix, ne jamais tomber dans la facilité du " bon camp ", " mauvais camp ", être juste avec les deux protagonistes et laisser le bon ton à son spectateur de le faire par lui-même, même s'il est bien plus pertinent et passionnant de ne pas le faire, et de déceler tout seul le " bien " et le " mal " qui habite les héros Nicole et Charlie.
Ce qui n'est pas si difficile, car si Baumbach explore la vérité du divorce comme peut l'on fait auparavant, il laisse en toute confiance Adam Driver et Scarlett Johansson, s'approprier la complexité de leurs personnages (compliqués parce qu'avec de vraies vies professionnelles et émotionnelles, exposés avec maestria) et signer des performances absolument époustouflantes, qui dénote totalement de ce qu'ils ont pu nous offrir à ce jour.
Idem pour les seconds rôles (on connaît le talent certain du cinéaste, pour diriger à la perfection un casting d'ensemble minutieusement choisi), notamment les excellents Alan Alda et Laura Dern, qui campent respectivement les avocats de Charlie et Nicole, sans oublier le jeune et touchant Azhy Robertson (Henry, le fils des deux héros).
Délicat, tendre et jamais dans l'exagération putassière, d'un naturel désarmant (c'est souvent ridicule, donc cruellement ordinaire), jonglant sur le fil tenu de l'humour et de la tristesse - parfois dans une même scène -, Noah Baumbach, qui aime ses personnages autant qu'il est bourré de compassion pour eux, signe avec Marriage Story un drame mature, intime et magistral sur la faillibilité humaine, une mélodie mélancolique sur pellicule trop belle pour rebuter mais surtout trop vraie pour ne pas détruire de l'intérieur son auditoire.
À la fin du métrage, au moment des adieux, bousculé par la tristesse d'une mise en images implacable de la dureté de la vie, il est même presque impossible de ne pas se laisser aller a ardemment espérer que Nicole et Charlie trouveront tous les deux le bonheur en survivant à la mort de leur amour.
Oui, l'année ciné 2019 se termine merveilleusement bien.
Jonathan Chevrier