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[CRITIQUE] : Le Voyage du Prince


Réalisateurs : Jean-François Laguionie et Xavier Picard
Avec les voix de : Enrico Di Giovanni, Thomas Sagols, Gabriel Le Doze,...
Distributeur : Gebeka Films
Budget : -
Genre : Animation
Nationalité : Luxembourgeois, Français
Durée : 1h16min

Synopsis :
Un vieux Prince échoue sur un rivage inconnu. Blessé et perdu, il est retrouvé par le jeune Tom et recueilli par ses parents, deux chercheurs dissidents qui ont osé croire à l’existence d’autres peuples… Le Prince, guidé par son ami Tom, découvre avec enthousiasme et fascination cette société pourtant figée et sclérosée. Pendant ce temps, le couple de chercheurs rêve de convaincre l’Académie de la véracité de leur thèse auparavant rejetée…



Critique :


Quand on parle d'animation, nous avons tout de suite en tête les films Disney, qui ont accompagné notre enfance. Ou les séries qui peuplent nos télévision le matin devant nos céréales. "L'animation pour enfant" est tellement ancrée que cela fait tout drôle de se retrouver devant un film qui n'a pas l'air d'avoir un public très jeune visé. Pourtant, c'est souvent dans ceux-là que nous pouvons trouver des petites pépites. Pas longtemps après la sortie de J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, qui prouvait déjà que l'animation française était en bonne santé, Le Voyage du Prince achève le constat : l'animation française est capable de nous offrir de véritables moments de poésie. Alors que La Reine des Neiges II bat son plein et si vous n'en pouvez plus des chansons Disney, on vous propose de découvrir le film de Jean-François Laguionie et son co-réalisateur Xavier Picard, un voyage de questionnement sur le bien fondé de notre civilisation, aidé par les yeux d'un étranger, le fameux prince du titre, qui a traversé une mer de glace.



Jean-François Lauguionie est un vieux de la vieille dans l’animation. Cinquante ans de carrière, une palme d’or du court-métrage et de très beaux films à son actif, dont Le Château des singes en 1999. D’un certain côté, Le Voyage du Prince en est une sorte de suite, qui se passe dans le même univers. Dans le film de 1999, un jeune singe, vivant au sommet des arbres sous la canopée découvrait le peuple qui vit en bas. Vingt ans plus tard, nous suivons le périple du vieux prince, échoué sur une plage, retrouvé par le jeune Tom, amoureux du son de la nature et des oiseaux. Ses parents adoptifs sont des scientifiques. Si sa mère, botaniste, voit l’arrivée de cet étranger d’un mauvais œil, le professeur Abervrach y voit sa porte d’entrée pour redevenir un éminent scientifique de l’Académie, dont il est exclu suite à sa théorie jugée ridicule, que leur peuple n’est pas le seul qui existe. Le Prince lui fournit enfin la preuve ultime. Son langage est différent, ses coutumes le sont aussi.



Le Voyage du Prince est du point de vue du Prince, avec une voix-off, qui nous sert de journal de bord. Il nous décrit ses sentiments face aux comportements de ceux et celles qui l’ont sauvé, qu’il trouve bizarre. Mais il s’amuse, tel un enfant et découvre avec délectation la cité de ce peuple, une mégalopole stylisée du XIXème siècle, aux inventions modernes qui vont à tout allure. Mais il existe une face cachée de cette cité de lumière, une face où la forêt essaye de reprendre ses droits. Les habitants travaillent jour et nuit pour faire reculer les arbres, en vain. Ils vivent dans la peur, un moteur puissant dont se sert l’Académie des sciences pour asseoir leur opinion. Ce choix d’époque est bien sûr tout sauf anodin, le XIXème siècle étant à la fois fruit d’un grand changement, une époque de progrès, d’évolution, mais en même temps une époque d’aveuglement, de sensation de toute puissance, une époque où la différence devait être enfermée et humiliée.



Mais en choisissant le point de vue de “l’étranger”, Jean-François Laguionie évite un jugement trop sévère, trop manichéen. Car le Prince ne s’apitoie jamais sur son sort, découvre avec beaucoup d’admiration et de respect comment fonctionne cette civilisation moderne. Cela amène de la douceur, de la bienveillance, qui laisse de la place à des moments de poésie. Une beauté aidée par l’animation, aux couleurs douces et chatoyantes.
Conte moderne et philosophique, Le Voyage du Prince est un régal pour les yeux et pour l’esprit, d’une douceur rare malgré la violente critique du capitalisme. Un petit bijou à voir de suite !


Laura Enjolvy