[1 CINÉPHILE = 1 FILM CULTE] : La Vie Rêvée de Walter Mitty
#14. La Vie Rêvée de Walter Mitty de Ben Stiller
" Les choses n'ont pas besoin d'être parfaites pour qu'on les aime sincèrement. C'est toujours difficile de parler des films qu'on aime, parce qu'on contraint les autres à nous écouter parler de soi. Quand je parle des films que j'aime, je parle toujours des mêmes. Comment ils ont changés mon rapport au cinéma. Comment ils m'ont appris à voir un film autrement. Mais il y'en a un qui a changé ma vie.
Aussi imparfait soit-il, aussi mal-aimé soit-il. La Vie Rêvée de Walter Mitty m'a fait changer de vie. J'ai toujours été obsédée par l'aventure et ces vies alternatives. Ces gens qui osent jusqu'au bout. Ces gens qui n'ont jamais peur. J'ai toujours rêvé d'aventure, fantasmé longtemps de la tragédie de Christopher McCandless. Le pouvoir magique de mes héroïnes préférées, c'était d'avoir céder à leurs rêves. Mais j'étais encore trop jeune pour oser l'aventure.
Je venais à peine d'être majeure. Coincée dans des études qui n'avaient aucun sens, et entre les minuscules murs d'un internat glacial, mes rêves d'aventures ne s'étaient jamais évanouis. Et puis un beau soir, cette discussion insensée. Et si on le faisait ? Partir dans les terres froides d'Islande. Ca n'avait aucun sens. Mais ça allait être réel.
Et puis, La Vie de Walter Mitty est sorti. Et je n'y suis pas allée. Parce qu'enfermée dans une salle à écrire du vide pendant des heures. Une nuit, devant la faible lueur du minuscule écran, je l'ai vu. Une étrange coïncidence. C'est souvent très étrange de voir sa vie sur un écran. Comme si tout prenait sens.
Walter Mitty est un héros de tous les jours. Je voulais être Walter Mitty. Ses rêves d'aventures, perdu dans une routine similaire allaient devenir tout aussi réel que les miens. J'allais être Walter Mitty. J'étais celle qu'on pensait trop faible, trop inintéressante pour pouvoir m'en sortir. Mais j'avais vu que c'était possible. J'avais confiance en une fiction. Car ce que j'allais vivre en était trop similaire.
La douceur et la mélancolie qui se dégagent du film n'ont jamais cessé de me hanter une fois là bas. De l'image un peu terne, et aux couleurs paradoxalement presque saturées. Je voyais pour la première fois ce qui m'attendait. De l'appréhension, de l'excitation d'enfin oser. De cette scène d'hélicoptère, dans lequel Mitty décide au dernier instant de se lancer. Cette peur de l'inconnu, mais cette fierté d'avoir osé. Ground Control To Major Tom. Un film qui parle de coïncidence, alors qu'il coïncide lui-même à un moment crucial de ma vie. Je comptais désormais les jours, et je ne pouvais plus me sortir l'enivrante mélodie du film de la tête.
C'était en Juillet. Je venais d'embarquer dans cet avion, avec l'amour de ma vie. A peine majeure, un sac à dos et une tente. On s'étaient imaginés être nos propres héros, partir à l'autre bout du monde avec à peine assez d'argent. Ce que j'allais vivre dépasse tout ce que j'aurais pu imaginer.
Ce qui m'avait frappé dans Walter Mitty, c'était l'improbable. Chaque scène se transformait en une aventure hors-norme. Echapper à l'éruption de l'Eyjafjallajökull. Plonger dans un mer infestée de requins en sautant d'un hélicoptère. Faire du skateboard sur les routes noires. Mais la réalité était plus invraisemblable. L'inattendu et l'improbable. Ne jamais voir la nuit tomber. Faire du stop au milieu de nulle part sous une pluie torrentielle. Des rencontres sans visages mais dont les mots et les actes restent pour toujours. La réalité prenait le pas sur la fiction.
Le temps venait de me rattraper. La veille de partir. Épuisée de ne pas avoir dormi depuis des jours, à moitié éveillée, assise dans un café perdu, et envahie par la tristesse de devoir tout quitter. Dirty Paws. J'entendais la BO du film qui m'avait poussée à venir ici. Mais j'y étais. Pour de vrai. J'avais vécu la plus grande aventure de ma vie. Je venais de changer les choses.
Le retour à la réalité était difficile, car l'impression d'avoir vécu quelque chose de si fort que personne ne peut le comprendre. On décollait. Ce n'était pas si bien, venait de me dire la dame à côté de moi. Et il y avait cet écran en face de moi. La Vie Rêvée de Walter Mitty. Je ne croyais plus aux coïncidences, car si les choses advenaient, c'était parce qu'elles le devaient. La boucle était bouclée. Je me retrouvais à sangloter dans mon siège, devant l'effarement de la dame à côté de moi. Parce que j'avais réussi. Parce que je pouvais réellement être fière de ce que j'avais accompli. Parce que ma vie avait changé.
Ca me fait rire d'entendre que ce film n'est finalement que de jolies images de National Geography. C'est pour moi le moyen ultime de revivre l'aventure de ma vie. De revoir les images d'un passé qui me paraît presque fantasmé trois ans plus tard. De retourner fictivement dans les lieux qui me sont si chers. De revivre ce sentiment de liberté absolue. De ne jamais oublier cette famille d'inconnus. De me demander sans cesse si cette vieille dame avait réalisé elle aussi le rêve de sa vie, et avait vu les baleines. Si les auto-stoppeurs avaient repris leur route. Si les belges qui nous avaient pris en auto-stop se souviennent de nous. Je comprends Mitty au retour de son voyage. Il ose. Il n'a plus peur de rien.
Peu importe la qualité d'un film, peu importe ce qui en est dit. Il peut changer une vie. Et désormais, à chaque fois que je revois ce film, je me revois il y'a trois ans. Et l’irrépressible envie de refaire mon sac à dos me reprend. "
Suzy Bishop
Parle de film sans rien y connaître, mais les aime sincèrement. Obsédée par les dinosaures, les personnages tristes et les maisons hantées. Autoproclamée reine de Laputa, je suis amoureuse de Jodorowsky, Refn et surprise, de Wes Anderson. J'ai oublié de grandir et je persiste à voir les choses sous mes émotions. Et parle à la troisième personne.
Blog : De L'Autre Côté de l'Image