[CRITIQUE] : 99 Homes
Réalisateur : Ramin Bahrani
Acteurs : Michael Shannon, Andrew Garfield, Laura Dern, Tim Guinee,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h52min.
Synopsis :
Rick Carver, homme d’affaires à la fois impitoyable et charismatique, fait fortune dans la saisie de biens immobiliers. Lorsqu’il met à la porte Dennis Nash, père célibataire vivant avec sa mère et son fils, il lui propose un marché. Pour récupérer sa maison, sur les ordres de Carver, Dennis doit à son tour expulser des familles entières de chez elles.
Critique :
Aussi percutant que nécessaire, #99Homes est une bouillonnante et captivante fable sociale portée par un duo vedette à la justesse radicale— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 10 Mars 2016
Qu'on se le dise, Michael Shannon est un putain de bon acteur et l'un des talents les plus inestimables du cinéma ricain; point à la ligne parce que les vérités générales comme celles-là, ça ne se discute pas.
Chouchou de Jeff Nichols (qui est lui, l'un des meilleurs cinéastes ricain du moment, ça tombe bien) après avoir longtemps trimballé sa trogne dans une pluie de divertissement/blockbusters - notamment chez tonton Bay -, le bonhomme est depuis devenu un comédien méchamment demandé ces derniers années.
La preuve, il est quadruplement dans l'actualité ce mois-ci.
Toujours au cinéma dans le très beau Free Love (critique ici), en téléchargement définitif sur les plateformes VOD avec The Night Before (critique ici), depuis quelques jours également dans les salles obscures avec le chef d'oeuvre Midnight Special (critique ici) de Nichols justement; et dès le 18 mars en e-Cinema avec 99 Homes donc, nouveau film coup de poing de Rahim Behrani pour lequel il partage la vedette avec un Andrew Garfield fraichement débarrassé du costume de Spider-Man.
Grand Prix du dernier Festival du Film Américain de Deauville - titre qui aurait pleinement dut lui offrir une sortie en salles -, au thème fort aussi férocement d'actualité qu'accrocheur (les stigmates de la crise financière et sa répercussion sur la middle class américaine); la péloche suit l'histoire inspirée de faits réels, de Rick Carver, homme d'affaires à la fois impitoyable et charismatique, qui fait fortune dans la saisie de biens immobiliers suite à la crise des subprimes.
Mais lorsqu'il met à la porte Dennis Nash, père célibataire vivant avec sa mère et son jeune fils, il lui propose un marché des plus cruel.
Pour récupérer sa maison, sur les ordres de Carver, Dennis doit passer dans " l'autre camp " et à son tour, expulser des familles entières de chez elles...
Pour son sixième long-métrage, Rahim Behrani dresse un portrait sans concession et terriblement fataliste (les sentiments et l'espoir de jours meilleurs sont complétement méprisés face à l’appât du gain) de la crise financière ayant ébranlé le monde entier, tout en frappant férocement dans les bijoux de famille le symbole phare de l'American Dream par le biais d'une appropriation dominante et crue d'une figure pervertie et nullement héroïque, Rick Carver; business man salopard sur les bords, qui s'enrichit sur le malheur de familles n'ayant plus la possibilité de rembourser leurs emprunts.
Douloureusement réaliste et mise en scène comme un thriller sous tension, 99 Homes (dont le titre fait directement référence aux 99% de laissés-pour-compte du mouvement Occupy Wall Street,) prend aux tripes par son traitement frontal de la crise (aussi morale qu'économique), à hauteur d'hommes et non pas en se focalisant sur les banques ou les courtiers (cf le plus décomplexée The Big Short) mais également par son opposition direct entre deux antihéros personnifiant parfaitement l’Amérique des " gagnants " et des perdants de ce capitalisme ultra-libéral; l'oppresseur contre l'opprimé, l'homme d'affaire contre le col bleu, ou deux victimes d'un même système économique ou l'homme n'est qu'un pion ajustable.
Moralement dérangeant (jusqu’où sommes-nous prêt pour l'argent ? notre maison ? notre famille ?), Bahrani pointe avec une justesse radicale les injustices de l’Amérique contemporaine - mais pas que - dans un drame captivant et tendu, magnifié par la partition exceptionnelle d'un Michael Shannon merveilleux en requin de la finance, un véritable opportuniste aussi odieux et implacable en affaire que méchamment charismatique, bourreau puis formateur d'un Andrew Garfield absolument renversant.
En père célibataire crédule et jeté à la rue qui deviendra peu à peu un cœur torturé causant les mêmes maux que les siens à d'autres familles, il livre une composition profondément empathique et à fleur de peau, à tel point qu'on l'avait plus vu aussi habité par un personnage depuis le merveilleux Boy A de John Crowley.
Percutant tout autant qu'il est infiniment nécessaire, 99 Homes est une bouillonnante fable sociale qui se fait le miroir habile et effrayant d'une société actuelle totalement pervertie par son système économique.
Un film totalement indispensable qui aurait décemment mérité sa place dans les salles obscures, au lieu d'une distribution un brin vulgaire sur les plateformes de e-Cinema.
Ironiquement, une certaine injustice pour un film pointant justement, les victimes de l'injustice de ce monde...
Jonathan Chevrier